La première étude sur le fret conventionnel menée par Dynamar a été publiée en juillet 2006 à l'occasion du cinquantième anniversaire de la conteneurisation. Au cours de ce demi-siècle, celle-ci a pris des parts de marché dans tous les domaines. « Il ne faut pas oublier que ce sont les navires conventionnels qui ont apporté les machines aux dimensions exceptionnelles en Chine pour son développement économique », rappelle l'étude dans son introduction.
Dynamar range dans la catégorie du conventionnel toutes les marchandises sèches qui ne peuvent pas être conteneurisées. Elles peuvent être soient emballées dans des sacs (big bags), des fûts, des cartons ou n'importe quelles sortes de paquets qui seront chargées indépendamment sur des palettes ou des engins roulants. Les marchandises de colis lourds ou exceptionnels entrent aussi dans le cadre de cette étude. Il peut s'agir notamment de portiques, de parties de vapocraqueur ou même de pales d'éoliennes. Les marchandises roulantes entrent aussi dans cette étude. Enfin, une nouvelle notion a fait son apparition ces dernières années. Les marchandises conditionnées sous des formes trop volumineuses pour être mises en conteneurs sont appelées «neo-breakbulk», comme les balles de coton.
Diverses catégories de navires
Les navires de fret conventionnel participent activement au développement économique. « Comment les économies développées pourraient elles importer des éoliennes et les installer dans des champs off-shore ? », s'interrogent les auteurs du rapport. Alors que certains analystes voyaient dans le conventionnel un secteur rétrograde dont l'avenir était limité, le marché a su surfer sur la vague de la globalisation. « Au final, le conventionnel est devenu aussi essentiel au monde maritime que la conteneurisation. De secteur malade, il est devenu prospère. »
Dans son étude, Dynamar analyse les différents secteurs du conventionnel, depuis les opérateurs disposant de navires conventionnels gréés aux opérateurs de navires cellularisés en passant par les rouliers. Le classement des vingt-cinq premiers armements conventionnels rassemblent des opérateurs de tous les domaines. En termes de capacité, le premier opérateur est Gearbulk qui possède 58 navires pour une capacité de 2,5 Mtpl. Le tiercé de tête continue avec Coscol, filiale du groupe Cosco (70 navires et 1,2 Mtpl) et Saga Forest (25 navires pour 1,17 Mtpl). Au total les 25 premiers opérateurs disposent de 21 % de la flotte totale et 13 % en nombre de navires. Dans ce classement se retrouvent des opérateurs connus pour leur présence dans la conteneurisation. En effet, Delmas, Irisl, Safmarine et Swire Shipping ont gardé une partie de leur flotte de navires conventionnels en plus des porte-conteneurs cellularisés. Dans ce classement, BBC Chartering, Beluga et Clipper Projects font partie des opérateurs qui ont su investir dans de nouveaux navires aux capacités accrues, en vue de prendre des parts dans le marché attrayant des colis lourds et des projets industriels. ScanTrans et Thorco Shipping ont récemment fait leur entrée sur ce segment.
Ces différents armements opèrent deux types de navires, soit des navires conventionnels gréés soit des navires conventionnels disposant d'espaces pour les conteneurs. Ces derniers sont dénommés « Conbulk ». La deuxième catégorie de ces opérateurs comprend les armements rouliers. Avec une flotte de 30 navires pour une capacité de 794 800 tpl, Grimaldi-ACL prend la première place devant Messina (15 navires d'une capacité totale de 351 000 tpl) et NYK-Hinode (14 navires de 281 500 tpl). Ces armements concourent dans plusieurs marchés. Ils sont dans le transport de voitures, d'engins roulants de grandes dimensions ou encore de conteneurs chargés sur des mafis. Leur rampe d'une capacité de 400 t en moyenne leur permet de charger tous les types de marchandises conventionnelles. L'avantage de ces navires est d'offrir un tirant d'eau faible avec une rampe de chargement. Ces navires peuvent donc être utilisés pour des ports difficiles d'accès et charger toute marchandise dès lors qu'elle peut être tractée. Ils sont souvent utiliser par les forces militaires pour se déployer sur les terrains d'action. Si les armements rouliers spécialisés dans le transport de voitures misent actuellement sur des navires de grandes capacités, de 6000 CEU (car equivalent unit) à 8000 CEU, opérant dans le conventionnel misent plus facilement sur des navires de petite capacité d'environ 2100 CEU.
Dans ce champ du conventionnel, le monde du projet industriel et des colis lourds apparaît souvent comme le plus connu. Dans ce marché, le « major » est Shanghai Zhenhua. Cet armement est une filiale du constructeur de portiques chinois ZPMC. Avec 25 navires il offre une capacité de 984 300 tpl. Deux de ses unités sont semi-submersibles et aucune ne dispose de grues embarquées. Ces navires sont principalement affectés à la livraison des portiques directement au quai. Le second opérateur est Dockwise. Dans cette catégorie des navires semi-submersibles, un grand nombre se retrouve aux Pays-Bas. « Situé en dessous du niveau de la mer, ce pays est tout désigné pour être le mieux placé de ce segment », note le rapport de Dynamar. En effet, outre Dockwise, NMA, Fairstar et Rolldock s'inscrivent dans les quinze premiers opérateurs de ce marché. Big Lift et Jumbo Shipping entrent dans ce classement avec une flotte moins importante, mais avec un tonnage total supérieur à 100 000 tpl. Dynamar remarque aussi la présence de l'armement danois Combi-Lift comme « le plus diversifié dans sa flotte ». Les armements asiatiques ne sont pas oubliés. Le numéro un des opérateurs de colis lourds, Shanghai Zhenhua, est chinois. Deux autres compagnies sont sud-coréennes, Dong Bang et Interex Mega. L'étude de Dynamar pointe le doigt sur l'âge de cette flotte. Quelque 57 navires pour une capacité de 1,2 Mtpl, actuellement en opérations, affichent un âge supérieur à 25 ans. Le carnet de commande de cette catégorie est de 46 unités pour une capacité de 1,08 Mtpl. « Il n'existe pas assez de nouvelles constructions pour remplacer les navires promis à la démolition », note Dynamar. Ce constat doit malgré tout être nuancé. Compte tenu des caractéristiques des nouveaux navires en commande, le remplacement de ces navires pourrait se faire par la plus grande productivité des unités à venir.
Autre catégorie de navires opérant dans le conventionnel, ceux affectés au transport de voitures neuves. Les principaux opérateurs sont connus avec en tête de liste, NYK, Wallenius Wihelmsen Logistics, MOL, Eukor et K Line pour donner le quinté dans l'ordre. L'objectif principal de ces armateurs est bien entendu de transporter des voitures depuis le lieu de production au lieu de consommation. « Leur rampe d'accès offre à ces navires la possibilité de charger toute marchandise autre par roulage. Pour la majorité de ces opérateurs, ce fret non roulant ne représente pas plus de 5 % à 10 % », indique Dynamar. En 2009, la baisse de production et de consommation automobile a incité les armateurs à réduire leur voilure sur leurs lignes régulières. En milieu d'année, selon le consultant néerlandais, 68 navires de ce type ont été désarmés. De plus, en octobre, les chantiers ont annoncé avoir reçu l'annulation de la construction de 40 navires et la mise en attente de 25 navires sur une période de neuf mois. À titre d'exemple, Hoegh Autoliner a annulé la commande de six unités dont deux de 7200 CEU. Selon Dynamar, même si les échanges d'automobiles repartent à la hausse, ces opérateurs conserveront une part de trafics conventionnels pour compléter leurs fonds de cales.
Les pools de reefers
Pénultième catégorie d'armateurs étudiée dans ce dossier, les navires reefers. Ces navires sont destinés en premier lieu à transporter des marchandises sous température dirigée. Fruits, légumes et viandes sont, bien entendu, les premiers concernés. Pour remplir leurs cales dans les deux sens des lignes régulières, ils n'hésitent pas à venir draguer sur le marché du conventionnel traditionnel. Le meilleur exemple est Carmel, qui transporte les fruits et légumes d'Israël vers les marchés d'Europe occidentale. En retour, il charge des voitures ou des palettes pour le marché israélien. La combinaison idéale pour rentabiliser la ligne. La particularité de ces navires est d'être entre les mains d'armateurs mais d'être opérés, la plupart du temps par des « pools ». Ainsi, une partie des navires de Laskaridis Shipping Company sont exploités dans le cadre d'Alpha Reefer Pool, qui comprend entre autres Limarko, JSC Ships Service Riga Transport Fleet et Yugreftransflot. Une autre partie des navires de Laskaridis Fleet Company est exploitée en propre. Dans ce contexte, la taille de la flotte des opérateurs est surtout à jauger à l'aune des « pools » plus que des armateurs. Les changements fréquents de ces alliances empêchent une photographie précise de ces regroupements. À considérer les armements en propre, la principale flotte de navires reefers est aux mains de Seatrade qui possède 127 navires d'une capacité de 1,1 Mtpl. Le deuxième est loin derrière. NYKCool AB, regroupement des flottes de NYK et de Lauritzen Cool, aligne 46 navires d'une capacité de 526 000 tpl. Le troisième, Star Reefer, propose une flotte de 477 900 tpl, soit 42 % de la flotte de Seatrade. L'avenir de ce type de navire est souvent mis sur la sellette. Une partie des trafics opérés, notamment les fruits et légumes, utilisent de plus en plus souvent des conteneurs pour acheminer leur production. L'exemple marquant de cette évolution se retrouve dans la banane antillaise. Les producteurs ont longtemps employé ce type de navires avant de préférer des conteneurs ventilés à bord des PCRP (porte conteneurs réfrigérés polyvalents) pour exporter aujourd'hui leurs marchandises sur des porte-conteneurs traditionnels dans des boîtes sous température dirigée. « En 2008, sur les 155 Mt de produits périssables, les navires reefers en ont transporté 44 %. Le solde l'a été par des porte-conteneurs. »
Cette étude de Dynamar met aussi l'accent sur les opérateurs de, porte-conteneurs dont nous avons régulièrement traité les capacités à prendre des marchandises autres que les boîtes. Avec la baisse des trafics mondiaux en 2008 et 2009, les armateurs ont investi dans des boîtes « High cube » pour prendre des parts de marché. « L'intérêt pour le conventionnel devrait disparaître avec le retour d'une plus grande utilisation de ces navires à leurs marchés traditionnels », note Dynamar. D'autant plus que des P&I Clubs (mutuelles d'armateurs), ont souligné que le chargement de marchandises conventionnelles sur ces navires nécessite des modifications des structures des cales. Il n'en demeure pas moins que ces navires cellularisés présentent des avantages pour des marchandises particulières comme les tubes ou éléments de pipelines.
Hervé Deiss