Éprouvés par l’expérience de l’improbable année 2021, les gestionnaires de terminaux opérant dans les ports à conteneurs européens, sous la houlette de la Feport, fédération des opérateurs privés de terminaux portuaires, donnent l’alerte. « Pour les terminaux des ports maritimes européens et les chaînes d'approvisionnement et de logistique de l'UE, il est évident que les effets en cascade résultant de la situation qui prévaut à Shanghai seront énormes. Les risques de congestion et de perturbation lorsque ces navires se dirigeront massivement vers les ports et terminaux de l'UE et y feront escale sont très élevés », prévient Lamia Kerdjoudj-Belkaid, secrétaire générale de la Feport.
L’an dernier, chaque accroc à la chaîne d'approvisionnement mondiale n’a pas été sans remous pour les principaux ports du monde entier. Chaque choc sur la supply chain a provoqué un « après » similaire à encaisser : les conteneurs en sortie à évacuer, les marchandises détournées à récupérer, les afflux à gérer en temps différé, les tensions sur la disponibilité des conteneurs et le repositionnement des boîtes vides à prévoir...
Du premier au dernier jour de 2021, le transport maritime de conteneurs a été rythmé par des chocs et contre-chocs qui se sont répercutés en cascade sur les hubs portuaires fréquentés par les porte-conteneurs. Yantian, Ningbo, Xiamen, Dalian ou le blocage d’une voie de transit international comme le Canal de Suez résonnent encore dans les mémoires comme des tests de résistance pour les principales portes d’entrée des importations asiatiques.
Si les ports européens n’ont pas ressemblé au Far West américain, où des dizaines de milliers de conteneurs ont colonisé les quais et des centaines de porte-conteneurs ont dû patienter au large pendant plusieurs jours, ils n’ont pas été épargnés pour autant. Tout au long de l’année, le système s’est ainsi auto-entretenu. Le moindre aléa a ranimé la combustion. In fine, chaque choc a été le miroir grossissant d’un système, côté terre et côté mer, apparemment pas dimensionné pour subir des à-coups brutaux.
Le trafic dans les ports chinois a ralenti au premier trimestre 2022
Retour du cauchemar logistique
Les difficultés actuelles de Shanghai pour venir à bout d’une épidémie, qui a conduit au confinement généralisé des quelque 26 millions d’habitants, a de quoi inquiéter tous ceux qui sont à l’autre bout de la chaîne. Si les terminaux fonctionnent, assure le gestionnaire Shanghai International Port Group (SIPG), les installations tournent au ralenti. Shanghai n’est pas la seule ville-port concernée. Selon données de la société de recherche Gavekal Dragonomics, 57 des 100 premières villes chinoises en termes de PIB avaient, au 20 avril, des restrictions relativement strictes instaurées.
Selon le baromètre Ocean Timeliness Indicator (OTI) du transitaire Flexport, il faudrait désormais 118 jours en moyenne entre la porte d’un chargeur chinois et la sortie d’un port en Europe, deux fois plus qu’il y a un an.
Des prises en charge de navires et de conteneurs à nouveau tendues
La situation s’est dégradée sur le trafic Asie-Europe du Nord depuis le début de l’année, comme en témoignent les données de la plateforme de données Project44 sur les retards des navires au départ des trois grands ports chinois vers Rotterdam et Hambourg. S’ils étaient limités en janvier, ils n'ont cessé d'augmenter, atteignant 15,7 jours en mars entre Shenzhen (Yantian) et Hambourg et 11 à 12 jours depuis Shanghai vers Rotterdam ou Hambourg.
La semaine dernière, 230 navires patientaient au large de Shanghai et Ningbo, où il faut désormais sept jours en moyenne avant de pouvoir amarrer. À l’arrivée en Chine, le temps de prise en charge des boîtes par le transport routier afin d’être livrées dans l’hinterland est estimé à 12,1 jours à Shanghai (Xeneta). Il en fallait 4,6 jours le 28 mars. Les compagnies commencent à annoncer des blank sailing à l’instar de 2M (Maersk et MSC) sur les rotations AE1 et AE55 en mai.
Appel à l’intervention de l’UE
Dans ce contexte, la Feport appelle à la mobilisation collective de toutes les parties prenantes. « Tous – compagnies maritimes, autorités portuaires, terminaux portuaires, chargeurs, transitaires, pilotes, sociétés de remorquage, transporteurs routiers, opérateurs ferroviaires, les opérateurs de transport routier…–, doivent se réunir très rapidement sous l’égide de la Commission européenne pour discuter de la manière dont nous pouvons nous préparer individuellement et collectivement à éviter un cauchemar pour la logistique et les chaînes d'approvisionnement de l'UE, sans quoi les consommateurs et les entreprises européens seront pénalisés », propose la secrétaire générale, qui estime le délai avant le rush entre huit et douze semaines.
Après le Covid, l’Ever Given, la congestion portuaire, les niveaux durablement bas de fiabilité des horaires et les conséquences de la mise en œuvre des sanctions contre la Russie, « les terminaux portuaires de l'UE ne peuvent pas être une fois de plus le tampon absorbant tous les chocs et la pression qui résulteront de la situation ».
Adeline Descamps