UE : Fin des consultations maritimes sur le marché carbone

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Dans le cadre de son initiative pour réviser son système d'échange de quotas d'émission et d’étendre son champ d'application au transport maritime, la Commission européenne a entamé une série de consultations des parties prenantes du secteur. Ces audits se sont achevés le 5 février. 

Une séquence européenne s’est clôturée en fin de semaine dernière à propos du système d'échange de quotas d'émission SCEQE. Dans la logique du Green Deal lancé par le nouvel exécutif européen, Bruxelles se dirige vers l’inclusion du transport maritime dans le marché carbone européen d'ici au 1er janvier 2022 dans le cadre de la révision du règlement MRV (système surveillance, déclaration et vérification des émissions de CO2) de l'UE. La Commission devrait présenter à cet égard une proposition de directive révisée au cours du deuxième trimestre 2021.

Pour ce qui est de l’inclusion du transport maritime dans le SCEQE, le parlement a voté en ce sens en juillet 2020 et le projet suit son parcours institutionnel classique avec des négociations tripartites entre le parlement, la commission et le conseil européens. Avec toutefois un jalon posé par la présidente Von der Leyen : que les objectifs climatiques soient ficelés pour le prochain sommet sur le climat, qui doit se tenir à Glasgow en 2021 si tout se passe comme prévu. La Commission européenne a terminé le 5 février sa phase de consultation des parties prenantes du secteur. 

À ce stade, l'UE travaille sur plusieurs modèles et différents tempos. Lors d'un débat en visoconférence organisé par l'Association des armateurs de la communauté européenne (ECSA), Beatriz Yordi Aguirre, directrice de la DG Clima, responsable de la politique climatique de la Commission européenne, a reconnu que les solutions n’étaient pas encore strictement définies. « Je n'ai pas encore de réponse claire à la solution magique, mais nous analysons la possibilité d'une introduction progressive du maritime dans le SCEQE ou d'une intégration plus rapide et plus radicale », a-t-elle déclaré. 

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Compétitivité mise à mal ? 

À ce stade, Bruxelles n’exclue pas d’élargir le SCEQE aux transports à destination et en provenance de ports non communautaires (c’est-à-dire couvrir les émissions du transport maritime sur la longue distance et pas seulement la pollution générée en Europe). La disposition divise la communauté maritime.   

Guy Platten, le secrétaire général de l'International chamber of shipping (ICS), une association internationale d’armateurs et exploitants de flotte (80 % de la marine marchande mondiale) rappelle, à chaque fois qu’il le peut, que « le transport maritime est une industrie internationale qui exige des règles mondiales. Toute alternative produirait un patchwork chaotique de régimes régionaux et nationaux et nuirait aux négociations en cours sur les émissions mondiales du secteur via un cadre réglementaire mondial. » 

Craignant aussi la multiplication des systèmes d'échange de droits d'émission, le BIMCO, dont les membres représentent tous les segments du transport maritime à l’échelle mondiale et contrôlent près des deux tiers du tonnage mondial, plaide aussi pour une collaboration entre l'UE et l'OMI et une mesure fondée sur le marché mondial. Les exploitants de navires craignent la distorsion de concurrence. « Une initiative régionale porte le risque de tensions politiques avec les pays tiers et les partenaires commerciaux », estime l'association. 

La filière admet d’être taxée pour ses émissions de gaz à effet de serre mais elle considère en effet que cela doit être négocié à l’échelle internationale, dans les enceintes de l’OMI. L’organisation de réglementation du transport maritime a son propre agenda vert anti-carbone : diviser par deux, par rapport au niveau de 2008, les émissions totales de GES du secteur d’ici 2050.  

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Clé de décarbonation ? son financement

La responsable européenne de la politique climatique a également reconnu que l'accès au financement était la clé de la décarbonation du transport maritime. Il l’est et c’est un même un argument clé pour les organisations représentatives du secteur, qui doutent de l’efficacité du SCEQE pour stimuler les investissements dans des technologies neutres en carbone. Lors de la construction d'un navire, souligne le BIMCO, l’armateur n'a aucune idée du nombre d'escales qu'il fera dans les ports de l'UE, et donc si ces investissements s'avéreront rentables 

« La quatrième révolution de la propulsion », nécessaire pour rendre le transport maritime neutre en carbone, ne pourra se faire qu’au prix d’une rupture technologique fondamentale et au moyen d'une nouvelle génération de technologies et de carburants, défend l’ICS dans un rapport publié en novembre. Aucune des options envisagées à ce jour, telles l’ammoniac et l’hydrogène, n’est disponible à la taille et à l'échelle requises. La « révolution énergétique » appelle donc un investissement en R&D à grande échelle et un soutien des pouvoirs publics. Selon les projections, il faudrait mobiliser entre 70 et 90 Md$ par an au cours des 20 prochaines années pour parvenir à une décarbonation du secteur d'ici 2050. 

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5 Md$ versus 2,45 Md€

En lieu et place d’une taxation carbone, huit associations internationales d'armateurs, parmi les plus importantes, proposent de créer un fonds qui serait abondé par les compagnies maritimes à raison d'une contribution obligatoire à la R&D de 2 $ par tonne de carburant. Sa gestion serait confiée à un Conseil international de recherche et de développement maritimes (IMRB), une ONG de R&D supervisée par les États membres de l'OMI. Il serait ainsi possible de collecter 5 Md$ sur une période de 10 ans, bien plus que ce que « rapporterait » une taxe carbone européenne. 

À l’heure actuelle, les compagnies maritimes ignorent encore à quel prix elles devront « payer » pour leur pollution. Mais selon les hypothèses et calculs de la filière (le rapport de l’ICS délivre quelques pistes), il en coûterait 25 € pour émettre une tonne de carbone. Le SCEQE permettrait de collecter 2,45 Md€ par an. Sachant que le Parlement européen propose aussi la création d’un fonds de décarbonation (appelé fonds Océan) dans le cadre du marché carbone européen.

Dans ce débat, certaines compagnies, à l’instar de Maersk et de CMA CGM, militent pour assouplir les règles du marché carbone, proposant notamment de l’asseoir sur des critères qui récompenseraient les flottes les plus vertueuses.  

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Coût d’une évasion d’escale

Du côté des ONG, qui font aussi entendre leurs voix auprès de l’UE, la littérature est tout aussi abondante. Mi-décembre, dans une nouvelle étude, Transport & Environment déboulonnait « l'idée communément admise selon laquelle les transporteurs des lignes internationales choisiraient de faire escale dans des ports situés en dehors de l'espace européen afin d’échapper au système européen d'échange de quotas d'émission de carbone ». 

Selon cette analyse coûts-avantages de l’« évasion » (cf.plus bas), les économies réalisées seraient marginales en raison des coûts supplémentaires, notamment le carburant et les redevances portuaires. Seuls 6,7 % de tous les voyages, représentant 2,7 millions de tonnes d'émissions, seraient tentés par le contournement de l’escale européenne. « Les permis de polluer pour le transport d'un conteneur standard d'Espagne à Singapour représenteraient moins de 1 % du coût total du transport », indique le rapport.  

L’ONG rappelle que émissions intra-communautaires ne totalisent que 40 % des émissions du transport maritime de l'UE, tandis que les 60 % sont dus au transport maritime à longue distance faisant escale dans les ports de l'UE. Elle estime donc que « limiter le marché du carbone de l'UE aux seules émissions entre les ports européens permet au transport maritime de s'affranchir d'une grande partie de sa pollution. Cela ferait également perdre des ressources qui pourraient être réinvesties dans la transition énergétique du secteur », est-il défendu. 

Transport & Environment défend aussi une couverture de toutes les émissions de GES autres que le CO2, en particulier le méthane (CH4) mais aussi les émissions d'oxyde nitreux (N2O, protoxyde d'azote) et de carbone noir (BC). Selon ses données, jusqu'à 40 % (en termes de capacité) des futurs navires seront alimentés au GNL dans les prochaines années. « Cela va accélèrer leur impact sur le réchauffement climatique, assène-t-elle. Le méthane généré par les propulsions au GNL les rend tout aussi mauvais et dans de nombreux cas pires que les navires actuels au gasoil ».  

Adeline Descamps

 

Des avantages à éviter une escale européenne pour échapper à la taxe carbone ?

Dans un rapport intitulé « Too expensive for ships to evade EU carbon », T&E a analysé le rapport coûts-avantages pour un armateur à éviter une escale dans un port de l’UE en vue d’échapper à la taxation. Il le fait à la fois pour un système d'échange de quotas d'émission dit complet et semi-complet. Dans le premier cas, le système couvrirait la totalité des voyages déclarés au titre du règlement MRV, c'est-à-dire 100 % des voyages à l'arrivée, au départ et à l'intérieur de l'Espace européen (EEE), ainsi que 100 % des émissions à quai. Dans le second, il couvrirait toujours 100 % des émissions provenant du transport maritime intra-communautaie et 100 % des émissions à quai, mais pour les voyages entrants et sortants à destination/en provenance de l’UE, seulement 50 % des émissions seraient couvertes par le futur SCEQE. Cette option part du principe que les 50 % des émissions de ces voyages seraient couverts par les pays tiers au cas où ils décideraient de mettre en œuvre des réglementations régionales ou nationales similaires.

Selon cette étude, l’évasion générerait en fait de nombreux nouveaux coûts supplémentaires, notamment de carburant, d'exploitation et de redevances portuaires. Pour qu'il soit dans l'intérêt financier d’un exploitant de navire d'éviter le SCEQE, il faudrait que le coût de mise en conformité (déterminé par le prix du CO2) soit supérieur à la somme de tous ces coûts supplémentaires, relève le rapport.

L’analyse s’est appuyée sur trois pays ayant des ports européens d’importance à proximité d'un port hors EEE : Grèce, Espagne et Pays-Bas. Seuls les porte-conteneurs, les vraquiers et les pétroliers ont été analysés, étant les plus concernés par le transport maritime extracommunautaire.

« Dans le cadre du système semi-complet, il n’y aurait aucun intérêt financier à faire escale dans un port hors UE pour éviter de payer les 30 €/tonne. Dans le cadre d'un SCEQE complet, 6,7 % de tous les voyages, représentant 2,7 millions de tonnes d'émissions, seraient tentés d'échapper à ce prix du CO2 », conclue T&E.

A.D.

 

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