Les exploitants de vraquiers sont toujours au large des ports chinois, empêchés de décharger leurs cargaisons de charbon, devenu enjeu des tensions diplomatiques entre Pékin et Canberra. Au total, 71 navires composeraient une file d’attente qui s’allonge depuis mai, faute d'autorisation de faire escale dans un port chinois. L’interdiction a déjà remodelé les flux commerciaux, les imports chinois mais aussi les exports australiens.
Il n’y a pas que les relations diplomatiques entre Pékin et Canberra qui sont gelées. L’embargo sur le charbon australien imposé par la Chine jette un froid hivernal sur les populations, rationnées dans leur consommation d’énergie au moment où le mercure se grippe. La chute des importations de charbon de 43,8 % en novembre et de de 46 % en octobre selon les données du Bureau national des statistiques chinois n’est pas la seule raison mais elle est largement comptable de la situation.
La Chine a multiplié ces derniers mois les sanctions économiques à l’égard de Canberra, imposant une véritable guérilla douanière à l’un de ses premiers fournisseurs et partenaires dans l’accord de libre-échange Asie-Pacifique, à peine signé. La foudre est tombée sur une longue liste d’exportations australiennes, les vins, l’orge, le bœuf, les fruits de mer, le bois… Mais le différend commercial entre les deux pays s’est surtout cristallisé autour du charbon. En septembre, le Pékin a demandé à ses industries et à ses ports de cesser tout achat de charbon australien. À un moment où les énergies sont largement sollicitées alors que l'« usine du monde » tourne à plein régime. Pour preuve, les exportations chinoises se sont envolées de 21 % en fin d’année.
Or en Chine, le charbon assure encore entre 60 et 70 % de la production d’électricité du pays et le pays importe environ 6 % de sa consommation annuelle. Quant au charbon australien, il représente 57 % des importations de charbon thermique et 40 % de son charbon à coke.
Les tensions entre la Chine et l’Australie mettent le vrac sec sur le qui-vive
32 Mt sourcés ailleurs
Pour compenser le manque à gagner australien, la Chine a parallèlement levé toutes les restrictions sur les importations de charbon en provenance d’autres pays. La Mongolie et l'Indonésie pourraient être les premiers grands gagnants de la brouille diplomatique. En novembre dernier, la Chine a ainsi conclu un accord avec l'Indonésie, fournisseur régulier de charbon thermique, pour sécuriser ses approvisionnements. La Chine pourrait aussi, à prix comparables, se tourner vers d’autres fournisseurs, tels la Russie, l’Afrique du Sud, la Colombie ou encore le Canada.
Selon l’agence S&P Platts, jusqu'à 32 Mt de charbon thermique pourraient être « sourcés » ailleurs au cours de ce premier trimestre. Pour certaines destinations, le scénario serait scénario favorable au transport maritime (du point de vue du tonnage/km) car elles sont à plus longue portée de la Chine que l’Australie. En revanche, il le serait moins si la Mongolie s’imposait comme un des premiers partenaires, le charbon empruntant la voie terrestre. Inquiétant pour les opérateurs de vrac sec, l’augmentation des exports de la Mongolie est déjà manifeste.
Le charbon australien, victime officielle de Pékin
Les flux se réorganisent
L’approvisionnement en charbon à coke sans surcoût est plus problématique. L’Australie pèse plus de la moitié du commerce mondial. Le géant chinois est toutefois en train d’opérer sa transition énergique. Il a réalisé ces dernières années des investissements conséquents pour se doter d’unités industrielles moins énergivores et plus efficaces dans leur rendement : la Chine abandonne ainsi progressivement les hauts-fourneaux (qui consomment du charbon à coke) pour adopter les fours électriques à arc (qui carburent au charbon thermique). L’Australie se réorganise également. Ses exportations vers l’Inde, Canada, la Russie, l'Indonésie et les États-Unis ont augmenté autant qu’elles ont diminué vers la Chine.
Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), en 2020, le commerce maritime mondial du charbon a diminué de 12,7 % par rapport à l'année précédente. Néanmoins, face à une reprise économique plus rapide que prévu en Asie, l'AIE modifié ses prévisions et prévoit désormais une croissance de 2,6 % en 2021. Selon l’agence, les échanges de charbon ont été en repli de 10 % en 2020, soit 150 Mt, la plus forte baisse jamais enregistrée. Les volumes de charbon thermique ont chuté de 10 % et ceux du charbon à coke de 12 %.
Une soixantaine de vraquiers patientent au large des ports chinois
En attendant, 71 navires bloqués
En octobre, 24 capesize et 50 panamax, totalisant un volume de 8,7 Mtpl, étaient en attente d’un déchargement au large des terminaux portuaires chinois selon Braemar ACM. Ils seraient aujourd’hui au nombre de 71, dont 35 post-panamax de 90 000 à 110 000 tpl, à espérer une autorisation de faire escale dans un port chinois pour décharger leurs cargaisons. Certains sont même immobilisés depuis mai 2020, selon l’organisation maritime Bimco. Les tensions commerciales, qui auraient pu se calmer avec le départ de Donald Trump de la présidence des États-Unis, ont trouvé un autre théâtre pour s’exprimer.
Adeline Descamps