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Le 17 octobre 2006, à 6 h 55, le transbordeur à passagers britannique Mærsk-Dover de 186 m de long appareille de Douvres pour Dunkerque avec 64 membres d’équipage et 135 passagers. En 1 h 30, il doit traverser l’un des détroits les plus fréquentés au monde: chaque jour, 400 navires empruntent son dispositif de séparation de trafic (DST) dans le sens longitudinal et une centaine le traversent. Le commandant est à la passerelle avec un officier et un timonier à la barre. La manœuvre terminée, les passes franchies et la machine en régime de montée en allure, le 2e officier arrive de la manœuvre arrière pour prendre le quart. Le navire approche déjà la voie "descendante" qu’il devra traverser avec un angle le plus proche possible de 90o. Le commandant et l’officier "repèrent" un passage possible entre deux groupes de navires, puis le commandant quitte la passerelle à 7 h 14, laissant seuls l’officier et le timonier, veilleur qualifié qui continue à s’adonner aux tâches de propreté. À 7 h 26, l’attention de l’officier de quart est attirée par une alarme provenant de la console radio/GMDSS située, comme souvent sur ces "passerelles intégrées", sur l’arrière de la timonerie, d’où la visibilité vers l’avant est réduite. Il s’agit en fait d’un message télex du service technique de l’armement émis par Inmarsat C.

À 200 M DU PETROLIER…

Bien qu’il n’y ait pas d’urgence, l’officier de quart appelle à 7 h 31 le commandant pour lui en faire part en utilisant le combiné situé à proximité du fauteuil de quart, donc sur l’avant, mais en demeurant assis sur le repose-pieds de ce fauteuil. Les consoles de navigation lui limitent alors largement la visibilité vers l’avant. Le timonier continue, lui, à faire la propreté. Et le ferry poursuit la traversée du DST.

À 7 h 35, alors que le navire approche de la voie "montante", à 21 nœuds, sans veille, ni optique ni radar pendant au moins neuf minutes (soit un parcours de 3,5 milles nautiques), un appel VHF lui parvient du VLCC grec chargé Appolonia de 333 m de long, 16 nœuds, portant les marques d’un navire handicapé par son tirant d’eau, lui signalant qu’ils vont passer trop prés l’un de l’autre.

L’officier de quart "découvre" alors ce navire, ainsi qu’un autre, le porte-conteneurs Mærsk-Vancouver, pavillon Gibraltar, 21,2 nœuds, qui double le VLCC en passant sur le bâbord du pétrolier. Les deux navires sont situés à 40/50o sur le tribord du ferry. Le porte-conteneurs émet cinq coups de sifflet brefs, signalant ainsi une inquiétude majeure.

L’officier de quart du ferry ne les voit pas sur le radar bâbord. Se rendant compte qu’il est trop tard pour les parer en venant à droite pour passer sur leur arrière, après quelques évolutions de faible, importance sur la droite, il décide de passer sur l’avant du Maersk-Vancouver puis, aussitôt après de manœuvrer pour passer sur l’arrière du pétrolier. À 7 h 37, il demande au timonier de prendre la barre et lui donne des instructions sous cette forme: "Gouvernez pour passer sur l’avant du premier navire et sur l’arrière du second." Aucune indication d’angle de barre ni de cap.

C’est ainsi qu’il passe 1 000 m devant le porte-conteneurs et 200 m sur l’arrière du pétrolier. L’Appolonia, ayant cru que le Maersk-Dover – lorsqu’il venait légèrement sur la droite – venait en fait sur la gauche, amorçait, lui, une manœuvre sur la droite se préparant sans doute à une giration de 360o, heureusement avortée.

LES CAUSES DIRECTES

Selon la chronologie établie par la MAIB, plusieurs faits peuvent être relevés.

D’abord, eu égard au peu de temps qui s’écoule entre l’appareillage et la traversée du DST, l’officier de quart aurait dû avoir son poste de manœuvre à la passerelle pour mieux assurer la continuité de sa tâche. Le timonier veilleur, lui aurait dû être affecté à la seule veille, en fronton, dès l’appareillage. Et avec sept officiers travaillant 12 h/12 h, pendant deux semaines sur quatre, on peut penser que, même si le commandant effectue toutes les nombreuses manœuvres de port (il a généralement une licence de capitaine-pilote), il pourrait davantage "participer" à la traversée du DST. À défaut, un autre des officiers pourrait doubler le quart durant ces périodes (les quarts de paquebots transatlantiques, autrefois bien sûr, étaient assurés par deux officiers en plus des veilleurs).

L’armement de la passerelle en période d’obscurité, par un officier et un veilleur (comme pour tous les autres navires) paraît insuffisant, surtout pour un navire à passagers traversant le DST. Ainsi un commandant d’un navire russe, expliquait-il dans un tout autre contexte, qu’il ne quittait pas la passerelle pendant tout le transit longitudinal dans le DST;

"L’alarme" SAT C, n’étant en fait qu’un signal d’appel, en navigation dans une telle zone, on ne devrait répondre qu’aux messages de détresse ou d’urgence. Ceux-ci seraient alors émis par VHF et reçus sur les récepteurs de la console de navigation, en fronton. En tout cas, il ne fallait pas s’installer devant une console située à l’arrière de la passerelle. De plus, l’information du commandant ne paraissait pas urgente. Dans le cas contraire, il fallait l’appeler à la passerelle, mais sûrement pas l’appeler par téléphone en prenant une position incompatible avec la veille.

L’absence d’image des navires traversiers sur le radar bâbord est, elle, due à un défaut du "tuning automatique". Nonobstant le fait qu’il fallait aussitôt se reporter sur le radar tribord, on observe que:

• le radar bâbord aurait du être réglé, comme celui de tribord, avant l’appareillage;

• trop sophistiqués, ces équipements demandent trop de manipulations informatiques pour un réglage d’urgence;

• passer en manuel eut été la meilleure solution mais encore fallait-il avoir ce réflexe (comme celui de passer, en manuel également, en cas d’avarie de télécommande du gyropilote);

• une formation de trois jours pour un équipement dont le mode d’emploi comporte 1 500 pages paraît un peu inadaptée, à moins de s’attacher aux seules fonctions d’urgence.

Les légers changements de cap sur la droite, au gyropilote, ne pouvaient pas être perçus, ou avec retard, par les deux navires traversiers. Seul l’AIS permet de détecter instantanément un changement de cap, mais encore fallait-il que ces navires en fussent dotés.

LES CAUSES PLUS GÉNÉRALES

Mais cet incident relève aussi de causes plus générales. Parmi celles-ci, on peut souligner la difficulté à recruter des officiers suffisamment qualifiés et expérimentés pour un tel trafic, ce qui génère de surcroît des difficultés pour les promotions. En outre, l’augmentation des "vitesses de rencontre" peut atteindre une cinquantaine de nœuds pour des navires contrebordiers.

Et l’accumulation de documentation se révèle finalement peu efficace. S’agissant de la veille et des manœuvres pour éviter les abordages on note: Colreg; STCW; ICS Bridge Procedures; l’inévitable code ISM qui prévoit tout… à condition de retrouver à temps la fiche qui va bien; les instructions de l’armateur (l’officier de quart doit être familiarisé avec les équipements; il faut réduire les occasions de distraction, il fallait utiliser le radar tribord, le seul interfacé avec l’enregistreur des données de navigation (1); les ordres du commandant qui prescrivaient de ne pas passer à moins d’un mille sur l’avant et à un demi-mille sur l’arrière d’un autre navire; etc.

Cette "étonnante" situation rapprochée, parmi tant d’autres, présente l’avantage d’avoir pu être analysée rapidement par la MAIB, sur demande du VTS de Douvres, bien qu’elle se soit produite dans le rail montant qui est de compétence française. Cela dit, que peut-on réellement faire pour limiter des comportements aberrants comme s’asseoir derrière une console de navigation pendant que l’homme de barre fait le ménage, au milieu du Pas-de-Calais?

Cette boîte noire a fourni des images radar tout aussi édifiantes que le dialogue « informel » entre l’officier et l’homme de barre.

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