Le tribunal de Commerce de Marseille a examiné le 10 décembre les trois offres déposées pour la reprise du groupe de services maritimes, dont les entités Bourbon Corp. et Bourbon Maritime sont en redressement judiciaire depuis août. L'une d'entre elles se distingue, la seule qui ne soit pas partielle. Elle est portée par les sept principales banques créancières. Le jugement a été mis en délibéré le 23 décembre.
Le tribunal de Commerce de Marseille a examiné le 10 décembre les trois offres de reprise du groupe de services maritimes, dont les entités Bourbon Corp et Bourbon Maritime sont en redressement judiciaire depuis août. Trois et non plus quatre. L’offre présentée au nom de la société JS & Co par Jacques de Chateauvieux, actionnaire majoritaire de Bourbon via Jaccar Holdings SAS, n’a pas pu être examinée. La société chinoise ICBC Financial Leasing, qui détient par ailleurs des actifs du groupe et soutient une offre concurrence (celle portée par la Société phocéenne de Participation SPP, pilotée par un groupe de banques créancières), avait refusé de discuter d’un éventuel accord avec Jacques de Chateauvieux, actuel PDG et à l'origine de la transformation du groupe familial réunionnais des années 70 en un conglomérat international, coté en bourse, positionné sur les services maritimes à l’offshore pétrolier. L’accord de ICBC constituait une condition suspensive de son offre.
Des trois dossiers présentés, celui de la Société phocéenne de Participation (SPP), détenue par un groupe de banques françaises*, fédérant les créanciers de Bourbon et totalisant 75 % de la dette du groupe, est à la fois celui qui semble être privilégié et le seul qui propose de reprendre la totalité des actifs des deux holdings de Bourbon. Le contenu de la proposition a été présenté dans un communiqué livré par le groupe Bourbon ce 10 décembre. Il fait état d’une conversion en capital d’environ 1,4 Md€ de dettes et de 300 M€ de dettes en obligations. L’offre intègrerait en outre 150 M€ d’apport en cash dont 30 M€ déblocables dès la réalisation du transfert de propriété pour faire face aux besoins de liquidité immédiats. « Le business plan repose sur la mise en œuvre du plan d’action stratégique Bourbon In Motion », font valoir les créanciers.
Consensus de créanciers
Si cette offre était retenue, la société serait liquidée, conduisant à une perte totale pour les actionnaires et les obligataires notamment. SPP a indiqué au tribunal que son plan de reprise bénéficiait d’un consensus d’au moins 75 % des créanciers.
En termes de gouvernance, l'entreprise reprise serait dotée d’un conseil de surveillance, « composé de membres nommés par les actionnaires et de personnalités indépendantes du secteur », tandis que le directoire serait conduit par Gaël Bodénès et Thierry Hochoa. Le premier est l’actuel directeur général du groupe, ingénieur naval de formation, dans l’entreprise depuis 2002 et à la direction du groupe depuis septembre 2017, sous la présidence de Jacques de Chateauvieux, alors président du conseil d’administration. Le 28 juin dernier, alors que ce dernier décide de reprendre la barre du groupe en concentrant les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général face à l’offensive de ses créanciers, Gaël Bodénès est nommé directeur général délégué. Thierry Hochoa a rejoint le groupe en août 2018 pour assumer la direction générale adjoint en charge des Finances et en tant que tel, a été chargé de piloter le projet de structuration financière des trois sociétés autonomes (Bourbon Marine & Logistics ; Bourbon Mobility ; Bourbon Subsea Services) créées dans le cadre du plan « Bourbon In Motion ».
Les représentants des deux autres offres – le groupe familial de logistique pétrolière Peschaud, qui n’était intéressé que par une seule des trois activités du groupe, reprise avec sa dette et l'américain Tidewater, repreneur de 30 navires moyennant 9 M€ – ne se sont pas présentés à l’audience.
« La décision du tribunal, si elle était favorable à l’offre de la SPP, conduirait à la liquidation de la société cotée Bourbon Corp. et à une perte totale pour les actionnaires et les porteurs d’obligations », a déclaré à l'issue de l'audience Jacques de Chateauvieux, encore PDG. « Elle ferait porter sur les nouveaux actionnaires la responsabilité du redressement d’une entreprise française, toujours leader mondial des services maritimes à l’offshore pétrolier, de son développement futur et du maintien de ses centres de décision en France ». Le délibéré a été fixé au 23 décembre 2019.
Violente contraction de son marché
Depuis 2015, le groupe de services maritimes est confronté à une violente contraction du marché des services offshore suite à la chute du prix du baril en 2014 (en deçà de 50 $, limite à partir de laquelle les compagnies pétrolières ont des marges de manœuvre pour investir dans l’exploration, sachant que l’offshore pétrolier représente plus de 25 % de la production mondiale de pétrole). En dépit de saignées dans ses coûts opérationnels, la société a été durement touchée. La problématique de l’offre rend ses navires en opération non profitables alors que les navires désarmés, qui lui permettent de jouer sur les coûts opérationnels, ont pesé sur ses comptes de résultat, un navire désarmé coûtant environ 1 000 $/jour. Difficilement tenable quand la crise s’éternise, expliquaient les dirigeants lors de la présentation d'un nouveau plan d'action pour émerger.
Le groupe parapétrolier français n’est pas le seul à souffrir. Certains de ses homologues ont fait faillite (en Asie, notamment). D’autres se sont restructurés lourdement (en se plaçant sous le chapter 11 aux États-Unis) ou se sont consolidés (en Norvège). C’est dans ce contexte, en février 2018, que la société marseillaise a lancé son plan « Bourbon in motion ». Représentant un investissement total de 75 M€ sur trois ans, il doit faire évoluer ses business models vers plus de services (logistique intégrée, projets clés en main, tels que l’installation de parc éolien) tout en réduisant ses coûts et retrouver une agilité financière, notamment par la cession d’actifs non stratégiques. En s’appuyant sur des innovations technologiques (positionnement dynamique, maintenance prédictive, équipements surveillés en continu….), Bourbon promet notamment de réduire les coûts d’exploitation de 25 %. Le programme Smart Shipping, qui connectera plus de 130 navires à l’horizon 2022, s'inscrit dans ce cadre.
À l'issue de son 3e trimestre, le groupe avait publié un chiffre d'affaires de 177,7 M€ en baisse de 3,2 % (hors variation à taux de change constants) par rapport au trimestre précédent mais en hausse sur un an. La demande mondiale de pétrole reste grippée, signifiait le groupe, avec une forte volatilité du prix du baril (qui oscille cependant entre 63 et 62 % depuis le début de l'année contre 75 $ en glissement annuel).
Adeline Descamps
* BNP Paribas, Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Alpes Provence, Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Paris et d’Ile de France, Crédit Mutuel Equity SCR (anciennement dénommé CM-CIC Investissement SCR), Crédit Lyonnais, Natixis et Société Générale.