La direction de SeaFrance a de nouveau convoqué une réunion de comité d’entreprise le 25 février, pour lui demander d’une part de se prononcer sur le plan de redressement, d’autre part pour demander son avis sur le lancement d’une procédure de chômage partiel. Le CE, de son côté, a demandé une contre-expertise financière au bureau Secafi Alpha, qui doit rendre sa copie le 16 ou le 17 mars. D’ici là, on voit donc mal comment le plan de redressement pourrait concrètement être lancé, sans violer le code du travail maritime. Mais la SNCF, qui, selon le directoire de SeaFrance, assure les fins de mois de la compagnie, pourrait en décider autrement.
Par exemple, en trouvant un repreneur. « La SNCF croit en l’avenir de SeaFrance sur le marché du transmanche, et entend bien soutenir, dans le cadre de sa responsabilité d’actionnaire unique, toutes les actions qui assureront sa pérennité. (…) la SNCF tient à indiquer qu’à ce jour, elle n’a reçu aucune offre formelle et engageante de reprise de SeaFrance et /ou de ses personnels ». (…) Celles-ci « seront examinées avec le plus grand soin, notamment au regard de leurs effets sur l’emploi ». Enfin, la SNCF « rappelle que la gravité de la situation nécessite une réaction rapide ».
Ainsi réagissait, le 19 février, la SNCF aux déclarations successives de Daniel Percheron, président du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais et de Pierre Gehanne, président de LD Lines et directeur général de Louis Dreyfus Armateurs. Le 17 au soir, Daniel Percheron a déclaré, en fin de séance plénière du conseil régional, que LD Lines est prêt à reprendre les personnels salariés de SeaFrance, avec leur statut, pour desservir la ligne Calais-Douvres. Il a ajouté que la région était prête à s’associer à une réflexion, et « s’il le fallait à une action », pour sauver le pavillon français sur le transmanche.
Devant les difficultés de SeaFrance, les appétits s’aiguisent. Déjà sur les rangs depuis de nombreux mois, LD Lines propose une approche industrielle de la reprise de SeaFrance. « Nous observons de nombreuses synergies avec cet armement, indique Pierre Géhanne. Nous avons remis une offre à la SNCF qui consiste à créer un Grand SeaFrance issu de la fusion entre les activités des deux armateurs. » L’entité disposerait du plus important réseau sur le transmanche. Son siège social serait à Calais. Ce réseau reprendrait une partie de la flotte de SeaFrance qui pourrait être redéployée sur les lignes actuelles de LD Lines, « entre Boulogne et Douvres certainement mais aussi sur d’autres segments de notre armement », continue Pierre Géhanne.
Repli défensif
Après des mois de rumeurs, amplifiées et précisées début janvier, le directoire de SeaFrance présente sa vision de la situation, et un plan de redressement, le 17 février, en comité d’entreprise extraordinaire. La veille, le Conseil de surveillance lui a donné blanc-seing pour agir. Le directoire propose une très forte réduction de voilure: descente de 23 à 14-15 départs par jour, réduction de la flotte aux SeaFrance-Rodin, Berlioz et Molière et suppression de 650 emplois sur 1600, bien plus que le désarmement des Cézanne et Nord-Pas-de-Calais ne l’exige. Selon nos informations, cette potion amère se traduirait par une baisse de chiffre d’affaires de 223 M€ en 2008 à 164 M€ en 2010, soit plus de 26 % de chute. C’est plus que le marché ne demande, avec ses 23 % de baisse au début de l’année. Les économies de charges seraient de l’ordre de 80 M€, ce qui assurerait le retour à l’équilibre, après 20,91 M€ de pertes en 2008, et des pertes actuelles de 3 M€ par mois, selon le directoire.
Ne pas dépavillonner
L’aspect social n’est pas négligeable dans ce dossier. Les 650 emplois menacés de SeaFrance ne sauraient être sauvés entièrement, selon Pierre Géhanne. « Il s’agit de réserver plusieurs centaines d’emplois selon le nombre de navires que nous pourrons conserver et transférer sur nos activités. Notre objectif n’est pas de dépavillonner les navires de SeaFrance mais plutôt de faire de cette entité une compagnie française leader et compétitive avec le soutien des partenaires sociaux », insiste le directeur général de LDA. La direction générale de LD Lines se réfère à ses actions entreprises lors de la reprise de Transmanche Ferries. « Nous avons travaillé en véritable partenariat avec les syndicats. » Un point de vue partagé par les responsables de la CFDT maritime de Normandie. « Nous ne sommes pas étonnés de la position de la direction. Depuis plusieurs mois, elle ne cache pas ses ambitions de prendre pied sur le détroit du Pas-de-Calais », indique un responsable de la CFDT Normandie. Le syndicaliste se montre pragmatique. « Nous attendons de voir le projet industriel de LD Lines avant de nous prononcer. Si l’objectif de maintenir une présence du pavillon français sur ce marché se concrétise, nous serons rassurés. De plus, cette reprise ne doit pas avoir d’effet sur les lignes existantes. »
À la CFDT, les responsables espèrent que ce projet puisse aussi permettre une avancée sur la mise sous pavillon français des navires opérant en transmanche pour LD Lines. « Dans ce domaine, souligne Pierre Géhanne, nous n’avons de leçon à recevoir de personne. Nous sommes le plus important employeur d’officiers français. Il faut se prémunir de toute position dogmatique. » LD Lines appelle à une prudence sur ce dossier afin « d’éviter un plan social dramatique dans une région déjà gravement touchée par la crise. »
La reprise de SeaFrance n’est pas l’exclusivité de LD Lines. D’autres opérateurs souhaitant diversifier leurs activités vers ce secteur regardent avec attention. Brittany Ferries se dit intéressé. « Nous y regarderons dès lors que l’ouverture du dossier sera confirmée », assure la présidence de l’armement. D’autres noms circulent.