Ervy-le-Chatel, dans le département de l’Aube (10). Ici, la région vit de ses terres arables et de l’élevage laitier. Pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de production laitière à forte valeur ajoutée destinée à la fabrication du chaource et de l’époisses. « Dans une région rurale, les AOC et AOP constituent un levier économique qui permet de garantir le prix du lait », glisse Jean-Pierre Hennequin, fondateur des Transports éponymes. C’est sur ce terrain qu’il a entamé son aventure entrepreneuriale, en 1993 : « Un patron chauffeur m’a cédé son véhicule et sa tournée de lait pour la laiterie Paul Renard dont j’ai progressivement repris les cinq tours », se souvient-il. Le fils d’agriculteur, qui préférait les camions aux moissonneuses, reliera finalement les deux univers, en devenant transporteur du monde agricole. Collectes de lait, puis bennes céréalières et livraisons en citerne Ecovrac d’aliments pour bétail : Jean-Pierre Hennequin est aujourd’hui à la tête d’une flotte de 20 véhicules qui circulent en local, en régional et en national.
« Comme les agriculteurs, nous sommes impactés par la météo : 2016 a été une mauvaise année, le trafic des bennes céréalières a baissé de 20 % », explique Jean-Pierre Hennequin. Ces réalités agricoles, dont il a l’expérience, représentent son meilleur atout pour ajuster sa stratégie, anticiper les risques lorsque les récoltes s’annoncent médiocres ; le lait viendra compenser ses pertes 2016 avec de nouveaux tours organisés pour une laiterie située dans l’Aisne. « J’ai la chance d’être géographiquement proche de mes clients et de pouvoir traiter en direct avec eux », rappelle-t-il. Attaché à sa souplesse d’action, le dirigeant souligne l’importance d’avoir réussi sa diversification, engagée dès 1997, « une évidence pour avancer ». Se tournant vers les maisons d’aliments pour bétail qui produisent et distribuent les granules protéinés aux éleveurs, le transporteur aubois a ébauché son modèle d’exploitation : intervenir en aval et en amont des usines qu’il approvisionne en matières premières, en tourteaux de soja, en luzerne, en betterave, en blé, et qu’il accompagne sur la distribution des produits transformés aux éleveurs. Quatre à cinq tracteurs livrent chaque jour pour le compte de ces maisons ; les conducteurs viennent s’accrocher le matin aux remorques et effectuent les tournées des fermes selon le planning établi par les usines. Un principe de la traction que le dirigeant a dupliqué au monde agricole puisqu’il ne gère que le matériel et les hommes. L’activité pèse 22 % du chiffre d’affaires quand la benne céréalière représente 27 %. Celle-ci intègre l’approvisionnement des usines de fabrication, les campagnes céréalières et les transferts entre coopératives. « Nous opérons plutôt au national avec 4 à 5 lignes régulières en Bretagne, 6 à 8 en région Rhône-Alpes », indique le chef d’entreprise. La couverture géographique ne l’empêche pas d’optimiser ses chargements (90 % des camions en propre). Le taux d’affrètement demeure sous les 5 %. « Je préfère compléter les retours ou terminer une tournée avec de la benne céréalière que je vais chercher au coup par coup chez les clients pour limiter les kilomètres à vide », continue-t-il. Soucieux de préserver son prix au kilomètre, jamais sous 1,10 euro en bennes céréalières et plutôt autour des 1,30 euro pour la rentabilité, le dirigeant invoque la nécessité d’avoir une offre cohérente : « Nos clients nous demandent de plus en plus de réactivité ». Depuis la crise, ils fonctionnent en flux tendus, et les plannings sont fréquemment révisés le jour pour le lendemain. « C’est du service, et il a un coût ».
La collecte de lait représente 38 % du chiffre d’affaires des Transports Hennequin. Et le prix du kilomètre est supérieur de 30 centimes à celui des céréales. « Parce que les tournées se déroulent, en partie, en horaire de nuit, elles démarrent à 2 heures du matin, et l’activité tourne 7 jours sur 7, 365 jours par an. Il n’y a ni jours fériés ni vacances. Ces paramètres sont compris dans le prix du kilomètre », rappelle Jean-Pierre Hennequin. 80 % de ses chauffeurs sont issus du milieu agricole. Eux mesurent l’obligation d’être présents et ponctuels chez les éleveurs, car le risque de perdre 25 000 litres de lait existe. Activité historique et pérenne de l’entreprise, la collecte laitière n’en demeure pas moins contraignante : il faut trouver les conducteurs et les conserver. La gestion maison des ressources humaines va dans ce sens : le patron des Transports Hennequin se montre attentif aux salaires, à sa proximité avec les chauffeurs et à l’attribution individuelle des véhicules. Une valorisation par le matériel qu’il associe à la belle image de Scania auprès des conducteurs. Passionné, certes, Jean-Pierre Hennequin n’en demeure pas moins guidé par la raison. Ses choix de moteurs répondent aux exigences du métier : « Pas besoin de puissance en collecte de lait, les camions roulent rarement à 40 tonnes, sauf en fin de tournée. Des 400, 410, 450 ch suffisent ». Malgré les 120 000 à 160 000 km annuels parcourus, les ensembles laitiers ne sont renouvelés que tous les 10 ans, le temps d’amortir les investissements très lourds. « Pour emmener mes ensembles loin, je m’appuie sur la robustesse du matériel. Pour moi, c’est Scania en moteur qui représente 100 % du parc, et Magyar ou Maisonneuve en citernes, confie-t-il. Sur la benne céréalière, la tactique est quelque peu différente : les véhicules sont renouvelés tous les 5 ans et les 6 cylindres préférés au V8 pour gagner de la charge utile. Parce que les tracteurs roulent en permanence à pleine charge, ils sont très sollicités, alors l’entreprise les conserve moins longtemps qu’en laitier ». En creux, la maintenance tient une place majeure dans la gestion de parc. Faute de disposer d’atelier intégré, le dirigeant lie ses achats à des contrats de maintenance. Il préfère déléguer totalement le suivi des moteurs, des citernes, des bennes, et se consacrer à son métier.
Si Jean-Pierre Hennequin a démarré seul à bord de son camion, le développement de la société a conduit sa femme, Coralie Hennequin, à le rejoindre. Fille de transporteur, elle était en terrain connu lorsqu’elle a pris en main l’ensemble de l’administratif des Transports Hennequin. Mais, comme dans nombre de sociétés familiales, Coralie et Jean-Pierre Hennequin ont subi la porosité entre entrepreneuriat et vie famille. Alors, pour couper les ponts, le couple a décidé de mettre de la distance : « Nous avons fait construire de vrais locaux sur un terrain de Hennequin en 2015 ; une bouffée d’air qui nous a aidés à nous déconnecter. Jusqu’alors, nos bureaux étaient dans la maison, les chauffeurs allaient et venaient et l’entrepôt était situé juste derrière la haie du jardin », se souvient Coralie Hennequin. Depuis que l’administratif et les relations clients restent de l’autre côté de la voie de chemin de fer désaffectée qui sépare leur domicile des bureaux, la tentation de remplir un dernier bon ou de mettre une ultime touche au planning appartient au passé. « Et l’entreprise ne s’en porte pas plus mal », s’accordent Coralie et Jean-Pierre Hennequin.
* Ecovrac est une citerne dotée d’un système d’automatisme, de traçabilité et de géolocalisation
• Siège : Ervy-le-Chatel (10)
• CA : 2,6 M€
• Effectif : 22 personnes, dont 20 conducteurs
• Parc : 35 cartes grises, 20 moteurs
• Activités : collecte de lait, bennes céréalières, traction agricole