L’indice des taux de fret pour les différentes catégories de navires de vracs secs, publié hebdomadairement par le Baltic Exchange, montre l’extrême volatilité du marché en 2010. Après un regain d’activité en mai, les taux ont subitement perdu de leur teneur pendant l’été et finissent l’année sur une note légèrement plus positive.
Dans les sièges sociaux des armements de vrac sec cotés en Bourse, le bilan annuel reste sur des approches plus nuancées. D’abord, le marché a enregistré une croissance notable en 2010. L’Europe, le Japon, l’Inde et d’autres pays d’Asie ont augmenté leur demande en matières premières solides. Une hausse qui s’est matérialisée dans les six premiers mois avec la reconstitution des stocks. Selon le courtier britannique R.S. Platou, la demande a augmenté de 8,8 % au cours de l’année passée. Au cours de cette année, les paramètres « climat » et « politique » ont joué. Du côté du climat, les inondations en Australie et un hiver rigoureux en Europe du Nord ont pesé sur une progression de la demande. Du côté politique, ce sont les décisions des gouvernements à restreindre leurs exportations qui ont impacté le marché. Ainsi, la Russie a mis un terme à ses exportations de céréales après la sécheresse du pays, l’Inde a réduit ses exportations de minerais de fer obligeant la Chine à aller chercher ses matières premières vers le Brésil et l’Australie.
Deux éléments déterminent la performance opérationnelle des armateurs au vrac sec: le nombre de jours opérationnels de la flotte au cours de l’année et le taux de fret à temps des chartes (TCE, Time Charter Equivalent). Les résultats financiers des armements donnent une image plus formelle de ces données. Dès lors que le nombre de jours opérationnels augmente et que le TCE progresse, le chiffre d’affaires suit le mouvement. À l’inverse, des baisses se répercutent de la même façon. Ainsi, Paragon Shipping et Star Bulk ont enregistré des baisses du nombre de jours opérationnels et une baisse de leur TCE. Paragon Shipping perd 26,4 % de son TCE à 25 911 $ par jour et une baisse de 0,6 % du nombre de jours. Des chiffres qui plombent lourdement le chiffre d’affaires. Le même scénario s’est répété pour Star Bulk dont le TCE a perdu 8,7 % à 26 859 $ par jour. Navios Maritime a vu son TCE perdre 1,1 % à 25 527 $ par jour en 2010 mais avec une hausse du nombre de jours opérationnels. Cette donnée a permis d’effacer une partie des pertes enregistrées.
Hausse de l’Ebitda, mais au prix de réductions de coûts drastiques
De l’autre côté, des opérateurs, à l’image de Norden A/S, cumulent les chiffres positifs. La croissance du nombre de jours et un meilleur TCE ont permis d’augmenter le chiffre d’affaires. Genco Shipping a augmenté, pour sa part, son nombre de jours opérationnels, avec notamment la reprise de navires en provenance de Setaf Saget, filiale de Bourbon. La baisse de son TCE a gommé partiellement cette progression. La majorité des opérateurs affichent une hausse de leur Ebitda. Une tendance qui prévaut avec des programmes de réduction de coûts drastiques. Chacun mène des opérations sur les dépenses administratives ou de carénage pour améliorer sa rentabilité.
La diffusion de ces premiers résultats annuels est aussi l’occasion pour les armateurs de tirer des perspectives pour 2011. Chacun reconnaît que de nouvelles unités doivent entrer en flotte et que le marché n’est pas encore consolidé pour les prochains mois. La surcapacité demeure. Et les tendances du marché ne sont guère plus optimistes. Si les analystes prévoient une croissance de la demande des matières premières sèches, le courtier R.S. Platou table sur une augmentation de 10,3 % environ, la surcapacité va impacter cette tendance. Norden A/S se veut positif. « Même si le prix des matières premières baisse, la demande restera en hausse tant que les prix et la qualité de la production intérieure ne répondront pas à la demande. » Et sur le plus long terme, l’armateur danois imagine une baisse du nombre de constructions dans le vrac sec.
Le marché des vracs secs demeure incertain. L’Inde a annoncé, le 28 février, le quadruplement de ses taxes sur les exportations de minerais de fer à partir du mois d’avril. Une annonce qui incite les acheteurs chinois à constituer des stocks importants et à se retourner vers de nouvelles sources comme le Brésil et l’Australie. En Australie, les inondations du mois dernier ont sérieusement entravé les capacités logistiques. Des phénomènes politiques et climatiques qui vont jouer sur les taux de fret des capesizes. Sur les navires de plus petite taille, les trafics céréaliers en provenance d’Amérique du Sud, principalement l’Argentine et le Brésil, vivent au rythme des achats asiatiques. Le retour à la vie économique après les fêtes du nouvel an chinois ont vu les taux de fret des navires Panamax doubler en une semaine. Un point doit être pris en compte, l’arrivée de nouveaux navires qui pourrait voir les prix se diviser. L’élément incertain pour les analystes du marché sur l’avenir du marché des céréales réside dans la situation des pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient. La hausse des prix des céréales liée à la reconstitution de stocks de ces pays, et la demande forte de producteurs d’énergie verte à base de céréales, pourrait déstabiliser de nouveau les marchés.
Enfin, Erik Nikolai Stavseth, analyste à Artic Securities, voit dans la faillite récente de l’armement Korea Line Corporation le début d’une nouvelle ère. « À la lumière d’un marché des vracs secs faible et de perspectives incertaine, nous sommes persuadés que la situation de faillite de Korea Line Corporation pourrait se décliner à d’autres armements. » La solution est alors à trouver entre les opérateurs sous peine de voir le politique se mêler de la situation.