Pour la première fois en Europe, un système automatique, à ventouses, vient de remplacer depuis quelques mois, l'utilisation des aussières traditionnelles sur deux des postes à ferries du port de Douvres. Développé depuis 1999 par la société néo-zélandaise Mooring Systems Ltd (MSL), il est déjà utilisé avec succès dans plusieurs ports de ce pays ainsi qu'en Australie.
Son principe est des plus simple. Le système MoorMaster est constitué de plusieurs séries de ventouses qui, sous l'action du vide, maintiennent fermement le navire à quai. Actionnées à terre ou depuis la passerelle du navire, les ventouses s'agrippent au plus près de la ligne de flottaison et coulissent pour pouvoir s'adapter aux variations de tirants d'eau et des marées, en réagissant aux mouvements du navire. "L'unité d'amarrage amortit les forces en suivant toujours les déplacements verticaux, horizontaux et latéraux de la coque", détaille John Clark, directeur de développement chez MSL. Chaque unité représente une puissance d'amarrage comprise entre 40 et 80 t, selon les modèles. Entre deux et six unités sont installées à quai, en fonction des conditions nautiques propres à chaque port et de la taille des navires accostés. Le système est si puissant, qu'il autorise même l'accostage de navires plus long que le quai lui-même. Comme c'est actuellement le cas dans le port néo-zélandais de Picton.
"L'idée de départ était de créer un système d'amarrage moderne répondant aux exigences d'efficacité, de rapidité et de sécurité et du monde maritime d'aujourd'hui", précise encore John Clark.
MÆRSK INTÉRESSÉ
Aujourd'hui, la société néo-zélandaise semble enfin toucher au but, en commençant à intéresser sérieusement les ports et les compagnies maritimes. "Nous allons réaliser d'importants essais en septembre prochain sur les terminaux omanais de Salàlah, pour le compte de Mærsk Lines", tient à faire savoir MSL. Quelques mois seulement après avoir convaincu les autorités portuaires de Douvres d'adopter le MoorMaster 800 pour réceptionner leurs plus gros ferries.
20 000 AMARRAGES SANS PROBLÈME…
Le début de la reconnaissance pour un procédé qui, jusqu'ici, s'était surtout heurté à une certaine méfiance de la part d'une industrie maritime jugée "assez conservatrice" par les responsables de MSL. "Comme toutes les vraies innovations techniques, ce système d'amarrage a d'abord dû faire ses preuves et montrer sa fiabilité", explique John Clark. En sept ans, la douzaine d'unités installées sur différents ports néo-zélandais et australiens, a accumulé 20 000 opérations d'amarrage, "sans connaître le moindre problème", affirme la direction du fabricant, unique détenteur mondial du brevet d'invention. Fiable et sûr, le MoorMaster permet également d'importants gains de temps, puisqu'il est vendu, selon sa notice, pour réaliser une opération d'amarrage, après un prépositionnement, "en moins de 30 secondes". Et avec une seule personne à la manœuvre.
Graeme Coster, directeur de lignes chez Patrick Shipping, a été l'un des premiers à être persuadés de l'intérêt d'un tel procédé, après la lecture en 2001 d'un article paru en Australie. "Nous cherchions alors un système répondant à nos impératifs de sécurité, à la fois souple et rapide dans sa mise en œuvre et capable de supporter les pires conditions météorologiques", se souvient-il. Plus de 500 opérations d'amarrage plus tard, il ne regrette toujours pas son choix. "Le système n'a jamais été pris à défaut jusqu'à maintenant, malgré des conditions d'accostage parfois très difficiles." La compagnie qui réalise six liaisons hebdomadaires entre Melbourne et Devonport, en Tasmanie, a installé quatre MoorMaster 400, d'une puissance totale de 160 t, sur chacun des deux terminaux de la ligne. Patrick Shipping avait d'abord étudié un système magnétique qui n'avait pas vraiment convaincu. "Un tel système consomme beaucoup trop d'énergie pour fonctionner", compare aujourd'hui le patron de la ligne. Sans parler des risques de décrochage en cas de coupure de l'alimentation électrique. "Un problème qui n'existe pas avec le MoorMaster", reprend Graeme Coster. Le système est de toute façon sous surveillance permanente, grâce aux écrans de contrôle équipant le terminal et le navire.
….AVEC PEU D'ENTRETIEN
Autre avantage pour l'opérateur: le peu de maintenance à effectuer. "Nous avons juste à lubrifier les unités d'amarrage chaque semaine", résume-t-on chez Patrick. De son côté, le fabricant se réserve le renouvellement des fluides et des filtres tous les trois mois, en plus des contrôles de routine. "Le MoorMaster est vendu pour une durée de fonctionnement de 10 ans, mais régulièrement entretenu, il peut aller bien au-delà", souligne John Clark qui préfère par contre rester discret sur le prix de vente d'une unité. Selon la dernière commande passée par l'australien Toll Holding, pour l'acquisition de deux MoorMaster 400 destinés au port de Wellington, le coût de chaque unité pourrait être compris entre 200 000 et 300 000 €.
Du point de vue de deux navigants
Invité à donner son sentiment sur l'amarrage par ventouses, un ancien pilote français estime que les puissances annoncées et la possibilité de suivre les mouvements en les freinant sont compatibles avec les tractions sur les amarres. Les systèmes avec ventouses sont déjà utilisés pour le déchargement de certaines cargaisons comme la pâte à papier.
Ce système correspond très bien aux rotations des ferries en haute saison dans des ports comme Calais ou Bastia, où les temps d'escale sont très courts, souligne-t-il. Le gain de temps à l'amarrage se chiffre en rotations supplémentaires. Il permet de limiter le nombre de marins à la manœuvre et de les affecter à l'encadrement des passagers débarquant; ce qui est très intéressant.
À partir de là, c'est un calcul tout simple de rentabilité de l'investissement. Il reste à savoir qui paye (armateur ou autorité portuaire) et qui assure l'entretien du système. Si le quai est privé, les armateurs ne seront pas longs à franchir le pas.
Également sollicité, un commandant français de gros porte-conteneurs imagine volontiers, en supposant que le système fonctionne correctement – et il n'y a pas de raison d'en douter –, qu'il intéressera sous peu les ports. L'absence d'amarres de bout permettra en effet de réduire encore plus les distances entre navires accostés; ces amarres avaient tendance à frotter contre le tableau arrière des navires voisins. Il était déjà peu confortable pour le commandant d'amarrer son navire de 300 m de long dans un espace libre de 330 m; cette distance devrait se réduire sous peu, craint-il. Pour la sécurité, il est évident que l'absence d'aussière élimine un facteur de risque non négligeable.
Concernant le temps de manœuvre, l'armateur ne peut y perdre car on peut “traîner” une heure pour passer 2×6 aussières, surtout si les lamaneurs sont faiblement motivés.
Au niveau financier, il faudrait savoir combien sera facturée cette prestation par rapport à une équipe de saisissage traditionnelle. Ce système aura au moins le mérite de ne pas user, donc de ne pas avoir à remplacer les aussières du bord. Leur durée de vie est d'environ cinq ans sur une route Europe/Extrême-Orient.
Quelques remarques cependant. Ces ventouses, scellées sur leurs supports en béton, ne semblent pas mobiles longitudinalement. Preuve en est, les seuls exemples donnés concernent des ferries donc des navires dont la position longitudinale est déterminée par la rampe d'accès à bord. Quid des navires dont la position n'est déterminée que par l'occupation des quais? Il faut savoir que l'autorité portuaire demande régulièrement à un porte-conteneurs de shifter de 20 m à 80 m… pour laisser une place destinée à accueillir un navire supplémentaire. Il n'a donc pas de poste à quai préétabli. Dans ces conditions, faut-il disposer d'un ensemble à ventouses tous les 50 m? La facture risque d'être lourde pour les ports.
De leurs côtés, les coques souffrent, les tôles se déforment sous les actions des remorqueurs ou à la suite d'accostages un peu "vifs". Il faudrait donc vérifier la tenue des ventouses sur des supports non plans. Il en est de même avec les navires ayant des formes de carènes harmonieuses; les exemples donnés ne concernent que des ferries ressemblant à des boites à chaussure.
Au sujet de la manœuvre, il est rassurant de capeler une garde à l'avant et une à l'arrière, afin de mieux contrôler le déplacement longitudinal du navire (vent, courant, erreur d'action des remorqueurs) surtout quand on doit accoster au chausse-pied entre deux navires. “Je n'ai absolument rien contre les ventouses, mais j'aimerais conserver au moins ces deux gardes”, explique le navigant. Pratiquement, il faudra toujours les équipes de manœuvre sur les plages avant et arrière, ne serait-ce que pour prendre ou larguer les remorqueurs. Elles pourraient tout au plus être réduites de 4 à 3 personnes.
Il est également de bon ton, avant d’appareiller, d’essayer le moteur principal quelques secondes. Les aussières encaissent le choc… quid des ventouses? Accessoirement, les partisans de “l’avant sur garde” pour faire décoller du quai l’arrière d’un navire, vont devoir réviser leur approche de la manœuvre, conclut ce professionnel.