En dépassant le seuil des 2 millions de passagers transportés sur la Corse en 2005, la Corsica Ferries bat tous les records. Ces cinq dernières années, elle aura non seulement doublé son trafic passagers, et par la même occasion triplé son trafic véhicules, mais largement détrôné la SNCM au poste de leader de la desserte de l’île de Beauté.
Impressionnants, les chiffres de la croissance confirment la réussite du pari de Pascal Lota de s’imposer sur ce marché. Avec aujourd’hui 60 % des parts (France et Italie cumulés), il aura fait littéralement exploser l’ex-compagnie publique qui pendant 25 ans aura bénéficié d’un quasi-monopole. C’est sur le continent français que la Corsica aura construit sa victoire en passant de 205 000 à 1 320 000 passagers, pas loin du record de 1 433 000 passagers atteint par la SNCM en 2000. Depuis son arrivée à Nice puis à Toulon, elle n’a, par contre, jamais cessé de perdre des positions en Italie, sa base départ, où sa clientèle a chuté de 20 % ces cinq dernières années.
UNE STRATÉGIE GAGNANTE
Au-delà du débat sur le statut de son pavillon, c’est la justesse d’une stratégie navale et commerciale, pour ne pas dire marketing, qui aura triomphé. Par contre coup, elle révèle la dérive des choix de la SNCM pendant ces dix dernières années: la desserte rapide par NGV au départ de Nice et le "cruise ferry" de Marseille. Le coup décisif de la Corsica Ferries aura été de jouer le juste milieu avec le port de Toulon, alors presque tombé en déshérence, et des ferries rapides. Ces derniers, bien plus sûrs en mer que les NGV et beaucoup moins luxueux que les ferries type Napoléon-Bonaparte ou Danielle-Casanova, ont représenté un bon compromis. L’argument du plaisir de la traversée défendue par la compagnie publique n’aura finalement pas pesé face au gain de temps de l’ordre 5 heures apporté par Corsica (1). L’écart a été accentué par la poussée des coûts de carburants qui ont pesé lourd dans la balance.
L’ESCALADE DE LA CONCURRENCE
De chalengeur, la Corsica Ferries a su rapidement s’imposer comme l’alternative à toutes les dérives réelles et supposées de la compagnie publique. Sa communication particulièrement habile (quelques passages à 5 €) qui lui a donné une fausse enseigne de compagnie low cost (2), a plus qu’attiré la curiosité des clients. La certitude de la fiabilité du service a été un autre argument fort. Il est curieusement intervenu à une époque où le nombre des arrêts de travail à la SNCM baissait significativement. Enfin, auprès de la clientèle corse, son siège social à Bastia lui conférait une image de compagnie insulaire alors que seule une poignée d’insulaires travaille à bord.
Résultat final, la Corsica Ferries devance la SNCM sur tous les tableaux. Au point que le processus de privatisation de la SNCM a dans une certaine mesure rencontré un écho favorable dans l’opinion à cause de cette position de faiblesse. La vapeur peut-elle être renversée entre les deux compagnies? La Corsica se montre particulièrement méfiante à la veille de la privatisation de son concurrent. On peut s’attendre à une escalade commerciale et de communication. Des passages à 4,5 e sont déjà proposés sur le site de la SNCM. Profitant d’un capital neuf, elle va certainement tenter de rénover son image. Changera-t-elle de nom? C’est fort possible. Le front se mènera également sur le plan comptable. La compagnie de Pascal Lota s’est toujours montrée particulièrement avare sur ses bilans financiers. Devra-t-elle lever le brouillard qui accompagne ses comptes au nom de la transparence bruxelloise? La nouvelle donne mettra déjà les deux compagnies sur le même plan.
1) Toulon/Ajaccio en 5 h 45 en Méga Express contre 11 h 30 en cargo mixte au départ de Marseille
2) À remarquer, Pierre Mattei, directeur général de Corsica, emploie le terme de "gestion low cost", une manière élégante de présenter les personnels, pour l’essentiel non-français, qui composent les équipages.
