Les propriétaires et opérateurs de très grands transporteurs de brut et de produits pétroliers mangent la poussière depuis de longs mois désormais. Depuis le début de l’année, au moindre sursaut du pétrole, il leur est promis une sortie imminente du tunnel. En attendant, les armateurs de tankers souffrent tout en donnant le sentiment d’entrevoir un raie de lumière. Les conditions actuelles du marché sont parmi les plus rudes que les opérateurs de pétroliers aient connues dans leur histoire récente, soufflent certains d’entre eux.
Intermodal se dit confiant face à la (lente mais) progressive hausse des prix du pétrole brut depuis janvier 2021, le Brent ayant atteint récemment son plus haut niveau depuis octobre 2018 et la référence américaine – le WTI –- son plus haut niveau depuis 2014. Le WTI/Brent & Dubaï s'établissent respectivement à 84/86 et 82 $ le baril. La demande de pétrole est stimulée par la flambée des prix du gaz naturel et du charbon à des niveaux record au cours des derniers mois, explique notamment le courtier.
Le niveau du stock, paramètre capital
D’autres indicateurs sont au vert. Selon l'OPEP, l'année 2021 devrait se solder sur une augmentation de la demande de pétrole de 5,8 millions de barils par jour (Mb/j) et une consommation de 96,6 Mb/j. Goldman Sachs a également revu à la hausse la croissance de la demande d'environ 1 Mb/j. Le secteur serait alors proche des 100 millions de barils par jour d'avant Covid.
« Parallèlement à l'augmentation de la demande de pétrole brut et à la tendance à la hausse des prix qui en découle, nous observons également une augmentation de la consommation de produits pétroliers raffinés », assure Dimitris Kourtesis. Pour le courtier spécialisé dans le segment chez Intermodal, les réserves limitées de gaz naturel et de charbon (impact sur les distillats), les prévisions d'un hiver plus froid que d'habitude (effet positif sur les produits raffinés) devraient stimuler l’activité des raffineries. Cela devrait se traduire « par une nouvelle vague de reconstitution des stocks, dont les pétroliers ont besoin pour connaître une reprise durable ». Les stocks mondiaux de produits pétroliers sont en effet inférieurs à la moyenne quinquennale pour cette période de l'année. Autant d’indicateurs susceptibles de redonner de l’emploi à des navires au chômage.
La crise énergétique, alliée du pétrole
Bien avant la présentation de ses résultats la semaine dernière, Hugo De Stoop le PDG d'Euronav avait eu l’occasion de partager avec la presse étrangère son optimisme. Le patron de l’armateur belge de très grands transporteurs de brut (VLCC) et de suezmax a lui aussi les yeux rivés sur le niveau des stocks. Le fait qu’ils soient à un niveau bien inférieur à la moyenne sur cinq ans est une « bonne nouvelle »
L’autre « divine surprise » pour le secteur est la crise énergétique. Elle ne pouvait pas mieux tomber. Tout comme le charbon, le pétrole pourrait sortir gagnant des rapports de force qui s’exercent actuellement entre les énergies. Le fuel est moins cher que le gaz. Les producteurs d’électricité arbitrent actuellement entre le charbon et le pétrole.
Tous les météorologues entrevoient par ailleurs un hiver plus froid et plus précoce en Asie, ce qui devrait générer une demande supplémentaire de pétrole et de fuel et réchauffer le marché des tankers. « Nous avons toutes les raisons d'être confiants dans le fait que nous avons maintenant traversé le creux de ce cycle particulier », a-t-il commenté lors de la présentation, en fin de semaine dernière, des résultats financiers pour le troisième trimestre clos le 30 septembre 2021.
Déficit
L’armateur belge a encaissé une perte nette de 105,9 M$ contre un bénéfice de 151,8 M$ au troisième trimestre pour des revenus s’établissant à 99,1 M$ contre 240,9 millions à la même période de 2020. La compagnie a en commande huit navires, actuellement en construction (la livraison des premiers interviendra fin janvier) tandis que les deux suezmax construits par Daehan rejoindront sa flotte d’ici fin du mois. Soit un investissement de 467 M$ pour les nouveaux navires. À fin septembre, la société disposait de 791 M$ de liquidités. Une obligation d'entreprise de 200 M$ a été lancée en août sur le marché norvégien.
Deux réserves
Dans son rapport financier, Euronav émet deux réserves « aux perspectives plus positives » : un retour aux restrictions sanitaires et un prix du pétrole qui, s'il devait continuer à augmenter, « pourrait affecter la consommation si d'autres sources d'énergie devenaient relativement moins chères. »
À moyen terme, l’armateur est conforté par l’équilibre entre l’offre et la demande : le ratio carnet de commandes/flotte qui est au plus bas depuis 25 ans, un quart de la flotte mondiale de VLCC/Suezmax qui a déjà plus de 15 ans et les nouvelles réglementations en matière d'émissions.
Tempête médiatique
Le président d'Euronav s’est retrouvé au cœur d’une mini tempête médiatique suite à un article du Wall Street Journal dans lequel il aurait évoqué une fusion avec Frontline, son concurrent qui détient aussi une importante flotte de VLCC. Depuis la prise de participation (9,8 %) de John Fredriksen dans le capital du belge, les deux rivaux partagent le même actionnaire, le magnat norvégien détenant aussi 40 % de la compagnie aux origines norvégiennes.
« Il n'est pas question d'une fusion », est intervenu rapidement Carl Erik Steen, le président d'Euronav, pour enrayer la montée en pression médiatique. Hugo de Stoop a dû préciser que ses propos ne pouvaient pas être interprétés comme l’éventualité d’une fusion. Une consolidation qui ne serait pourtant pas complètement farfelue en cette période difficile pour deux sociétés affiliées au même propriétaire… D’autant que les spéculations n’ont pas épargné les deux entreprises ces dernières années.
Tous en pertes
Euronav n’est pas le seul pour lequel le troisième trimestre s'est avéré aussi difficile que les trimestres précédents. Les majors du transport de produits pétroliers – Norden, Concordia Maritime…– et des transporteurs de pétrole brut comme Teekay Tankers et DHT ont aussi fait état de pertes importantes à l’issue du troisième trimestre. Mais cela n’a pas visiblement refroidi certains, dont Norden, qui ont affrété des navires-citernes dans la perspective d'une meilleure année 2022.
Adeline Descamps