Le temps perdu dans les escales européennes dégrade le trafic avec l'Asie

Les porte-conteneurs déployés entre Asie et Europe du Nord mettent actuellement 101 jours en moyenne pour effectuer une rotation. Cela signifie qu'ils arrivent avec un retard moyen de 20 jours, indique Alphaliner, qui a passé en revue les rotations entre Asie et Europe entre le 1er et le 15 mai. Le consultant, qui avait procédé à un relevé similaire en novembre 2021 puis en février dernier, confirme une réelle exacerbation.

Éprouvée est la mécanique induite par les phases de confinement depuis que le monde a fait connaissance avec la pandémie. Les effets en cascade sur la fiabilité horaire des navires, la productivité des ports, le déroutage des navires et des marchandises, le repositionnement des conteneurs vides… sont désormais bien identifiés.

Le premier port mondial, Shanghai, les endure depuis plus d’un mois et les phases se succèdent. La durée pendant laquelle les transporteurs peuvent maintenir leurs programmes dans une zone durablement verrouillée a atteint ses limites depuis fin avril. De fait, les blank sailing ont été annoncés en nombre, touchant d’abord le trafic Asie-Europe du Nord mais la côte Est des États-Unis ne devrait plus être dorénavant épargnée.

Phase trois à Shanghai

Tous les observateurs du marché craignent à présent ce que certains appellent la phase 3 du confinement de Shanghai. La levée des restrictions, qui n’est pas encore à l’ordre du jour de Pékin, devrait créer un appel d’air et entraîner un afflux de marchandises dans les ports de destination, ouvrant la voie à des pénuries de capacité et à une pression à la hausse sur les tarifs. Les opérateurs des terminaux à conteneurs européens ont tiré la sonnette d’alarme dès le 27 avril. 

Le timing pourrait ne pas être opportun. Il est probable que la fin du confinement en Chine coïncide avec l’ouverture de la haute saison, au troisième trimestre, quand les détaillants constituent des stocks avant la saison des vacances et des fêtes de fin d’année, ajoutant des tensions supplémentaires à un système au bord de l’embolie.

41 jours de retard pour le MOL Triumph

Selon les données de Flexport, le temps de transport entre l'exportateur en Chine et l'importateur aux États-Unis et en Europe est environ de deux mois plus long que sa moyenne avant la pandémie. « Les retards ont encore augmenté au cours des derniers mois », confirme Alphaliner qui avait déjà relevé des retards moyens de 17 jours en novembre 2021 et en février à l’occasion d’une mise à jour. 

Emblématique. Parti de Qingdao le 16 février, le MOL Triumph, porte-conteneurs de 20 170 EVP exploité sur la boucle FE4 de THE Alliance, devait arriver à Algésiras le 25 mars et quitter à nouveau l'Europe du Nord à destination de l’Asie à Anvers le 7 avril. En réalité, le navire a touché le port espagnol du détroit de Gibraltar le 2 avril et a fait escale à Rotterdam (12-15 avril), Anvers (26 avril-3 mai) et Hambourg (14-18 mai). Il vient donc à peine de quitter le Vieux-Continent, accusant déjà 41 jours de retard. Un cas extrême.

« Le temps nécessaire au déchargement et au chargement dans les trois plus grands ports à conteneurs européens a été de 36 jours au total entre l'arrivée à Rotterdam et le départ de Hambourg. De tels retards ne peuvent être rattrapés en naviguant à pleine vitesse vers l'est », assure Alphaliner, qui a passé en revue les rotations entre Asie et Europe entre le 1er et le 15 mai. 

Ère des escales supprimées

Selon ces calculs, la meilleure performance a été réalisée par deux porte-conteneurs de CMA CGM qui ont gagné Shanghai avec un seul jour de retard mais au prix de quelques escales rayées de la carte, à savoir Busan (pour le megamax CMA CGM Champs Élysées sur le FAL1) et à Qingdao (pour le APL Merion exploité sur le FAL 3). 

Exception faite, le retard moyen depuis l’Europe vers la Chine des navires opérés par l’alliance dont est membre l’armateur français, Ocean Alliance, s'est élevé à 17 jours contre 15 en février et seulement 9 en novembre 2021. Le retard le plus important (36 jours) a été enregistré par le mastodonte Ever Ace de 24 000 EVP, déployé sur le service CEM d'Evergreen, en raison « du temps perdu dans les escales européennes », à Rotterdam (déchargement du 6 au 9 mars), à Felixstowe (13-16 mars), à Hambourg (24-28 mars) et à nouveau à Rotterdam (chargement du 29 mars au 1er avril). 

Les navires de THE Alliance, inflexibles sur le strict respect de leurs programmes, continuent de le payer chèrement dans le respect de ses horaires. Quant à Maersk et à MSC, les deux leaders mondiaux associés au sein de 2M, ils ont également pâti des lenteurs du système européen puisque le retard moyen de leurs voyages est passé de 15 jours en novembre à 19 jours actuellement. 

Anticipation d’un chaos

Ce sont sans doute ces perturbations qu’anticipent les chargeurs et transitaires interrogés par xChange, dont la moitié des 200 sondés anticipent un nouveau chaos dans les semaines à venir. Pour s’en prémunir, les comportement des exportateurs semble avoir changé à en juger par l’enquête xChange Industry Pulse Survey. 38 % des professionnels interrogés déclarent avoir conclu des contrats à long terme en 2022 alors qu’étonnamment, 62,5 % avouent être attentistes, s’appuyant encore sur le marché au comptant. 

En termes de stratégie commerciale, 37,5 % des répondants disent avoir anticipé les livraisons pour que la livraison des marchandises auprès de leurs clients soit le moins dégradée possible. 25 % ont en recours à des alternatives (routes et autres modes de transport). Pour 58 % des personnes interrogées, les blocages en Chine ont limité leur capacité à faire fabriquer autant que prévu. 

« Prédire exactement ce qui va se passer pendant la haute saison de cette année est plus difficile que d'habitude car il y a tellement de signes contradictoires et d'éléments intangibles », tente d’expliquer Christian Roeloffs, cofondateur et PDG de Container xChange.

« La grande question est de savoir si la Chine va sacrifier sa politique de zéro Covid pour relancer le commerce et son économie. Si les règles de verrouillage sont assouplies, les arriérés arriveront en même temps que les commandes de la haute saison, ce qui pourrait provoquer de nombreux blocages de la chaîne d'approvisionnement dans les ports d'Europe et des États-Unis », confirme le dirigeant. La demande est un autre déterminant. Tous les indicateurs – PIB, indice des directeurs d'achat (PMI), inflation, etc. – plaident plutôt en faveur d’une baisse de la confiance des consommateurs. 

Signes d’amélioration dans certains ports

Il y a toutefois quelques signes tangibles de nette amélioration dans certains ports. Aux États-Unis, Charleston a récemment indiqué que sa congestion était jugulée avec tout au plus un ou deux porte-conteneurs en attente au mouillage. De même, Los Angeles et Long Beach, ports les encombrés de la planète depuis deux ans, déclarent avoir réduit la congestion de deux tiers après avoir connu un temps où plus les 100 porte-conteneurs patientaient au large. C’était en janvier.

Le consultant Drewry estime que jusqu'à 260 000 EVP destinés à l’export n’ont pas pu quitter Shanghai en avril en raison du confinement. Soit 26 porte-conteneurs de 10 000 EVP « qui vont manquer à un moment ou un autre ». La société de recherche maritime a par ailleurs comptabilisé, en utilisant les données AIS, le nombre d'escales hebdomadaires à Shanghai entre le début du confinement mi-mars (semaine 11) et et début mai (semaine 18). L’impact a été d’abord faible : il y a eu 2,5 escales de moins par semaine tandis qu'à Ningbo et Qingdao, leur nombre a augmenté en moyenne de 1,1 et 0,5 respectivement. Mais depuis la mi-avril, le mouvement s’accélère si bien qu’un total 31 escales est passé à la trappe.

Toutefois, malgré la réduction des escales, la congestion en bord de mer s'est considérablement aggravée à Shanghai, atteignant un pic de 277 navires à la mi-avril (en semaine 15).

« La congestion conjuguée à une baisse considérable des volumes de marchandises exportées en raison de la fermeture de presque toutes les usines de l'arrière-pays de Shanghai, est probablement ce qui a incité les transporteurs à retirer leurs navires de la file d'attente et à faire escale à Ningbo et Qingdao à la place », explique Drewry.

Adeline Descamps

 

 

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