Taux de fret et d'affrètement : après la hausse phénoménale, la chute brutale

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Alors que les tarifs des navires à l’affrètement se sont très lentement repliés ces dernières semaines, à contre-courant des sentiments négatifs envoyés par l’environnement de marché, ils ont brusquement décroché ces derniers jours, pour plusieurs tailles de navires. La situation a pris les acteurs du marché par surprise.

Chute sévère pour le best-seller des porte-conteneurs, les panamax, fixés à un tarif (entre 40 000 et 50 000 $) réduit de moitié par rapport à ce qu’il aurait pu obtenir il y a encore quelques semaines ; encéphalogramme plat pour les mastodontes du marché ; érosion des tarifs pour les petites unités, passés de 50 000 à 35 000 $ par jour pour un emploi de douze mois... Après des semaines de sentiment négatif, qui se sont traduites par une très lente descente des prix des navires à l’affrètement, les taux se sont brusquement détériorés ces derniers jours, pour plusieurs tailles de navires.

« Bien que les tarifs pour la plupart des types de navires restent élevés par rapport aux normes historiques, la vitesse à laquelle ils ont chuté dernièrement a pris les acteurs du marché par surprise », indique Alphaliner qui s’attend à ce que les segments de taille, encore épargnés, connaissent à leur tour des cotations nettement plus faibles au cours des prochaines semaines.

Les taux de fret les ont précédés dans la marche inverse aux deux précédentes années. À 2 312 points le 16 septembre, le Shanghai Container Freight Index (SCFI), le thermomètre du secteur conteneurisé composé des prix au comptant pour le fret conteneurisé de Shanghai vers une vingtaine de destinations dans le monde, a perdu 33 % au cours du seul mois dernier et se situe désormais à 55 % en dessous de son pic de janvier. En baisse continue depuis plusieurs mois, les taux de fret avaient pourtant jusqu’à présent très bien résisté à la dégradation de l'environnement du marché, artificiellement soutenus par la congestion généralisée dans le monde.

« La chute sévère observée ces derniers jours est un test de réalité, reflétant, avec un certain décalage, l'évolution des fondamentaux du marché, décode la société parisienne spécialisée dans la ligne régulière. Alors que les volumes et les prix continuent de baisser partout, que l'offre augmente, que la congestion s'atténue lentement et que les risques élevés de récession persistent dans le monde, elle est probablement plus qu'une simple correction du marché et risque de s'aggraver, du moins à court terme. » Le consultant fait référence à la semaine de jours fériés en Chine, la Golden Week (du 1er au 7 octobre), qui s’accompagne traditionnellement d’une baisse drastique de la demande de transport.

Rapport de force rééquilibré

La spirale descendante des taux de fret est particulièrement préoccupante pour les transporteurs qui, ayant contracté des affrètements coûteux et de longue durée durant la période euphorique, vont peiner à honorer leurs engagements auprès de leurs fréteurs.

En peu de temps, le rapport de force entre les propriétaires de navires, non-exploitants et leurs clients s’est rééquilibré. Exit les contrats très rémunérateurs développés sur le long terme. Aucun des principaux exploitants de navires n'est actuellement disposé à prendre des engagements pluriannuels. La durée du contrat est revenue à un étiage plus bas. « Le maximum que l'on puisse obtenir est généralement de 12 mois, contre jusqu'à 60 mois au plus fort du marché », confirme Alphaliner.

Flotte encore très active

Pourtant, la flotte mondiale reste encore largement active à en juger par son dernier relevé qui a comptabilisé 235 navires inactifs avec une légère augmentation de capacité de 24 161 EVP. Le tonnage qui échappe actuellement au marché s’établit donc à 915 001 EVP. C’est à peine 3,6 % de la capacité de la flotte mondiale. Pour l’instant, la cale sèche est la quasi unique motivation de cette mise au repos. Au cours des deux dernières semaines, 53 000 EVP supplémentaires sont entrés en cale sèche, ce qui porte le total à 660 194 EVP et à 159 navires.

Si la capacité inactive des navires détenus en propre par les transporteurs a diminué de 31 247 EVP ( 55 navires), celle des propriétaires non-exploitants (NOO) a augmenté de 2 563 EVP. Mais les indicateurs sont trop faibles pour prêter le flanc à une interprétation.

Un constat que ne partage pas Sea-Intelligence, qui a examiné l'utilisation des porte-conteneurs sur les trois principales routes Est-Ouest (Asie-Europe, Asie- États-Unis et Europe-États-Unis). Sur le transpacifique, qui a constitué la principale source de revenus des armateurs de porte-conteneurs durant la pandémie, l’exploitation des navires aurait plongé, de la pleine utilisation au début de l'année à environ 80 % en juillet de cette année.

« Elle est liée à la tendance à la baisse de la congestion et des retards. Cette évolution est particulièrement visible sur la route de l'Asie vers l'Europe, où le taux d'utilisation est tombé à environ 73 % en juillet », indique l’analyste, qui reconnaît une grande volatilité mois par mois.

Des réductions de capacité plus importantes

La Golden Week offre aux armateurs une « occasion rêvée » pour annuler un grand nombre de traversées « qu'ils ne l'auraient fait par le passé », laisse entendre le cabinet danois, auteur de l’expression de « blank sailing tactiques ». En clair, une « stratégie » visant à annuler des traversées si la demande est trop faible pour maintenir les taux de fret à un niveau que les chargeurs qualifieront d’élevé (au regard de la loi de l’offre et de la demande) et de rentabilité par les armateurs.

Sur le transpacifique, Sea-Intelligence prévoit des réductions de capacité de 22 % à 28 % de la capacité hebdomadaire déployée au cours des semaines suivant la Golden Week, alors que le pic de réduction au cours de ces semaines était de 15 % à 17 % en 2019, et à une moyenne de 9 % à 11 % sur la période 2014-2018. « Nous constatons également un nombre d’annulations plus élevé en Asie-Europe du Nord, d'un peu moins de 20 %, ce qui, bien que conforme à 2019, est supérieur à la moyenne 2014-2018 ». L'Asie-Méditerranée serait la seule route maritime à afficher une réduction de capacité dans les clous de la moyenne des années 2014-2019.

Ralentissement plus marqué ces deux derniers mois

De leur côté, à l’occasion de la présentation des résultats du second trimestre et/ou premier semestre, les armateurs évoquaient davantage ajustement lent des taux de fret, un « atterrissage en douceur », estimait Rodolphe Saadé, qui se gardait toutefois d’indiquer à quel niveau ils allaient se poser. Une seule certitude : « pas au niveau bas où on l’a connu durant la dernière décennie avant 2019 ».

Dans une note toute récente à sa clientèle, Matson devait reconnaître que « le ralentissement a été beaucoup plus marqué et moins ordonné au cours des deux derniers mois ». Le ralentissement a poussé l’armateur américain à mettre fin à un des trois services transpacifiques – China - California Express (CCX) –, lancés au plus fort de la pandémie.

Le ralentissement de la demande amène Matson à fermer sa boucle "CCX".
En raison du ralentissement de la demande, l'opérateur américain Matson a mis fin ce mois-ci à son service ". Matson avait lancé cette boucle en juillet 2021 pour répondre à la demande croissante de marchandises sur la voie commerciale transpacifique. Le taux de fret spot moyen pour un conteneur de 40 pieds de Shanghai à Los Angeles ou Long Beach s'élevait à 3 050 $ la semaine dernière, selon le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI). Il aura dévissé de 58 % en seulement onze semaines.

Adeline Descamps

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