Alors que l’accord négocié en juillet 2022 entre les deux pays en guerre pour permettre le transit en toute sécurité des céréales en mer Noire parvient aux termes de son premier renouvellement (le 18 mars), les assureurs doivent faire face à un demi-milliard de dollars de demandes d'indemnisation pour une soixantaine de navires toujours bloqués en Ukraine un an après le début de la guerre avec la Russie, selon les estimations du secteur de l’assurance. Autant de dossiers susceptibles de faire valoir la clause de la perte totale.
Les propriétaires de navires, empêchés de quitter le port par un risque de guerre de nature physique, peuvent en effet demander à leur assureur d’être déclarés en perte réputée totale dans un délai contractuel, qui varie suivant les imprimés et les polices d'assurance entre six mois et un an après le blocage. Au-début du conflit, 37 vraquiers étaient bloqués dans les ports ukrainiens pour une valeur cumulée de 900 M$. Elle est estimée à ce stade à 500 M$.
Le parlement ukrainien a approuvé une loi visant à mettre en place un fonds d'assurance de 500 M$ qui compenserait les « dommages éventuels » subis par les navires marchands en escale dans ses ports, annoncé le vice-premier ministre ukrainien Oleksandre Koubrakov, dont le détails – garanties, procédures et complémentarité avec couverture d'assurance sur le marché –, ne sont pas connus à ce stade. Cette initiative vise aussi à garantir la poursuite des exportations de céréales au cas où l'initiative sur les céréales de la mer Noire ne serait pas prolongée le mois prochain.
Les responsables ukrainiens ont clairement indiqué qu'ils essaieraient de négocier une prolongation d'un an et l’intégration de ports autres que ceux d’Odessa, Yuzhnyi et Chornomorsk. Ils plaident pour intégrer notamment Mykolaiv mais aussi d'autres produits de base que les céréales et quelques produits agricoles, notamment l'acier. Cela ne sera pas sans impact sur la couverture du risque, qui sera plus élevé.
331 marins bloqués
Un an après le début de la guerre en Ukraine, 331 marins sont toujours à bord de navires bloqués en mer Noire et mer d'Azov. Dans un courrier en date du 20 février, une trentaine d'associations d’armateurs et entreprises, parmi lesquelles la Chambre internationale de la marine marchande (ICS) et l'association des armateurs européens (ECSA), ont sollicité l’intervention du secrétaire général de l'ONU, António Guterres, afin de régler de « toute urgence » cette situation. « Depuis 12 mois maintenant, les gens de mer sont pris dans une crise qui échappe à leur contrôle. Le simple fait de faire leur travail ne peut se faire au détriment de leur vie », indique le texte écrit à plusieurs mains.
Depuis le 1er janvier, date de renouvellement des polices, les réassureurs qui fournissent une protection financière aux compagnies d'assurance, ont ajouté des exclusions pour les navires (et les avions) à destination du Belarus, de la Russie et de l'Ukraine. L’assurance étant bâtie sur un principe de mutualisation, il y a des effets de bord sur l'assurance transport avec des augmentations de tarification appliquées au-delà du simple marché Risques de guerre (RG).
Contraintes logistiques
Pour rappel, la Russie et l'Ukraine sont les principaux fournisseurs de céréales au monde, représentant 27 % des exportations de blé, 15 % de celles de maïs et 74 % de celles d'huile de tournesol.
Les exportations de blé de l'Ukraine ont chuté de plus d'un tiers au cours de la campagne de commercialisation 2022-23 (juillet-juin), ses ports maritimes ayant été pratiquement fermés de mars à juillet 2022. Mais les exportations ont repris après la signature de l'initiative sur les céréales de la mer Noire en juillet, qui a déjà été renouvelé une première fois. Elles sont toutefois entravées par la lourdeur des inspections des navires en transit, une concession faite à Moscou.
Réalignement des flux
Les flux se sont aussi réalignés, les sorties vers l'Europe ayant été multipliées par plus de dix, tandis que les expéditions vers l'Asie et l'Afrique ont chuté de 75 à 80 %, selon les données du ministère.
Les exportations ukrainiennes de blé pour la campagne 2023-24 devraient tomber à 12 Mt. La Russie, premier exportateur mondial de blé, a en revanche connu une forte campagne d'exportation au cours de la saison 2022-23 avec 24,9 Mt sur la période du 1er juin au 31 décembre, soit environ 3,2 Mt de plus sur l'année. Elles devraient tomber à 40 Mt pour la campagne 2023-24.
Adeline Descamps