Sous le nom "Healing ours Waters-Great Lakes Coalition", un regroupement de 90 associations de protection de l’environnement vient de demander au Congrès américain de décréter un moratoire sur le trafic international sur les Grands Lacs. Et ceci en attendant de trouver une solution aux introductions d’espèces étrangères ou à la prolifération d’espèces envahissantes dans ces immenses réservoirs qui représentent 18% de l’eau douce mondiale, à cheval sur les États-Unis et le Canada. Ils réclament dans l’intervalle l’utilisation de modes de transport alternatifs. Ils chiffrent cette mesure à US 55 M$ par an (40,1 M€) pour le transbordement et l’utilisation de laquiers (navires adaptés à la navigation dans les Grands Lacs dont les dimensions sont appropriées aux écluses, soit 222,5 m de long pour 23,1 m de large) et barges, du rail et de la route.
Les associations de protection de l’environnement, comme les riverains, s’inquiètent des effets dévastateurs de la situation actuelle sur les écosystèmes, les eaux potables, les industries touristiques (baignade, pêche, etc.) et des coûts engendrés pour restaurer les milieux. Si le mouvement "Healing ours Waters-Great Lakes Coalition", crée en 2005, est majoritairement composé d’associations américaines, certains de ses membres, tels Great Lakes United ou Save the River, sont canadiens, ou débordent largement sur le Canada. Et cette coalition indique avoir réfléchi sérieusement avant d’appeler au moratoire, une idée en gestation depuis plusieurs années, mais qu’elle se refusait à porter jusque-là. La situation se dégradant, elle s’y est résolue. Pourtant, selon un récent rapport des deux gouvernements fédéraux, la santé des Grands Lacs s’est globalement améliorée ces dernières années: moins de produits toxiques déversés, amélioration de l’assainissement des eaux... Toutefois, des préoccupations demeurent comme la présence de 300 espèces envahissantes ou étrangères aux comportements destructeurs. Selon "Healing ours Waters-Great Lakes Coalition", 60% de ces espèces proviennent des eaux de ballast véhiculées par les navires océaniques. Une nouvelle est découverte toutes les 28 semaines. Le coût généré s’élèverait annuellement à 5 Md$ (3,6 Md€).
INTÉRDICTION HYPOTHÉTIQUE
Interrogé, le gouvernement canadien affirme se préoccuper de la santé des Grands Lacs, preuve en est la nouvelle réglementation entrée en vigueur il y a quelques mois sur les eaux de ballast (JMM 29-06-2007, p. 12). Il n’appuie évidemment pas la demande de moratoire et refuse de spéculer sur une hypothèse. Il considère au final "le trafic maritime comme une composante importante de l’économie canadienne, posant peu de risques s’il est géré de façon responsable".
Richard Korfe, à la tête de la direction de la Corporation de gestion maritime du Saint-Laurent, ne s’inquiète pas non plus d’un éventuel moratoire. "Il n’y a pas grand risque. Le réseau Grands Lacs-voie maritime est une organisation binationale depuis les années 1950 et les États-Unis ne peuvent changer les règles de façon unilatérale." Il voit même de manière positive cette pression sur le Congrès si elle accélère la définition d’un standard technique pour le traitement des eaux de ballast. Les États-Unis et le Canada n’ont en effet pas entériné le standard de l’OMI, considérant que celui-ci n’était pas assez strict, sans pour autant définir de normes. C’est l’US Coast Guard qui en a la responsabilité et travaille dessus. "Nous avons besoin de ce standard pour que les technologies soient développées, note Richard Korfe. On a fait beaucoup de choses, comme d’imposer un plan de gestion des eaux sur le navire, le contrôle de la salinité, etc., mais il manque le dernier morceau du puzzle. Des compagnies sont prêtes à investir, encore faut-il savoir sur quoi travailler. Si la demande de moratoire permet d’avancer, tant mieux."
ÉVITER HUIT LÉGISLATIONS
De toute façon, impossible pour lui d’imaginer perdre le trafic international, qui représente un tiers de la clientèle de la voie maritime. Au-delà du business proprement dit, il trouve illogique de transférer sur route et rail les cargaisons, créant de nouvelles congestions et d’autres impacts environnementaux. Concernant les arguments écologiques, pourquoi le moratoire se limiterait-il aux Grands lLacs? Dès la ville de Québec, le Saint-Laurent est un fleuve d’eau douce. Il faudrait donc arrêter les navires océaniques à ce niveau.
L’urgence est bien, selon Richard Korfe, d’avoir une législation claire au niveau fédéral. Pour éviter un risque immédiat: la définition de contraintes locales. "Nous ne voulons pas huit législations. Ce n’est pas tenable", explique-t-il fermement. En effet, les états du Minnesota, du Wisconsin, de l’Ohio et de New York étudient actuellement des règlements. Ils suivent ainsi l’exemple du Michigan qui a édicté sa propre loi au 1er janvier dernier. Elle oblige les navires à prouver qu’ils traitent leurs eaux de ballast pour obtenir un permis de passage. Un regroupement d’armateurs internationaux a intenté une poursuite devant les tribunaux, contestant la constitutionnalité du texte. Parallèlement, ils demandent eux-mêmes la définition d’un standard fédéral. Ce pourrait être une question de mois seulement. Plusieurs projets étant à l’étude, une décision de États-Unis pourrait intervenir avant fin 2007. Selon toute vraisemblance, le Canada emboîtera le pas.