Journal de la Marine Marchande : Le fret prend une part importante chez Brittany Ferries. Quel bilan peut-on tirer de l'année passée avec les effets de la crise économique et la baisse de la £ ?
Fabrice Vennarucci : Brittany Ferries n'a pas le même modèle économique que ses concurrents du détroit. En effet, bien qu'en augmentation ces dernières années, le trafic de fret ne représente qu'un quart du CA annuel du groupe, alors que chez les compagnies basées dans le nord de la France, il avoisine 60 % voire 70 %. Bien que la baisse générale du trafic de marchandises soit une triste réalité en particulier pour Brittany Ferries, reste moins affecté que ses confrères offrant leurs services sur le détroit.
En 2008, le trafic fret total transmanche a régressé de 5,3 % passant de 4,1 millions de véhicules à 3,9 millions ; le détroit est en retrait de 5,6 %, alors que la Manche Ouest et Centrale ne recule que de 1,1 % pour atteindre 305 000 véhicules. Brittany Ferries, en recul de 6,7 %, a transporté 214 000 de ces 305 000 véhicules fret.
Toutefois, au-delà de la baisse générale des trafics fret, nous sommes également confrontés à un renforcement des capacités chez nos concurrents au Havre avec la mise en service à un moment difficile, d'un second navire.
Malgré cela les clients transporteurs qui utilisent les routes de l'Ouest continuent de témoigner leur confiance à Brittany Ferries.
Cela fait maintenant 36 ans que nous opérons sur les lignes de l'Ouest et c'est un gage de garantie de continuité de service pour nos clients.
Ils savent, ne serait-ce que par notre attachement historique aux régions que nous desservons, que nous avons également un rôle d'aménageur du territoire.
Au fur et à mesure de l'évolution du marché, et bien entendu de nos moyens financiers, nous continuons de mettre en service de nouveaux navires, comme l'Armorique, avec à chaque fois, plus de capacité et plus de confort pour nos passagers.
JMM : L'Armorique : quels sont les avantages que les transporteurs routiers vont trouver dans ce navire ?
F.V. : L'Armorique, c'est d'abord une capacité fret accrue sur la ligne Roscoff-Plymouth. Pour les utilisateurs réguliers de la ligne, cela représente une économie considérable de pouvoir passer toute l'année sur cette ligne, plutôt que de devoir se dérouter sur Cherbourg ou Saint-Malo à cause du manque de place à Roscoff.
Quant aux conducteurs, ils retrouveront à bord de ce ferry de dernière génération, toute la palette de services qui leur permet de profiter pleinement de la traversée. (Restaurant self service, espace privatif accessible grâce à leur clé de cabine, salon de lecture, bar, boutiques, salle de jeu, cinémas, connexion WiFi par satellite...)
C'est également un avantage important pour les producteurs de légumes de la région, que d'avoir à leur porte un service de transport maritime qui leur permette d'exporter leur produit à des prix compétitifs.
JMM : Est-il cohérent, en pleine déprime économique, d'aligner un navire « géant des mers » ?
F.V. : La décision de faire construire un navire se prend trois ans avant sa livraison effective et nous devons penser à des navires qui auront une durée de vie d'environ 25 ans dans notre compagnie. C'est un investissement sur le long terme. La période difficile que nous vivons ne doit pas nous empêcher de préparer l'avenir. Et tous les experts seront d'accord avec moi quand je dis que la crise actuelle ne durera de toute façon pas 25 ans !
JMM : Les premiers mois de 2009 laissent présager d'une année difficile. Quelles sont les premières tendances sur ce marché de la Manche occidentale ?
F.V : 2009 a démarré très difficilement. Deux raisons principales à cela : d'abord la crise économique mondiale, mais aussi la faiblesse de la £.
Il y a beaucoup moins à transporter vers le Royaume-Uni qui, du fait de la faiblesse de sa monnaie oriente ses achats vers des pays hors zone euro, et les quelques retours vers le continent, payés en livre sterling, font que la destination n'est plus attractive pour de nombreuses entreprises qui préfèrent organiser leurs transports vers des pays de la zone euro afin d'éviter la perte de change.
Pour le fret chez Brittany Ferries, c'est la double peine. D'une part il y a moins de montées et de l'autre, il y a moins de retours, car les transporteurs utilisent plus volontiers le détroit afin de recharger dans le Nord de la France, en Belgique ou aux Pays-Bas.
JMM : En 2008 Brittany Ferries a fêté les 30 ans de la ligne d'Espagne. En 2009, le gouvernement souhaite mettre en place les autoroutes de la mer. Existe-t-il véritablement un marché économique des autoroutes de la mer en Europe de l'Ouest ?
F.V : Bonne question. Brittany Ferries a déposé une offre de service entre la France et l'Espagne qui n'a pas été retenue. C'est donc que nous pensons qu'il existe un potentiel de trafic que l'on pourrait transférer de la route vers la mer.
Tout le problème est l'équilibre économique et écologique d'un tel système.
Remplacer un vecteur de transport comme le camion, qui donne entière satisfaction aujourd'hui, ne peut se faire qu'en proposant quelque chose de mieux.
Les autoroutes de la mer n'auront de succès que si elles sont compétitives face à la route tant au niveau des coûts qu'en matière de fréquence et de flexibilité.
De toute manière leur mise en service devra être accompagnée de mesures incitatives pour les transporteurs et d'aide à l'investissement pour les opérateurs.
L'exemple récent de l'arrêt de la ligne Toulon/Civitavecchia montre malheureusement toutes les limites d'un système qui, bien qu'aidé, n'a pas réussi à trouver son équilibre.
Brittany Ferries : Le fret perd
Brittany Ferries a présenté ses résultats annuels lors de son assemblée générale du 21 mars. Le chiffre d'affaires du groupe s'élève à 374,5 M¤, en baisse de 2,14 %. Le résultat s'établit à 4,5 M¤, soit une baisse de 87,8 %. L'activité touristique s'est bien comportée. Avec un trafic de 2,74 millions de passagers, en progression de 2,8 % et de 823 000 voitures particulières, en hausse de 6,4 %, l'armement revient au niveau de son activité 2005-2006. Le bât blesse sur le fret. Avec un trafic de 232 000 véhicules, Brittany Ferries affiche une diminution de 1,5 %. Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ceux du marché de la Manche ouest et centrale (hors lignes longues sur l'Irlande et l'Espagne), qui affiche une progression globale. Sur les passagers, Brittany Ferries a gagné 2,2 % sur ce secteur de la Manche occidentale et centrale alors que le marché n'a progressé que de 1,1 %. Pour les véhicules de tourisme, la progression de Brittany Ferries augmente de 5,8 % contre 3,2 % pour le marché général. Enfin, sur le fret, l'armement breton accuse un retrait de 3,9 % quand le marché affiche un résultat positif de 0,3 %.
Sur les liaisons plus longues, les situations s'inversent. Ainsi, sur l'Irlande, quand Brittany Ferries perd 3,2 %, le marché général gagne 1,5 %, lié certainement à l'arrivée de nouveaux opérateurs et à l'effet Oscar-Wilde. Sur les véhicules de tourisme, l'armement de Roscoff gagne 1,5 % contre une progression de 2,3 % pour le secteur en général. Enfin, sur le fret, Brittany Ferries augmente de 9,9 % quand le marché ne progresse que de 4,9 %. Enfin, sur l'Espagne, l'armement enregistre des progressions supérieures à celles du marché général. Des chiffres satisfaisants pour la compagnie bretonne. « Les résultats positifs de l'exercice témoignent de l'efficacité de la stratégie et de la politique commerciale menées par la Compagnie », a souligné Jean-Marc Roué lors de cette assemblée générale. Si les chiffres 2008 sont parfois en demie teinte, Brittany Ferries n'en demeure pas moins un acteur de premier plan sur la Manche occidentale et centrale. En 2007, l'armement a ouvert une nouvelle ligne hebdomadaire entre Poole et Santander assurée par le Cotentin. Une rotation dédiée uniquement au fret. « Au final, depuis 2003, nous avons développé nos activités fret à un rythme supérieur à celui du marché transmanche », a rappelé le président de l'armement. Lors de la présentation de ces chiffres, le président de l'armement n'a donné aucun nouveau commentaire sur le dossier SeaFrance.