Le gouvernement a nommé Stéphane Raison comme « directeur général préfigurateur de la création du nouvel établissement Haropa ». L’annonce a été effectuée par deux communiqués distincts, de la Mer et de la Transition écologique, à quelques minutes d’intervalle. Inscrit à l’agenda depuis quelques années, le nouvel établissement portuaire devra être une réalité le 1er juin 2021. Il sera localisé au Havre. Et donc dirigé par l’actuel directeur du port de Dunkerque.
Après avoir fait du surplace pendant des mois, le chaotique dossier de fusion des trois ports de l’axe Seine au sein d’un seul et unique EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) est passé en quelques minutes dans une phase d’hyperactivité. Le chantier reprend vie in extremis puisque l’échéance avait été initialement fixée au 1er janvier 2021 par Édouard Philippe. Alors premier ministre, le Havrais avait fait de l’intégration plus poussée des deux ports maritimes du Havre et de Rouen et du port fluvial de Paris – déjà regroupés au sein du GIE Haropa depuis 2012 –, une des grandes lignes directrices d’une stratégie nationale portuaire, qui elle reste toujours dans l’antichambre de la concertation. En regard avec sa vision étayée sur trois principales portes d’entrée (Dunkerque, Le Havre et Marseille-Fos) et trois axes maritimes Seine, Nord et Rhône-Saône, il avait alors souhaité que cette inclusion à un seul commandement soit réalisée au plus tard le 1er janvier 2021.
Ce 28 octobre, à quelques minutes d’intervalle et de façon disjointe, les Ministères de la Mer et de la Transition écologique (transports), les deux tutelles, ont envoyé le même communiqué pour signaler deux nouvelles étapes qualifiées comme « importantes pour la création du nouveau grand port maritime d’État », à savoir la nomination de Stéphane Raison, l’actuel directeur du port de Dunkerque, pour diriger le futur établissement et la localisation du siège de l’établissement au Havre. Une autre information ne passera pas inaperçue : La fusion est repoussée au 1er juin 2021. L’ajournement ne surprendra personne tant l’affaire s’est diluée dans le temps mais pourra trouver dans la gestion du Covid un argument de circonstance aux lenteurs du dossier. La révélation de la localisation n’étonnera pas davantage et coupera court aux manoeuvres de l’ombre en faveur d’une implantation rouennaise.
Catherine Rivoallon, chargée de la fusion des trois ports de l'axe Seine
Clivages
Enfin, la principale repose sur la nomination de Stéphane Raison. L’ex-président du directoire du GPM de la Réunion et patron du port des Hauts de France nommé par François Hollande va donc se substituer à Catherine Rivoallon pour achever les travaux de préparation à la création du nouvel établissement, rampe de lancement pour la suite.
Nommée en février 2019, Catherine Rivoallon, qui était alors présidente du conseil d’administration du Port autonome de Paris, avait déjà créé la surprise alors qu’un fonctionnaire était attendu à ce poste. Force est de constater que la spécialiste franco-danoise au parcours professionnel dans la logistique de la grande distribution (Vivarte, Monoprix...) n’a sans doute pas ménagé sa peine pour imprimer son style auprès du public hétéroclite aux intérêts kaléidoscopiques auquel elle était censée s’adresser : administrations des ports, collectivités locales, clients du ports que sont les chargeurs, armateurs, opérateurs portuaires, communauté portuaire, fédérations professionnelles, les partenaires sociaux, dont la Fédération nationale des ports et docks, avec lesquels la signature d’un accord-cadre interentreprises reste à signer.
Les mouvements sociaux contre la réforme des retraites, la crise sanitaire, un changement de Premier ministre, la création d’un ministère de la Mer, des arbitrages avec le ministère des Transports... ne l’ont pas non plus aidé à manoeuvrer dans ces conditions.
Pour mener sa mission – « modèle économique, gouvernance, organisation, trajectoire financière et cadre social » – elle pouvait s’appuyer sur un comité de préfiguration composé de cinq personnalités. Présidée par la député socialiste et ex-ministre sous la présidence Hollande, Valérie Fourneyron, l’instance associait Thierry Tuot, conseiller d’État, Gilles Belier, avocat et membre du Haut conseil du dialogue social, Emmanuelle Perron, présidente du conseil de surveillance du GPM du Havre et Frédéric Henry, président du conseil de surveillance du GPM de Rouen. Or, la préfiguratrice a perdu en cours de route deux de ses membres. Si Frédéric Henry, président de Lubrizol (l'usine chimique qui a explosé à Rouen) a préféré se retirer du « jeu », Valérie Fourneyron, elle, a délibérément démissionné pour désaccord.
Les « Ponts » de retour aux affaires
Cet épisode clos avec l’arrivée de Stéphane Raison, les « Ponts » reprennent donc les affaires en main. Une stratégie à contre-courant – du moins sur le papier – avec les volontés de l’artisan de ce dossier, Édouard Philippe, qui semblait vouloir donner plus de place à des profils moins « technos », plus « développeurs » que « gestionnaires d’infrastructures » pour accoucher d’un modèle portuaire d’« entrepreneur ».
La gestion du dossier déroute aussi parce que les signaux envoyés sont peu lisibles. L’annonce intervient alors qu’un cabinet de chasseurs de tête a été mandaté pour identifier des profils capés pour le poste, ce qui n’interdit pas la promotion de ressources émanant des administrations centrales ou des établissements portuaires. Le ministère des Transports confirme au JMM qu’il faisait partie de la liste.
Les nominations récentes au sein des trois établissements appelés à fusionner questionnent également. Kris Danaradjou, diplômé de l'École nationale des travaux publics de l'État (ENTPE) qui était directeur depuis 2018 du port de Gennevilliers, a été nommé cet été au poste de DG adjoint du Port du Havre aux côtés de Baptiste Maurand.
Kris Danaradjou, DG adjoint du port du Havre
Les acteurs du privé, en attente
« Premier port de commerce de France, le nouvel ensemble portuaire pourra ainsi proposer une offre commerciale globale à l’ensemble de ses clients industriels et exportateurs et peser davantage dans la compétition avec les autres grands hubs européens (…) L’intégration des trois établissements portuaires renforcera la robustesse du modèle économique et la capacité d’investissement de la nouvelle structure, qui bénéficiera des moyens supplémentaires prévus dans le cadre de l’enveloppe de 175 M€ apportée par le plan de relance », conclue le même communiqué de presse des deux tutelles.
Les acteurs du privé, qu’il a fallu parfois convaincre de l’avantage d’une telle fusion et qui espéraient avoir un rôle clé dans la gouvernance de ce nouvel objet portuaire au-delà du seul rôle consultatif, apprécieront sans doute le retour de l’action, eux qui désespéraient des inerties du système et s’impatientaient parfois avec radicalité du « machin ».
« À la tête de cet établissement [sous le contrôle de l’État mais avec une structure d’entreprise, une logique commune d’investissements et de politique commerciale], il faudra une personne qui aime le terrain, sache écouter les attentes du privé tout en travaillant de concert avec le public, et soit force de propositions d’idées nouvelles dans les domaines de l’international, de la transition énergétique et de l’innovation. En quelque sorte, un mouton à cinq pattes ». Propos tenus par Catherine Rivoallon auprès de nos confrères de L’Antenne ce 26 octobre en réponse à une question sur la nomination du dirigeant du futur établissement, quelques heures donc avant les derniers arbitrages...
Adeline Descamps
