Sur fond d’inquiétudes d’approvisionnement, dans un contexte de pénurie exacerbée, de demande forte en lien avec la reprise économique, de stocks faibles, la concurrence sur les importations des principales utilités, dont les énergies, s’exacerbe entre les économies industrielles mondiales. L'Europe n'est pas la seule région du monde à être confrontée à une telle pénurie. La demande croissante de production d'électricité en Chine ne peut être couverte par la seule production locale, Pékin ayant réduit le mix énergétique disponible, dominé, par le charbon pour assurer sa mutation vers une énergie décarbonée envisagée à horizon 2060. Le gaz naturel s'inscrit dans la stratégie de diversification du géant asiatique. Mais le passage du charbon au gaz se heurte actuellement à la flambée des prix, consécutive aux tensions sur sa disponibilité. L'électricité produite par le gaz ne peut pas encore seule concurrencer le charbon pour les productions de base.
Environnement de marché complètement stressé
Le contexte chinois, premier importateur mondial de matières premières, est déterminant dans la tenue du marché des vraquiers, dont les principaux clients sont le minerai de fer et le charbon. Dans un environnement de marché complètement stressé, les tarifs d’affrètement des vraquiers ont pris un nouveau coup de surchauffe. Ils s’étaient déjà emballés fin août en franchissant les 50 000 $. La dernière fois qu’ils avaient atteint un tel niveau remonte à 2009.
Nouveau témoignage d’une réelle frénésie sur les marchés : fin septembre, les annonces entourant l’éventualité d’une faillite pour le géant chinois de l’immobilier Evergrande, avec ses possibles retombées sur la construction et la demande d'acier, laissaient entrevoir des heures difficiles pour les capesize (vraquiers d'une capacité de 100 à 199 000 tpl). Sans coup férir, les prix ont plongé pour les contrats de fret à terme (FFA) du quatrième trimestre (36 750 $/j) et à 29 500 $/j pour décembre. Les taux au comptant pour les grands vraquiers s’étaient toutefois maintenus à 53 800 $/j.
Emballement
Pourtant, le 5 octobre, les taux spot étaient remontés à 80 877 $ (indice Baltic Exchange 5TC). La crainte des ruptures de courant, en lien avec le rationnement de l’électricité, et la faiblesse des réserves ont pris le relais des craintes immobilières. La congestion aux abords des ports chinois (5,7 % de l'ensemble de la flotte mondiale selon le Lloyd’s List), qui absorbe les capacités, maintient de surcroît la pression sur la demande et entretient à la hausse les tarifs d’affrètement.
Le Baltic Dry Index (BDI), indice de référence qui fournit une évaluation du prix à payer pour transporter les principales matières premières sur 26 routes maritimes, atteint désormais 5 650 points, son plus haut niveau depuis septembre 2008. Le segment des capesize a gagné 10 points, à 10 485. Il n’avait connu un tel niveau depuis 13 ans. Les revenus quotidiens moyens de ces bêtes de somme pour le minerai de fer et le charbon, ont renchéri 83 $ pour s’établir à 86 953 $.
Les supramax ont progressé de 16 points, à 3 404, tandis que les panamax, qui transportent du charbon ou des céréales (capacité de 60 à 99 000 tpl), subissent la désaffection (- 19 points, 3 884 points). Ils ont perdu 177 $ et leurs revenus moyens se fixent actuellement à 34 953 $/j. Ce passage à vide est le reflet d’une demande moindre, qui peut être en lien avec la Golden Week (semaine de jours fériés en Chine). Mais elle est également observée dans le bassin Atlantique.
780 000 t versus 56,8 Mt
Un autre facteur peut influer sur la trajectoire future des vraquiers. La Chine va devoir s’appuyer encore un temps sur le charbon avant d’entreprendre sa grande migration énergétique. Pour cela, Pékin va devoir régler son problème avec Camberra. L’exécutif chinois a mis l’embargo sur le charbon australien depuis un an en raison d’une brouille diplomatique alors que le deuxième exportateur mondial était aussi son deuxième fournisseur. Un signe de désarroi ? Selon des industriels chinois, les autorités auraient commencé par « libérer » 1 Mt du combustible australien entreposé sous douane.
Au cours des sept premiers mois de l'année, les importations de charbon chinois en provenance d'Australie n'ont atteint que 780 000 t, selon le Bimco. À comparer aux 56,8 Mt enregistrés il y a un an à la même période. Au cours des sept premiers mois de 2020, 697 voyages avaient été effectués pour transporter du charbon entre l'Australie et la Chine, dont près de 60 % par panamax. Jusqu'à présent, seuls 14 navires australiens ont été autorisés dans les ports chinois.
Dans le même temps, les importations (terrestres) de charbon en provenance d'Indonésie ont augmenté de 45,2 %, passant de 76,4 Mt à 110,9 Mt en un an, de sorte que l’Indonésie pèse désormais 60,4 % des importations de charbon de la Chine. La part de l'Australie, en revanche, est tombée à 0,4 % cette année.
Pour autant, l’Australie a augmenté ses exports de 400 000 t par rapport aux sept premiers mois de l'année dernière pour s’établir à 223,4 Mt, une jauge correspondant à un mauvais crû. L'Inde (22,3 Mt, + 96,3 %) et la Corée du Sud (15 Mt, + 72,2 %) ont compensé en toute petite partie le manque à gagner chinois. Mais le transport maritime y gagne en tonnes-milles (revenus générés par le transport d'une tonne de fret sur un mille).
Le charbon est mort ?
D’après le rapport du think tank Carbon Tracker, la Chine, porte 368 centrales, en cours de construction, avec une capacité de 187 GW, malgré la promesse du président Xi Jinping d'atteindre la neutralité carbone en Chine en 2060. Au cours des huit premiers mois de l’année, la Chine avait importé 197,69 Mt de charbon.
Adeline Descamps