Le 17 février 2006, l'équipage du porte-conteneurs français de 8 238 EVP (théoriques) "constate la perte de 50×40′ ainsi que l'affaissement et le ripage de 20 autres, tous situés sur l'arrière des superstructures à tribord". Le Bureau enquêtes accidents mer (BEAmer) a diffusé début octobre son rapport d'enquête technique sur cette avarie. Le 17 février donc, le navire doublait le Cap Finisterre faisant route au 27o. Il tanguait et roulait sur une mer "devenue très forte". À la même époque, un autre porte-conteneurs perdait deux conteneurs dans le golfe de Gascogne; six autres s'effondrant sur le pont. Le 18, un 3e porte-conteneurs perdait 77 boîtes dans la même zone; 55 autres étant endommagés. Le BEAmer estime cependant que "les conditions météorologiques, ainsi que le constate le bord lui-même, n'avaient rien d'exceptionnel dans cette région et à cette époque, mais induisaient des mouvements de plate-forme significatifs". Ce sont ces mouvements que le système de saisissage des conteneurs en pontée n'apprécie pas, surtout lorsque les boîtes sont en surcharge et que les porte-conteneurs sont de grande taille. Le BEAmer semble ainsi mettre en cause tous les acteurs du transport maritime conteneurisé en commençant par les chargeurs.
DES TWIST LOCKS SOUVENT EN MAUVAIS ÉTAT
Revenons au verrouillage des boîtes. À plat pont, leurs pièces de coin sont verrouillées sur des "cônes" soudés sur les panneaux de cales, et par des verrous manuels, sur le pont. Au-dessus du premier plan, tous les conteneurs de l'Otello étaient verrouillés avec des verrous automatiques. Système qui évite toute intervention humaine; ce qui limite les risques pour les dockers, les coûts et les pertes de temps. Il présente toutefois "plusieurs inconvénients", note le BEA: l'usure ou la déformation des pièces du verrou peuvent s'ajouter au jeu dans les pièces de coin. Jeu qui peut s'aggraver "dangereusement" au gré des mouvements de plate-forme. Le BEA note que "ces verrous, une fois à poste, ne se voient pas, qu'ils soient ou non en place. On observe souvent la chute de verrous (de type) TA, mal positionnés par les dockers.
Enfin, le déchargement est lui aussi automatique. On constate qu'il suffit d'une traction du palonnier à peine supérieure à celle à exercer pour le levage, pour dégager la "pièce biseautée" (celle qui verrouille), ce qui peut donc se produire sous l'effet des accélérations transversales, voire des vibrations, plus sensibles à l'arrière des porte-conteneurs du fait des formes assez plates de la voûte, pour désengager les verrous T4. C'est ainsi qu'on a souvent observé, au dégagement des verrous ouverts. Des contrôles MOU (contrôle des navires par l'État du port), il résulte que l'état des verrous T4 est considéré comme très médiocre".
UNE SITUATION AGGRAVÉE PAR LE SAISISSAGE
Outre les verrous, les trois premiers plans de conteneurs sont saisis par des barres métalliques dont l'une des deux extrémités est fixée sur le pont. "Des inspections MOU, il ressort que dans 10 % des cas, le saisissage n'est pas conforme au manuel et que dans 30 % des cas, la qualité du matériel est considérée comme moyenne à médiocre".
Les formes de la coque des grands porte-conteneurs favorisent la survenance "d'importantes variations de stabilité, exprimées par un GM fluide"; ce qui peut générer des rappels brutaux au roulis. Ces grands navires "ondulent" également facilement.
Dans le cas spécifique du désarrimage de l'Otello, "il semble bien que la cause essentielle tienne aux verrous automatiques: soit du fait de leur absence; soit du fait de leur sortie de la pièce de coin, le jeu lui-même dû à l'usure / érosion de la pièce ayant pu entraîner son dégagement sous de faibles accélérations générées par le tangage, prédisposant certaines piles à basculer ensuite lorsque survint un roulis prononcé", conclut le BEA.
Il constate cependant que CMA CGM a remplacé tous les verrous automatiques par des semi-automatiques, "en fait des manuels". "Exception faite de l'erreur humaine et des jeux entre les différents éléments, il est ainsi possible de s'assurer de la solidarité des conteneurs entre eux, ce qui n'était pas le cas avec les verrous T4 dont le rôle était en fait et principalement d'éviter le ripage des conteneurs", estime le BEA. Il note que, demandée par CMA CGM, une expertise a "mis en cause la conception des verrous automatiques". Les résultats de l'expertise concernant les poids réels des conteneurs ne sont pas disponibles.
Dès lors pourrait se poser une question soulevée par le North of England P&I Club en juillet dernier (JMM du 31-8-2007, p. 11): l'arrimage respectait-il bien les règles du manuel de saisissage des cargaisons? Si non, le navire peut être considéré comme n'étant pas en état de navigabilité. Mais cet aspect du dossier n'est pas de la compétence du BEAmer.
Nombreux conteneurs en surcharge
Selon le rapport du BEAmer, “il apparaît que de nombreux conteneurs sont en surcharge (18 %, de plus de 6 t…) ce qui a des conséquences sur la stabilité du navire, sur la résistance des conteneurs placés en dessous et sur les accélérations lorsqu'ils sont placés en haut de pile. Seul le portiqueur connaît le poids réel, mais il ne peut le faire savoir et, de toute façon, ne connaît pas le poids déclaré”. Cette suspicion sur le poids réel des conteneurs n'est pas nouvelle, mais elle tarde à trouver une solution pénale, commerciale ou technique; comme si les compagnies ne s'y intéressaient pas.