Les vrais enjeux de la bataille navale

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Les chiffres sont là. Dans l’évidence d’un terrible constat. En moins de dix ans, Marseille, LE port de la continuité territoriale a connu une chute brutale de sa part de trafic passagers et fret. Depuis 2005, c’est même l’effondrement. Et la privatisation de la SNCM n’a pas arrêté l’hémorragie. En 20 ans, les passagers se sont massivement détournés de Marseille pour aller sur Toulon. En 1987, plus de 50 % d’entre eux choisissaient le port phocéen pour se rendre sur l’Île de Beauté, 40 % par Nice et 8 % par Toulon.

Aujourd’hui le tiercé gagnant est inversé: 38,4 % passent par Toulon, 31,6 % par Nice et 30 % par Marseille.

Le triomphe du low-cost

À croire que les syndicalistes qui dénonçaient le positionnement en 1996 du premier ferry de la Corsica Ferries sur Nice, avaient raison de parler de loup dans la bergerie. Il aura fallu quelques années pour que l’outsider devienne champion toutes catégories. Et que tout bascule.

Comment? Là où la SNCM et la CMN misaient leur stratégie sur la qualité, sur la traversée plaisir (dont l’immense ferry paquebot Napoléon-Bonaparte est l’emblème de luxe) ou sur la vitesse (et ses dispendieux NGV), la compagnie de Pascal Lota a développé une politique marketing agressive avec une flotte « médium ». On se souvient encore de sa campagne d’affichage dans le métro parisien qui promettait la traversée à 1 €. Elle a fait mouche dans un public qui, pour ses voyages, apprenaient à comparer les prix sur internet et découvrait le charme du low-cost. Jusqu’ici, dans le maritime comme dans l’aérien, la sécurité du voyage rimait avec qualité. L’instabilité sociale du port de Marseille a fait le reste. Même si en chiffre absolu il n’a pas exagérément perdu, l’accroissement du trafic a chaviré sur Toulon comme le prédisaient les dirigeants de la Corsica Ferries.

La bataille navale s’est doublée d’une formidable partie de poker menteur. Pendant un temps, la compagnie publique SNCM et ses remuants syndicats a attiré toutes les foudres. Aujourd’hui, alors que tous les armements sont privés, l’affrontement naval est encore plus brutal. Il s’exprime à coup de promotions et d’effets d’annonce. Analysée sur toute l’année, la différence de tarifs n’est pas aussi tranchante qu’il y paraît. Certes Toulon tient l’avantage, mais il faut tenir compte de l’avantage du pavillon italien (coûts salariaux moindres) et de la distance, donc du combustible. Au cœur de l’été, quand se réalise les 3/5 du trafic, la Corsica Ferries affiche, hors promotion, un tarif de 618 € pour un A/R et Moby Line 699 €. La SNCM ou la CMN demandent de l’ordre de 902 €. Cela, c’est sur le papier et pendant la poignée de jours du rush d’août. En fait, comme dans les vols aériens low-cost, les prix ne cessent de varier. Pour qui consulte internet, l’exercice de la comparaison prend des allures de tournis. Même lors des grèves de la SNCM, pendant lesquelles la Corsica a été accusée de faire décoller ses tarifs.

Une concurrence mieux disante mais moins regardante

Entre la Corse et le continent, c’est donc l’état de libre concurrence prônée par l’économie libérale. En fait, la lutte à mort pour prendre le contrôle de la desserte se terminera certainement par un ou deux naufrages. Les comptes des compagnies sont au rouge vif. Ceux de la Corsica Ferries n’ont jamais brillé par leur clarté et ceux de la SNCM, depuis que Veolia a pris les commandes, se sont opacifiés. L’année 2010 va être décisive.

La SNCM sera loin de trouver le bénéfice promis par Veolia. Et la Corsica est attaquée directement sur son flanc par Moby Lines. L’instabilité est totale. Dans ce contexte, la dotation de continuité territoriale (les libéraux ne le sont jamais autant que lorsqu’ils touchent des aides de l’État) devient un élément clé pour la survie. D’autant que les pouvoirs publics qui ont déjà commencé à réduire l’enveloppe ont promis d’autres restrictions budgétaires.

Le débat byzantin entre la dotation de délégation de service public (DSP) au départ de Marseille et l’aide sociale au passager de Toulon et de Nice n’a pas d’autre origine. Il s’agit d’un prolongement de la guerre navale que se livrent les armements entre la Corse et le continent. Mais pas seulement. Le sort du pavillon français et des marins (plus de 1 700 navigants) dans le cabotage européen est également en jeu face à des concurrents mieux disant mais moins regardant. Sans compter, l’avenir du port de Marseille parfaitement équipé face aux plates-formes portuaires plutôt « cheap ». Les conclusions de la mission Rivet devront se situer dans cette ligne de partage ou de fracture, juste entre l’arbre et… l’écorce.

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