Aussi puissante soit-elle, à l’image de Miami par exemple, aucune autorité portuaire n’a eu les moyens d’ajuster une réponse proportionnée et efficace face au Covid-19 dans le secteur de la croisière. Yann Alix, de la Fondation Sefacil et contributeur du JMM, a amorcé la semaine dernière une réflexion sur les questions posées par la crise sanitaire à l'industrie de la croisière.
D’Osaka à Port Everglades en passant par Montevideo ou Barcelone, les autorités portuaires doivent être amères. Dans un premier temps, elles ont dû verrouiller leurs infrastructures, reniant finalement l’essence même de leur fonction première en laissant des milliers de croisiéristes sans ports où accoster. Puis, forcées de devenir l’interface humanitaire, elles sont devenues en quelque sorte l’antichambre d’un traitement et d’un rapatriement de milliers de croisiéristes devenus apatrides dans leur confinement forcé sur des navires indésirables.
Quelles pourraient être les mesures à mettre en œuvre dans un monde de l’après croisière pandémique ? Un environnement dans lequel le tourisme de croisière perdure mais dans des conditions de précaution et de prévention portuaires encore ni testées ni usitées. Les réponses portuaires se situent à diverses échelles.
Entre l’autorité portuaire et l’exploitant du terminal de croisière
Dans la cohérence actuelle qui se construit sur les plans de continuité d’activités, la croisière pourrait disposer d’une cellule de gestion des maladies et des risques pandémiques : prendre la température des croisiéristes, effectuer des tests, aménager des espaces spécifiques au cœur même des terminaux en cas de mise en quarantaine lors d’une escale, etc. Ce premier « filtre » minimal, à l’interface entre le navire, le terminal, le port et son arrière-pays, est sans doute le plus pratique et opérationnel. La plupart des autorités portuaires y travaillent déjà et cette première dimension serait assez aisée à mettre en place mais sans perdre de vue qu’elle serait probablement insuffisante si un prochain épisode pandémique survenait. Il reste un travail à mener sur des scénarios arbitrant différentes intensités de réponses.
Quels seront les effets post-traumatiques du Covid-19 sur le secteur de la croisière ?
Au niveau de l’État
L’expérience du Covid en atteste. La prise de décision relève d’une concertation entre toutes les sphères de la puissante publique. Aux États-Unis, c’est le président qui acte l’ordonnance finale. En Asie du nord-est, ce sont les primatures et les présidences qui ont communiqué les décisions sur la « non-gestion » des escales de navires de croisières dans leurs ports respectifs. Le Covid-19 exige de penser une nouvelle politique nationale de gestion des risques sanitaires en cas de risques pandémiques, avec un volet spécifique concernant les territoires portuaires. Selon les cas, les coordinations avec les régions, les provinces ou encore les villes devront s’appuyer demain sur un dispositif qui permette de désigner un ou plusieurs ports en capacité de gérer une escale humanitaire, avec une concentration des moyens humains, médicaux et financiers pour ce faire. Une coordination nationale suppose une réponse co-construite autant avec les partenaires de la filière croisière (armements, voyagistes, office de tourisme, etc.) qu’avec un panel de spécialistes issus du monde médical, sans oublier évidemment les acteurs-clés de la gestion logistique de crise. Ces derniers sont les grands oubliés des improvisations actuellement expérimentées dans la plupart des ports de croisière.
Au niveau de l’environnement portuaire
Que l’on soit dans les Caraïbes, en Méditerranée, en Mer de Chine ou en Mer du Nord, les territoires explorés demeurent géographiquement semi-fermés suivant le schéma des itinéraires propre aux croisières : en boucles et en circuits pendulaires avec des escales. Le manque total de coordination entre États a été flagrant, chacun cherchant même à plutôt refourguer le bateau à son voisin, générant errances anxiogènes et même malaise quasi philosophique parmi les « terriens-observateurs-confinés ».
À l’avenir, les différents États, sur une rangée portuaire déterminée, ne pourraient-ils pas garantir le financement d’un fond dédié à la gestion d’escales humanitaires de croisières ? En désignant un ou plusieurs ports « prioritaires » en fonction de la capacité à gérer ce type d’intervention, un plan de secours d’urgence gérerait le retour à terre des croisiéristes depuis des « sas de déconfinement portuaires » régionaux ou continentaux. Les autorités portuaires désignées seraient alors financées par l’entremise d’une taxe annuelle, versée systématiquement par les États partenaires, mais aussi par les compagnies maritimes, les voyagistes et toutes les parties prenantes au modèle d’affaire de la croisière maritime. Et pourquoi ne pas envisager l’Organisation maritime internationale (OMI) prendre un certain nombre de résolutions allant dans ce sens, à l’instar de ce qui avait permis de produire en un temps record les fondements du Code ISPS suite aux attentats sur le sol américain ?
Aussi puissante soit-elle, à l’image de Miami par exemple, aucune autorité portuaire n’a eu les moyens d’ajuster une réponse proportionnée et efficace face à la crise du Covid-19 dans le secteur de la croisière. Pour que l’anticipation participe à la gestion post-traumatique de l’actuelle pandémie, les trois dimensions – autorité portuaire, État, région portuaire – doivent aligner des processus globaux, concertés et coordonnés. La réponse ne peut venir des seules autorités publiques ou organismes de régulation. Une partie des solutions de demain reposent aussi sur les acteurs clés que sont les armements et les voyagistes. S’ils survivent au cataclysme économique qui les frappe et s'ils trouvent les arguments pour faire remonter des croisiéristes sur leurs navires.
Yann Alix
La fondation Sefacil est un centre de ressources et de recherche sur les stratégies portuaires et maritimes.