Dans le collimateur des pouvoirs publics, la pollution ne va pas échapper encore très longtemps à la taxation. Pour devancer la menace, les enseignes de distribution alimentaire, grandes consommatrices de transports et corrélativement de carburant, cherchent activement à réduire leur empreinte carbone. Elles passent notamment au peigne fin leurs modèles de livraisons urbaines, créatrices d’embouteillages et de CO2, et phosphorent sur des solutions plus “propres” pour desservir les villes. Logistiques Magazine a déjà relayé (voir LM no 238 – avril 2009) les travaux du Club Déméter sur les livraisons urbaines “silencieuses” expérimentées par Carrefour et Casino. Mais ces enseignes ne sont pas les seules à tester des solutions pilotes. Système U a aussi développé sa propre solution de transport silencieux. Sous-représentée en centre-ville par rapport à ses concurrents, l’enseigne programme en effet un vaste plan de déploiement en agglomérations. Elle a donc construit un nouveau modèle logistique inscrit dans le développement durable. L’enjeu est loin d’être mineur puisqu’entre 2008 et 2010, elle verra éclore au total 180 U Express, des petites surfaces de 350 m2 situées en cœur de ville. La première du genre a ouvert en juin 2008 à Vincennes, à l’est de la capitale, suivie quelques mois plus tard d’un autre exemplaire en plein Paris, rue de Montreuil. C’est pour ce type de magasins que Jean-Pierre Rousseau, directeur logistique de Système U Nord-Ouest, a planché sur un modèle logistique innovant, déjà en test à Paris.
Principales contraintes de livraison dans la capitale: les horaires et l’encombrement des véhicules. En effet, entre 7 h et 21 h, seuls les camions de moins de 29 m2 au sol (20 palettes) sont autorisés à stationner. Or pour desservir la trentaine de magasins prévue à court terme sur Paris, Système U ne peut pas envisager de repartir avant 7 h et doit donc employer des porteurs de petites dimensions. Pour résoudre le problème tout en économisant des véhicules, du carburant, et de la pollution (!), le distributeur a conçu un système ingénieux, baptisé le bi-train. Fruit d’une concertation menée avec le ministère des Transports depuis 2006, il relève un défi majeur: livrer grâce à un seul véhicule – de taille réglementaire pour stationner dans Paris – les chargements de plusieurs magasins. En l’occurrence, Système U a mis au point un convoi formé d’un camion porteur (d’une capacité de 20 palettes) auquel est attelée une petite remorque (15 palettes) par un dolly (système d’attelage sur roues). Dans sa globalité, le convoi reste dans la limite autorisée de 18,75 m de longueur, et chacun de ses éléments (le porteur comme la remorque), limité à 29 m2 au sol, a donc le droit de stationner. Dans ce schéma, la remorque est ainsi acheminée vers un magasin pendant que le porteur va en livrer un autre, puis ils sont re-attelés pour quitter Paris. “Simple dans son principe, le dispositif a été compliqué à mettre sur pied. Pour créer notre prototype, il a fallu faire travailler ensemble trois sociétés et cela a demandé un an de mise au point”, explique Jean-Pierre Rousseau. Pour concevoir ce camion pilote, le directeur logistique de Système U Nord-Ouest a en effet réuni Asca, le fabricant du châssis de la remorque “valise”, l’entreprise de carrosserie Lecapitaine, et Dhollandia pour le hayon insonorisé. Le groupe frigorifique silencieux a, quant à lui, été fourni par Carrier. Ce véhicule insonorisé s’inspire d’un modèle opérationnel en Suède où ce type de camions, autorisés à livrer la nuit, permet de désengorger le trafic. Une autorisation qu’espère également obtenir Système U.
La construction de ce prototype a représenté 225 000 euros d’investissement autofinancés par le distributeur. Dans sa tournée de livraison actuelle, le camion part avec sa remorque de l’entrepôt frais d’Ifs, près de Caen. À Paris, il dépose sa “valise” sur un site logistique de périphérie où un transporteur prend le relais pour livrer ensuite les magasins.
Cette organisation n’est, en fait, qu’une première étape avant un déploiement plus vaste, lorsque les magasins à servir seront plus nombreux. Car le bi-train n’a pas été inventé pour tirer une seule remorque mais deux voire trois! C’est aussi la Suède qui a inspiré cette idée. “Là-bas, les attelages de porteurs avec remorques sont autorisés. Mieux: alors qu’en France la longueur est limitée à 18,75 m, en Suède, la limite est de 25,25 m, soit la dimension d’un porteur avec une remorque standard (33 palettes) ou d’un tracteur avec trois valises”, indique Jean-Pierre Rousseau.
Dans le schéma futur envisagé par le distributeur, un seul camion tracteur devrait donc acheminer trois remorques “valises”. Elles voyageront de l’entrepôt de produits frais de Système U à Ifs jusqu’à un espace logistique urbain (ELU) de banlieue parisienne. Une fois arrivées sur l’ELU, des camions roulant au gaz naturel prendront en charge les valises pour les distribuer aux magasins.
“Nous réfléchissons actuellement avec l’entreprise PVI sur un projet de tracteur roulant au gaz naturel pour effectuer ces trajets entre l’ELU et les magasins”, précise Jean-Pierre Rousseau. Une des difficultés rencontrées consiste en ce que le véhicule doit rester dans la limite de 29 m2 au sol, et, à ce que, avec ses deux remorques et dollys, sa longueur totale ne doit pas excéder 18,75 m. De tels tracteurs nécessitent en effet une construction particulière. Il faut rapprocher les essieux avant et arrière, comme sur les véhicules de nettoyage de la mairie de Paris. Il faut aussi équiper la deuxième semi-remorque d’ABS, un équipement très coûteux qui fait grimper le coût du prototype et qui ne s’amortit que sur une production en série. L’investissement est là encore conséquent puisqu’il représente près de 295 000 euros. “Nous ne pouvons pas nous engager seuls dans un tel projet”, commente Jean-Pierre Rousseau. Le directeur logistique se pose donc en éclaireur et compte bien transmettre le relais à d’autres acteurs lorsque les taxes sur la pollution entreront en vigueur. Par exemple… à un GIE de transporteurs. “Un tel GIE livrant l’ensemble des distributeurs de Paris pourrait alors être intéressé par le financement d’une solution de ce type, et c’est dans cette perspective que j’ai engagé la démarche”, confie le directeur logistique.
Le bi-train présente un grand nombre d’avantages. Permettant une livraison directe de l’entrepôt à l’ELU, il évite tout passage à quai et d’éventuels vols de marchandises. Le système permet aussi de conséquentes économies de carburant et d’émissions de CO2. “Au lieu de monter le chargement de nos 4 magasins avec deux moteurs, nous n’en utilisons qu’un seul”, souligne Jean-Pierre Rousseau. Et lorsque le convoi passera à deux remorques au lieu d’une seule (ce qui devrait être effectif à partir de septembre 2009), ce seront alors deux moteurs de moins sur les routes à chaque trajet effectué. Mieux, le coût du bi-train est très vite amorti. “Le surcoût de cet équipement se chiffre à 8 ou 10 % de plus que les équipements habituels et il est immédiatement rentable, dès quatre magasins”, confirme le responsable logistique. En matière d’environnement, la solution du bi-train peut d’ailleurs être poussée encore plus loin. “Le bi-train permet d’économiser des moteurs pour transporter les marchandises de notre entrepôt vers nos magasins parisiens mais nous pourrions même n’utiliser aucun moteur! Il nous suffirait de trouver une solution pour mettre nos remorques sur un train pour faire le trajet Caen-Paris chaque nuit! Une telle liaison serait parfaitement envisageable. D’autant plus que le bi-train autorise la livraison tri-température si l’on équipe les remorques de parois de segmentation”, évoque Jean-Pierre Rousseau. Dans ce schéma multimodal, les chargements seraient ainsi acheminés par le train de l’entrepôt jusqu’à l’ELU de Nanterre. Là, les transports Larbre les prendraient en charge pour livrer dans Paris avec des tracteurs roulant au gaz. “Il va sans dire que les attelages à deux remorques, peu manœuvrables et qui pourront mesurer jusqu’à 25,25 m pour les transporteurs qui ont une dérogation, ne peuvent de toute façon circuler que sur une des 4 voies. Ils ne peuvent ni reculer, ni manœuvrer et ne vont donc pas circuler en ville tels quels”, précise le responsable.
Le bi-train ressemble ainsi à un pari avant-gardiste anticipant un changement d’approche de la gestion des marchandises dans Paris. La taxation des émissions de CO2 devrait en effet conduire à des nouvelles pratiques logistiques, et à de nouveaux emplois de leur flotte par les transporteurs. Si les tracteurs roulant au gaz naturel sont des équipements coûteux, ils pourraient cependant être amortis à condition d’être mieux rentabilisés par leurs propriétaires. Dès lors, dans un schéma futur de la logistique urbaine, on pourrait, si les ELU se développent, envisager que ces camions puissent faire la navette entre les ELU et les points de livraison finaux toute la journée en étant dévolus successivement à différents clients utilisant les ELU. En effet, les GIE de transporteurs ayant financé ces tracteurs pourront les amortir à condition de les affecter à d’autres transports que ceux de la distribution alimentaire. Ils pourraient livrer, par exemple, les produits frais tôt le matin, puis la messagerie sur la plage horaire suivante, et enfin les matériaux de construction sur la troisième partie de journée. Une évolution aujourd’hui purement conceptuelle qui pourrait rapidement se concrétiser une fois la taxe sur les émissions de CO2 entrée en vigueur.
– Système U se déploie en ville et se dote d’un outil logistique approprié.
– Le bi-train est un système de livraison silencieux et économe en carburant.
– La solution peut évoluer vers la multimodalité.
Le développement durable mobilise les enseignes de la grande distribution, et pour cause. Avant de voir le jour, un projet de magasin doit d’abord obtenir une autorisation d’ouverture des collectivités locales. En effet, une surface de vente s’inscrit dans une politique de la ville, et à ce titre, les efforts consentis par une entreprise pour préserver l’environnement peuvent peser dans la balance et influencer le choix des collectivités locales. Dans cette optique, Système U s’est activement engagé dans la récupération des déchets d’emballage. Le bénéfice pour les municipalités est évident: “Cela évite d’engorger les poubelles et c’est autant de déchets qu’elles n’ont pas à gérer”, souligne Patrick Marguerie, directeur de la communication de Système U Nord-Ouest. Pour agir sur ce volet, le groupement a donc mis en place son propre circuit de traitement des déchets. Il a installé dans tous les magasins demandeurs (près de la moitié des magasins de la région Nord-Est) des presses à carton. Des équipements qui permettent de compacter les déchets (cartons et plastiques) en balles de 450 kg. Ces balles sont collectées et retraitées par l’entité Avenir Eco, filiale de la coopérative Système U spécifiquement créée pour cette mission. Cette structure se charge de revendre les balles et rémunère les magasins auprès desquels elle les collecte. Celui-ci a permis en 2008 de recycler, au niveau des magasins,143 tonnes de déchets plastiques, et 4 781 t de cartons, et au niveau de l’entrepôt sec de l’enseigne 108 tonnes supplémentaires de plastique.
Au titre du développement durable, Patrick Marguerie souligne aussi la politique d’approvisionnement local de Système U. “85 % des produits présents dans nos magasins sont issus de PME régionales”, souligne le responsable de la communication. L’enseigne fonctionne en effet selon une organisation très décentralisée, avec une grande liberté d’approvisionnement pour les magasins. “Citoyen et écologique, le choix de recourir à des fournisseurs locaux est aussi rentable pour nos adhérents”, justifie le porte-parole. Ces produits de proximité référencés par Système U sont aujourd’hui des vecteurs d’image pour l’enseigne. Ils sont identifiés et signalés au consommateur grâce à un logo. Celui-ci estampille tous les produits favorisant le développement durable: ils sont siglés du label Eco raison, label interne créé en 2009 par Système U, et sur lequel l’enseigne communique auprès de ses clients.
À.D.