Le sort réservé aux stocks de céréales en Ukraine continue d’inquiéter et la situation frise la perversité. Alors que les expéditions du quatrième exportateur mondial de blé sont paralysées par le blocus maritime imposé à ses ports, que les silos sont dévastés par les bombardements et les semences et récoltes sont perturbés, il est de plus en plus question de stocks récupérés par les forces russes.
Le ministre ukrainien de l’Agriculture, alerté par les professionnels du secteur agricole, avait relayé l’information il y a déjà plusieurs semaines. Le ministère de la Défense ukrainien a ensuite quantifié le phénomène, en mentionnant un volume de quelque 400 000 t de céréales détournées entre fin février et début mai. Depuis, des vidéos d’amateurs et des outils de tracking ont permis de documenter ce pillage organisé à grande échelle. Les autorités russes s’en défendent et se contentent d’évoquer des transactions commerciales classiques.
Céréales : les ports et les marchés s'organisent pour pallier la mer Noire
Plusieurs navires repérés
Début mai, plusieurs navires battant pavillon russe et transportant des céréales ont été repérés et confirmés par des experts (Sébastien Abis, spécialiste de la géopolitique du blé à l’Institut de relations internationales et stratégiques) et des analystes spécialisés dans le maritime (le truc Yörük Isik). Cont certains sont en outre sous sanctions américaines. C'est le cas du cargo syrien Souria, amarré le 29 mai dans le port de Sébastopol, au niveau du terminal céréalier d'Avlita.
Au total, au moins une dizaine de vraquiers ont exporté des céréales (en majorité du blé, parfois de l'orge ou du maïs) via le port de Sébastopol (situé en Crimée annexée) depuis le début de la guerre en Ukraine fin février, selon SeaKrime. Selon le décompte de l’association, un total de 102 100 t de céréales, en majorité du blé, mais aussi du maïs et de l'orge, ont été exportées en avril et 109 800 t en mai, contre 40 000 t par mois en moyenne avant la guerre.
Dans une déclaration le lundi 6 juin, le président ukrainien Volodymyr Zelenskiy a estimé que 75 Mt de céréales pourraient être bloquées en Ukraine d'ici l'automne (20 à 25 Mt le sont actuellement) et demande à disposer de missiles anti-navires de façon à sécuriser le passage des exportations du pays. Kiev a évoqué avec Londres et Ankara la possibilité qu’un pays tiers garantisse le passage des exportations ukrainiennes de céréales dans la mer Noire.
La Biélorussie en transit
Les exportations de l'Ukraine via la Biélorussie ont été l'une des options envisagées dans le cadre des discussions menées par les Nations unies alors qu'une crise alimentaire majeure se profile. Lors d'un appel téléphonique avec le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, le vendredi 3 juin, le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko s’est dit disposé à libérer la capacité nécessaire pour faire transiter les céréales ukrainiennes par le rail. Mais non sans contreparties. « Si les conditions sont créées pour le transit des céréales ukrainiennes, les ports qui les traiteront devraient également être en mesure de charger des marchandises en provenance de la Biélorussie », a-t-il fait valoir. Son pays, l'un des principaux producteurs mondiaux de potasse, est frappé par de sévères sanctions occidentales qui ont perturbé ses exportations d'engrais via les ports de la mer Baltique.
Moscou et Minsk considèrent que les sanctions internationales, en perturbant la chaîne de valeur des céréales, ont engendré le risque de crise alimentaire mondiale qui se profile. Le bloc occidental est, à leurs yeux, le seul responsable de la situation critique dans laquelle se trouvent les pays tributaires des céréales de la mer Noire.
A.D.