Selon le Financial Times.com qui assistait au baptême officiel du paquebot MSC-Magnifica à Hambourg début mars, Gianluigi Aponte, fondateur, dirigeant et principal actionnaire du groupe MSC, a très exceptionnellement parlé « business » : les chargeurs ont abusé de la surcapacité pour exacerber la concurrence sur les prix, commençait-il. « Ils ne sont intéressés que par les moins-disants, à 50 $ près. Seul le prix compte. »
Le lobbying des chargeurs auprès de la Commission européenne a amené cette dernière à commettre « une grave erreur » en faisant disparaître le système conférentiel qui régulait le transport de ligne régulière. Ce système a disparu le 17 octobre 2008 au moment même où éclatait la crise industrielle. Depuis, le coût de transport pour un 20' en sortie d'Extrême-Orient vers l'Europe a oscillé entre 350 $ en janvier 2009, et environ 1 500 $ aujourd'hui. « L'insistance des chargeurs à faire disparaître le système des conférences (...) sera à l'origine d'une grande instabilité pour l'économie mondiale en général, et européenne en particulier. Les taux de fret ont été multipliés par cinq en un an. Ils pourraient encore doubler. La volatilité des taux est contraire aux intérêts des chargeurs ».
Le FT.com explique que MSC est actuellement l'un des transporteurs maritimes les plus controversés. Les commentaires du fondateur président de MSC sur ses clients viennent en réaction des allégations des autres transporteurs maritimes selon lesquelles MSC a agressivement proposé des taux très bas dès le début de la crise afin de maintenir sa part de marché.
« Il aurait été crasse (crass) et irresponsable pour un transporteur dans notre secteur d'activité de baisser ses tarifs », a estimé Gianluigi Aponte. Optimiste, il ajoute qu'aucune grande compagnie ne risquait de disparaître du fait des récentes difficultés.
« Je pense que les grands transporteurs sortiront très renforcés » (de cette crise), notait le président avant de conclure que MSC aura « récupéré, en 2010, toutes ses pertes ».
de l'AUTF
Invité à exprimer son sentiment sur les propos du patron du deuxième transporteur conteneurisé du monde en termes de capacité de transport, Phillippe Bonnevie, délégué général de l'AUTF, fait part de sa « surprise, de son étonnement que l'on puisse mettre sur le dos des clients, des conséquences d'une surcapacité en grande partie provoquée par les fournisseurs ». Et ce n'est pas fini : selon les estimations d'Alphaliner de mars, la capacité de la flotte totalement conteneurisée a augmenté de 5,6 % en 2009 ; elle augmentera de près de 9,5 % cette année ; de 10 % en 2011, puis de 5,6 % en 2012. « Et MSC ne fait pas partie de ceux qui ont le moins commandé », souligne Phillipe Bonnevie.
Autre surprise de taille : le plaidoyer en faveur des causes disparues, celle des conférences de la part d'un transporteur qui n'en fit jamais partie ou presque. « Monsieur Aponte a sans doute la reconnaissance du ventre. Les conférences ont peut-être fait la fortune de l'outsider pur et dur qu'était MSC, qui n'avait plus qu'à légèrement sous-coter le tarif conférence pour emporter le booking », se demande Philippe Bonnevie. Il ajoute que MSC étant principalement tourné vers la clientèle des commissionnaires de transport, il est possible que cela explique la remarque sur la recherche effrénée de 50$ à la boîte.
Bref, le « dialogue » client-fournisseur dans la ligne régulière reste invariant.
Des moments rares
Ces déclarations sont exceptionnelles à plus d'un titre : Gianluigi Aponte s'exprime rarement en public et jamais pour critiquer ses clients. Le reproche concernant la course à la part de marché à laquelle se serait livrée MSC ne résiste pas longtemps à l'examen : Eivind Kolding, pdg de Maersk, avait prévenu que la compagnie danoise était déterminée à défendre ses parts de marchés (JMM du 13/3/2009 ; p. 10). D'autant plus que pour bénéficier des économies d'échelle générées par les plus grands porte-conteneurs, ces derniers doivent être chargés au maximum de leur capacité, faute de quoi, ils se transforment en gouffres économiques.
À qui exactement s'est adressé Gianluigi Aponte quand il souligne que MSC aura récupéré tous ses pertes en 2010 ? À ses banquiers ? MSC a bien de la chance, car selon le Lloyd's List du 3 mars, Maersk n'en dit pas autant : « 2010 sera certainement meilleure que l'année précédente. Le secteur des transports peut s'en réjouir, mais il n'a pas de quoi se vanter (not anything to brag about) », a estimé Eivind Kolding. Il est vrai que, cotée en Bourse, la compagnie danoise doit publier ses comptes, ce qui incite à la prudence.
Le gouvernement français devrait avoir une idée précise de la santé financière du groupe MSC car on ne serait imaginer qu'il assure, via la Coface, le financement du neuvième paquebot de l'un des meilleurs clients de la France, sans connaître précisément sa situation financière.