Maurice Georges, président du directoire du port de Dunkerque : « Le terminal de Flandres risque d’être rapidement saturé »

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Logistique, Brexit, transbordement, conteneurs, GNL, transmanche…Quelles priorités ? Quelle vision ? Pour quels projets ? Entretien avec Maurice Georges, à la tête du port de Dunkerque depuis juin 2021. 
 

Comment le port de Dunkerque a-t-il traversé 2021 ?

Maurice Georges : En nette reprise par rapport à l’année dernière, en particulier sur les segments fortement affectés en 2020*. Les vracs solides ont bien récupéré. En revanche, pour les vracs liquides, l’année est sensiblement similaire à l'an dernier et bien en retrait par rapport à 2019 qui avait été exceptionnelle.

Pour ce qui est du transmanche, le trafic est toujours déprimé mais nous notons un réel développement du transport maritime à courte distance, notamment avec la république d’Irlande et la Grande-Bretagne. La ligne vers l’Irlande est un vrai succès. Nous avons vu passer en novembre le 40 000e camion et, en cela, nous sommes en avance sur les hypothèses.

Sur le conteneur, il n'y avait pas eu de baisse en 2020. La croissance est forte, de 30 % aussi bien en volume qu’en unités équivalent vingt pieds avec des boîtes pleines, et de 40 % par rapport à 2019. Fin décembre, le terminal des Flandres [filiale de Terminal Link, détenue à 91 % par CMA-CGM et à 9 % par le port, NDLR] devrait avoir atteint les 700 000 EVP [463 000 EVP en 2020]. Nous sommes en avance sur nos prévisions.

Concernant vos investissements programmés, quels sont les dossiers sur lesquels vous avez particulièrement avancé cette année ?

M.G. : D’abord, pour accompagner la croissance du conteneur, nous avons décidé avec les opérateurs du terminal des Flandres une extension rapide du site de façon à augmenter la capacité de terre-pleins sur 14 ha dont 8 auront été livrés cette année. Ces dernières années, nous avions allongé les quais mais nous avions besoin d’aller au-delà. D’ici fin 2022, le terminal disposera d’une capacité de 1,5 MEVP**. Nous avons également prévu 8 M€ pour allonger le dry port ferroviaire, le terminal multimodal adossé au terminal des Flandres [opération inscrite au projet stratégique 2020-2024 et éligible au plan de relance, investissement de 10 M€, NDLR]. L’extension des voies ferrées va permettre de traiter des trains complets.

Pour pallier l’augmentation des flux maritimes transmanche, nous allons par ailleurs moderniser notre terminal ro-ro avec un investissement dans une nouvelle plateforme nécessitant un investissement de 40 M€ pour une livraison d’ici deux ans.

Pour se résumer, l’activité est stable sur le port Est (produits pétroliers et chimiques, gaz, aciers, coke, céréales, etc., navires jusqu’à 130 000 tpl), où se concentre l'essentiel des activités industrielles implantées sur le territoire. Il n’y a pas d’effondrement et les traces de la crise sont en train d’être effacées. En revanche, sur le port Ouest, très orienté conteneurs, roulier et logistique, la dynamique est très forte.

Quelles sont les priorités de votre projet stratégique ?

M.G. : Il a été validé en juin dernier et vise principalement la compétitivité, la digitalisation, la transition environnementale et la sécurité maritime et industrielle. Il a été élaboré en étroite coopération avec les collectivités locales et la Communauté urbaine de Dunkerque en particulier. Il se traduit d'ailleurs par des co-investissements pour l'accueil des industries. L’implantation dans la zone industrialo-portuaire sur la commune de Gravelines de SNF, acteur mondial de la chimie de l’eau [ses produits contribuent soit à traiter et recycler l’eau, soit à économiser l’énergie et réduire l’empreinte carbone], dont le chantier a démarré le 9 juin, s’inscrit dans cette dynamique de mobilisation collective tout au long de la phase d’études et de sélection des sites. Cet investissement de 160 M€ devrait permettre de créer 160 emplois directs à partir de 2023. Il générera des flux à l’export pour le port.

De la même façon, cette démarche collective – préinvestissement et co-aménagement – a payé pour que les zones Grandes Industries et Dunkerque Logistique International Sud soient labellisées « sites industriels clefs en main » [terrains pour lesquels l'État garantit un délai de trois mois pour l'obtention du permis de construire et de neuf mois pour les autorisations environnementales, NDLR].

Manifestement, les flux logistiques que vise le port concernent plus spécifiquement la grande distribution, les Hauts-de-France comptant de nombreux sièges d’entreprises du secteur et leurs entrepôts, avec un effet Auchan et sa galaxie de marques, et les produits sous température dirigée. C’est votre stratégie ?

M.G. : Nous portons une offre qui repose sur un trépied : développement industriel, logistique et transport. Nous avons à la fois des prospects, qui portent des demandes d'aménagement classiques et sont intéressés par nos services multimodaux de conteneurs, mais nous recevons également de plus en plus des demandes d’entreprises qui recherchent en plus une offre en utilités et en énergies d’avenir. Aujourd’hui, les entreprises raisonnent de façon beaucoup plus globale : elles étudient à la fois la proposition de transport, l’offre domaniale et les facilités en termes d’utilités et d’énergies d’avenir.

Du fait de votre positionnement géographique, votre zone de chalandise est préemptée par votre grand voisin belge. Vous êtes un peu coincés au sud-ouest aussi par Le Havre, qui bénéficie de beaucoup d'attention. Vous êtes marqués par une spécialisation reefer sur les Antilles. Quelle place doit occuper Dunkerque sur le range nord ?

M.G. : On ne sent pas particulièrement coincés quand on a un tel niveau de croissance, du trafic pour l’hinterland qui se développe, une ligne Asie-Europe qui se porte très bien et à pleine charge [FAL1 de CMA CGM à Dunkerque depuis le printemps 2020] et quand, en plus, on est capables d’offrir à nos clients de la capacité par le biais de nos zones logistiques qui permettent de fidéliser du trafic. La FAL1 fonctionne bien grâce aux investissements réalisés dans l’hinterland, soit de façon physique, soit par la promotion avec Norlink [l’association locale de promotion des infrastructures portuaires et ferroviaires, NDLR] pour offrir des services multimodaux enrichis, notamment ferroviaires jusqu’à l’Europe du Nord. En témoigne notre part de transbordement qui a dépassé les 35 %. Nos taux de croissance nous suggèrent que le terminal de Flandres présente un risque de saturation avancée.

Vous allez alors pouvoir sortir des cartons des projets qui visaient il y a quelques années déjà à accompagner le développement conteneur et à augmenter vos capacités d’accueil maritimes ?

M.G. : Nous avions porté en effet au débat public en 2017 le projet CAP 2020, qui prévoit une extension des quais vers le sud du terminal à conteneurs. Il avait fait l'objet d'un très bon accueil. Parmi les éléments conditionnant son déclenchement, il y avait, en dehors du montage financier, le critère de croissance. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour y donner corps. Nous espérons bien pouvoir donner les premiers coups de pioche d’une première phase de 1 000 m d’ici 2022-2023.

Vous faisiez référence à la part du port en transbordement. Quelles sont vos ambitions dans le contexte post-Brexit ?

M.G. : Les opportunités sont réelles avec des conteneurs à la place de remorques routières, pour faciliter le passage en douane et éviter du temps d’attente aux chauffeurs. Pour ce qui est du ro-ro, on considère que le potentiel est dans le ferroutage. C’est selon nous une réponse à l’accroissement de la demande des industriels locaux.

Le Brexit tient toutes ses promesses vous concernant. L’Irlande devient une pièce essentielle et vous semblez affichez le plus grand nombre de rotations de services rouliers vers cette destination. Pas d’effet éphémère sur l’Irlande ?

M.G. : L’offre est saturée par la demande. DFDS porte de grandes ambitions au départ de Dunkerque. Il y a une très forte demande en Europe pour des ro-pax. Donc les opérateurs étudient finement le meilleur endroit pour positionner leurs navires. Pour autant, le marché n’est pas ouvert à tous. C’est une traversée longue qui n’a d’intérêt que si vous pouvez l’offrir dans des conditions optimales, et a fortiori pour les chauffeurs routiers. Il faut aussi des navires avec de bonnes capacités nautiques car ce sont des mers agitées avec des escales de 24 heures. La ligne irlandaise est souvent présentée comme une opportunité liée au Brexit, mais il faut apprécier cette route comme le déclencheur pour une demande de short sea.

Après avoir bien développé le fluvial, vous vous attelez au ferroviaire. Pour quels projets ?

M.G. : On a historiquement un solide réseau ferroviaire qu’il faut compléter. Sur la partie ouest, il y a des faisceaux, utilisés autrefois pour le transport de vrac solide vers la Lorraine. L’idée est de préserver cet atout en allant au-delà afin d’avoir une bonne connexion ferrée sur l’ensemble de nos zones en développement. Nous avons des projets conséquents mais on privilégie des réalisations qui permettent de livrer les infrastructures dans les deux ans. En matière multimodale, les entreprises ne sont de toute façon intéressées que si l’offre est de qualité et rapidement disponible.

Estimez-vous qu’une politique incitative soit nécessaire pour favoriser le report modal. Seriez-vous prêts comme les ports Haropa à aller jusqu’aux incitations financières ou commerciales ?

M.G. : On travaille sur plusieurs pistes. On réfléchit à diverses solutions. Mais nous devons d’abord échanger avec les chargeurs et les opérateurs. 

Le GNL suscite des débats et n’est pas considéré comme une énergie d’avenir. C’est un enjeu à Dunkerque. Comment appréhendez-vous ce marché ?

M.G. : Le marché du gaz est ce qu’il est. Et actuellement, il y a une très forte demande en Europe et ailleurs. Le GNL restera une énergie de transition mais pendant de nombreuses années. Pour nous, il est intéressant de coupler cette opportunité avec les développements de CMA CGM. C’est pour cette raison que nous avons entrepris une démarche de terminal « LNG ready ». Nous réfléchissons à des solutions, via les droits de port, pour inciter les compagnies à souter à Dunkerque. Si cette initiative rencontre un écho, nous la déploierons très rapidement.

Qu’avez-vous à gagner avec le Canal Seine Europe ?

M.G. : C’est complètement cohérent avec la stratégie multimodale du port. Notre ambition est d’utiliser cet outil pour récupérer, sur notre axe, des trafics alimentés par les ports du range nord. En amont et en aval du canal vont se développer des plateformes logistiques qui vont fixer des trafics et des flux ferroviaires. Nous ne considérons pas le canal comme un simple tuyau mais comme un vecteur d’investissements logistiques dans le nord de la France. Notre intérêt est donc d'y être bien branchés.

Un aiguilleur du ciel qui atterrit sur les quais, ce n’est pas banal. Qu’ont en commun l’aérien, où vous avez réalisé une partie de votre parcours professionnel, avec le maritime et le portuaire ?

M.G. : Il y a beaucoup de points communs entre ces écosystèmes : la culture du client transport, l’exigence de la navigation, les notions de performance, de qualité et de sécurité. J’y retrouve des domaines qui étaient les miens dans le transport aérien et je découvre même de nouvelles choses, passionnantes, qui relèvent du développement industriel et de l’intégration multimodale dans les ports.

Propos recueillis par Adeline Descamps

Note de la rédaction : Le port n’a pas souhaité communiqué à ce stade ses trafics. Ils feront l’objet d’une présentation en janvier.

**projet financé par l’État (7 M€), le Grand Port maritime de Dunkerque (3 M€), la Région (2 M€) et la communauté urbaine de Dunkerque (2 M€).

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