Le marché se normalise lentement mais sûrement, assure Rolf Habben Jansen. Bien que l'évolution de l'économie mondiale soit particulièrement difficile à prévoir tant les événements se surajoutent – l’épidémie, le confinement en Chine, la congestion portuaire, l'inflation, la flambée des matières premières et des énergies, la situation géopolitique, etc. –, le PDG de Hapag-Lloyd veut le croire : les taux de fret ont atteint un pic et un retour à la normale est à portée.
« La croissance économique mondiale est sous pression et de nombreux éléments indiquent que des conditions plus normales apparaîtront au cours du second semestre », a indiqué le dirigeant à l’occasion de la présentation des résultats du premier trimestre. Si l’économie mondiale se grippe, le numéro cinq mondial, qui vient de présenter des résultats financiers extra-ordinaires portés par une « année qui a démarré de manière exceptionnellement forte », prévoit toujours « un deuxième trimestre fort ».
Ralentissement du commerce mondial
La baisse des taux spot depuis plusieurs semaines et la baisse de la demande lui donneraient en effet raison. Les volumes mondiaux de transport par conteneurs ont diminué de 2 % entre janvier et février 2022 par rapport à la période de l'année précédente selon CTS, notamment du fait de la base particulièrement élevée l’an dernier mais aussi de la perturbation continue des chaînes d'approvisionnement mondiales.
Si le volume de transport sur le commerce intra-asiatique a légèrement augmenté, il a diminué sur la plupart des autres grands échanges et en particulier depuis le continent nord-américain et l'Europe vers l'Asie, en chute respectivement de 14,4 % et 13,3 %. L'indice de fret conteneurisé de Shanghai (SCFI), qui suit les taux de fret au comptant sur les principales routes maritimes à partir de Shanghai, s'établissait à 4 434 $/EVP à la fin du mois de mars 2022 contre 5 047 $/EVP à la fin de 2021. Comparé à ses performances historiques, il reste toutefois aux sommets : il ne s'élevait qu'à 2 571 $/EVP à la fin du mois de mars 2021.
Principaux éléments financiers du premier trimestre 2022 (extraits du rapport trimestriel, ©JMM)
Taux de fret en hausse de 84 %
Dans ce contexte, Hapag-Lloyd ne s’en sort pas mal du tout avec une augmentation de plus de 96 % de ses revenus au cours des trois premiers mois de l'année pour atteindre 7,97 Md€. Hapag-Lloyd a conclu le premier trimestre 2022 avec un Ebitda de 4,7 Md$, un Ebit de 4,3 Md€ et un résultat net à 4,2 Md€. Et ce, malgré des volumes stagnants (+ 0,4 %), à 2,987 MEVP (contre 2,975 MEVP l'année précédente).
Les performances sont essentiellement portées par les taux de fret, qui ont flambé de 84 % au cours des trois premiers mois de l’année par rapport à l'année précédente pour atteindre 2 774 $/EVP (1 509 $/EVP en moyenne entre janvier et mars 2021) et à un dollar américain plus fort (le taux de change moyen était de 1,12 $ pour un euro au premier trimestre contre 1,21 $ l’an dernier).
« La forte demande de marchandises exportées d'Asie a entraîné une augmentation des volumes de transport sur les trafics du Moyen-Orient et de l'Asie. Sur le trafic africain, le volume de transport a été tiré par l'intégration de Nile Dutch dans le groupe au troisième trimestre 2021. La baisse du volume de transport sur le trafic intra-asiatique et en Amérique latine s'explique essentiellement par le repositionnement optimisé des conteneurs sur d'autres trafics », commente la direction.
Malgré la vigueur des taux, les trade Atlantique et Transpacifique n’ont pas eu les résultats escomptés : « un environnement de marché difficile, caractérisé par la congestion des infrastructures portuaires locales et les retards et suspensions de la manutention des conteneurs qui en résultent, a entraîné une baisse du volume de transport, malgré une forte demande de transport de conteneur », poursuit Rolf Habben Jansen
Des dépenses d’exploitation qui explosent
Comme pour Maersk, les résultats ont été grevés par des dépenses d’exploitation en hausse de 30 %, passé de 2,259 à 2,954 Md€ en raison d’une hausse de 59,6 % du prix moyen de consommation combustibles de soute, qui s’est élevé à 613 $ par tonne (contre 384 $/t à la même période de 2021). C’est dire que la facture carburant s’est lestée de 260 M$€, à 581,4 M€, sachant que la part des carburants à faible teneur en soufre (nettement plus chers que le HFO, fuel lourd) et du GNL dans la flotte de Hapag-Lloyd est de 89 %.
Le combustible de soute n’explique pas à lui seul la combustion des coûts d’exploitation. Les dépenses liées aux conteneurs (surestaries) et au repositionnement des conteneurs vides se sont accrues de 23,3 % en un an pour atteindre 1,49 Md€.
Données extraites du rapport trimestriel 2022 (©JMM)
Prévisions revues à la hausse
Bien que le ralentissement de la croissance de l'économie mondiale au cours de l'exercice 2022 devrait entraîner une croissance plus modérée des volumes de transport par conteneurs, Hapag-Lloyd reste extrêmement confiant pour l’année.
Seabury prévoit que la croissance du volume mondial de transport par conteneurs se contractera à 2,6 % cette année contre 6,6 % (selon CTS) l’an dernier. Du fait de la guerre en Ukraine, les perturbations en mer devraient toutefois se prolonger. Tout concourt donc à une solidité des taux de fret pour cette année. Raison pour laquelle l’entreprise de Hambourg a revu à la hausse des prévisions avec un Ebitda de l'ordre de 13,6 à 15,5 Md€ (contre 10,7 à 12 Md€ auparavant), et un Ebit entre 11,7 et 13,6 Md€ alors qu’il était initialement anticipé entre 8,9 et 10,7 Md€.
Cette prévision repose sur l'hypothèse d’un maintien des volumes au niveau de l’an dernier (auparavant, le transporteur gageait sur une légère augmentation) et des taux de fret en nette augmentation par rapport à 2021 (elle pariait avant sur une hausse modérée). Les taux de fret devraient couvrir les dépenses d’exploitation appelées à augmenter encore : la guerre en Ukraine et l'incertitude qui en résulte sur les marchés internationaux de l'énergie entretiennent en effet des prix du pétrole à un niveau élevé. Fin mars, le prix du Brent s'élevait à 107,91 $ le baril, soit une augmentation significative de 69,8 % par rapport aux 63,54 $ du 31 mars 2021.
À cet égard, pour gagner en efficience sur un plan énergétique et commercial, l’armateur a lancé un programme de mise à niveau de sa flotte avec le remplacement des hélices et mis en place un système de suivi en temps réel de ses conteneurs.
Pas de revoyure des contrats
Quant au sujet qui anime actuellement le landerneau : la part entre les contrats spot et long terme. « L'objectif de Hapag-Lloyd est de maintenir un portefeuille de clients diversifié composé de clients directs et de transitaires, ces derniers assurant un approvisionnement régulier et permanent en volumes de marchandises. Des relations contractuelles allant jusqu'à 36 mois existent généralement avec les clients directs. La clientèle de Hapag-Lloyd est équilibrée, ses 50 plus gros clients représentant nettement moins de 50 % de son volume de marchandises », répond indirectement la direction.
Hapag-Lloyd ne s’attend pas en tout cas à devoir renégocier les contrats à la lumière des derniers éléments de conjoncture, comme veulent le laisser entendre les observateurs du marché.
Adeline Descamps
415 000 EVP en attente de livraison
{{ENC:1}}