Relève d'équipage : les capitaines de navires s'adressent à la ministre de la Mer

 

Dans un courrier en date du 16 décembre adressé à Annick Girardin, l’Association française des capitaines de navires (AFCAN) alerte sur une situation qui, bien qu’ayant progressé depuis le début de l’année, « ne s'améliore malheureusement pas partout ni pour tous. »

Le Lloyd’s List en a fait la personne la plus influente de l’année 2020. Sans elle, l’acheminement des équipements sanitaires fabriqués en Chine, les denrées alimentaires et autres biens de consommation, fort utiles à une planète cloîtrée chez elle, n’aurait pas été possible. Le marin, the seafarer. En 2020, cet être à qui le répit ne fut pas accordé, pas davantage le statut de « travailleur essentiel » (jusqu'à ces derniers jours), a jonglé avec tous les termes se finissant en « -ion » et fleurant bon l’« interdiction » et la « restriction ». La pathologie ignorant les frontières, le marin a composé avec les tracasseries administratives pour déjouer sa mobilité entravée. Cet été, alors que l’accalmie du virus offrait une parenthèse enchantée à un monde qui naviguait émotionnellement dans un bain de liberté, il bataillait toujours en isolé du large. Les uns redescendaient de l’Everest, les autres continuaient de gravir sans démériter les pentes du Morvan.

Pour avoir nourri les Hommes restés à quai, le marin mérite donc bien l’honorable distinction du Lloyds. Or voilà, l’année se solde. À l’heure d’une nouvelle trêve de ripailles et victuailles, ils sont toujours 400 000 à bord et la plupart ont largement dépassé le temps légal en mer (plus d’un an !). Quand bien même l’ONU a tapé du poing sur la table avec une résolution (récente) les désignant comme « essentiels » au bien des nations composant son assemblée. Exceptés 46 États-membres qui les considèrent comme tels, les autres se posent encore la question.

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Des mesures simples 

L’Association française des capitaines de navires (AFCAN) ne le perd pas de vue. Dans un courrier en date du 16 décembre adressé à la ministre de la Mer Annick Girardin, son président, Pierre Blanchard, alerte à nouveau sur une situation « qui malheureusement ne s'améliore pas partout ni pour tous. »

Il rappelle que les quarantaines empiètent toujours sur les temps de congés et alourdissent les charges supportées par l’entreprise ainsi que l’organisation des plannings. « Les armements et autres crewing department, y compris ceux de bonne foi, n’arrivent que très difficilement à gérer les relèves d’équipages. À cela s'ajoute le fait que certains affréteurs (rares heureusement), rechignent à laisser dérouter les navires afin de ne pas perdre de temps et menacent même de les mettre hors charte s’ils en perdent pour cause de relève d’équipage. » Intercargo, l’association des opérateurs de vrac sec, a en effet soulevé ce fait il y a quelques semaines.

Conscients qu’il n’y a pas de solutions miracles, les capitaines de navires font valoir « quelques mesures simples » qui pourraient déjà leur faciliter la vie : « informer les chancelleries des consulats généraux de France dans tous les endroits où ils seraient susceptibles d’intervenir afin qu’ils facilitent le passage de leurs ressortissants marins embarquants/débarquants en intervenant auprès des autorités et administrations locales à chaque fois que nécessaire et en relayant l’information auprès des compagnies aériennes ».

Le risque sanitaire étant toujours prégnant et les protocoles sanitaires lourds, les officiers suggèrent pour les « débarquants », de procéder à des tests PCR à bord dès l’arrivée du navire à quai ou au mouillage mais avec des résultats accélérés afin de limiter les temps de rétention des marins au débarquement. Et enfin, de systématiser et cadrer la distribution de kits Covid.

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Quelles attentes ?

Qu’attendent-ils en retour de cette adresse au plus haut niveau ? « Nous attendons une amplification des actions en faveur des marins bloqués à bord. Même si la France a été parmi les pays les plus actifs en la matière, il n'en reste pas moins que beaucoup de marins sont encore coincés, les capitaines en première ligne pour faire fonctionner les navires tout en assurant le bien-être et la sécurité des marins qui vivent parfois des situations très difficiles », répond Pierre Blanchard.

Annick Girardin, la ministre de la Mer, a laissé percevoir un certain volontarisme sur ces questions. À l’occasion de la journée mondiale de la mer le 24 septembre, qu’elle avait proposé un amendement à la convention du travail maritime auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui obligerait les États du pavillon à déclarer auprès du Bureau international du travail tout dépassement du temps d’embarquement maximum légal, actuellement de 12 mois. Cette mesure pourrait être discutée en avril 2021 à Genève dans le cadre de la conférence tripartite de l’OIT.

La France a appliqué, pour sa part, le principe du hub (des ports et aéroports désignés pour y assurer les relèves d’équipage dans un cadre normé et sécurisé) qui a permis, selon le ministère de la Mer, à « 15 400 gens de mer de transiter par le sol français quels que soient leur nationalité et le pavillon de leurs navires ».

 

Bataille du droit

Sur le plan du droit des marins, un pas a été franchi ces derniers jours. Un arrêt de principe de l'OIT reconnaît la violation par les gouvernements des droits fondamentaux des marins et le non-respect de plusieurs dispositions de la Convention du travail maritime (CTM de 2006) pendant la pandémie, tels l'accès aux soins de santé, le rapatriement, les congés annuels et les congés à terre.

Cette décision, qui rappelle les gouvernements au respect du droit international, « établit clairement qu'il est à la fois juridiquement et moralement incorrect que les pays continuent à attendre des marins qu'ils travaillent indéfiniment tout en les privant de leurs droits fondamentaux en tant que marins, travailleurs et êtres humains. Cette décision historique est une justification claire de ce que nous demandons depuis neuf mois, syndicats de marins et armateurs », ont réagi dans un communiqué conjoint les secrétaires généraux de l'ITF (fédération des employés du transport), Stephen Cotton, et de l'ICS (la chambre maritime internationale) Guy Platten.

« Cela signifie concrètement que les État sont tenus désormais de laisser les marins débarquer pour recevoir des soins médicaux, se rendre dans un aéroport pour rentrer chez eux lorsque leur contrat est terminé, laisser les équipages traverser la frontière d'un pays pour rejoindre les navires en attente sans avoir à affronter une montagne bureaucratique ».

L’OMI a produit une feuille de route qui, en douze points, montre comment s’y prendre. Seuls 46 pays s’en sont saisis.

Adeline Descamps

 

 

 

 

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