« Nous avons toujours développé notre stratégie sur l’innovation technique et technologique »

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À l’aube des cent ans du groupe Premat, son président, Philippe Prémat, mène sa société entre gestion minutieuse, stratégie tournée vers l’innovation et soin apporté aux ressources humaines. Une méthode qui lui a permis de réaliser des résultats systématiquement positifs. Entretien avec un transporteur résolument à l’avant-garde.
Pouvez-vous rappeler les grandes étapes du groupe depuis sa création ?

Notre entreprise est 100 % familiale, avec trois actionnaires et une holding de tête. Je suis président et mon frère et ma sœur sont directeurs généraux. D’autres personnes de l’entourage familial travaillent avec nous. L’origine de l’entreprise remonte à 1925, avec mon grand-père que nous n’avons pas connu, car il est décédé en 1950. Mon père avait pris la succession à la fin des années 1950, après une gestion temporaire assurée par ma grand-mère. De mon côté, je me suis mis à mon compte en 1978 et j’ai repris l’entreprise familiale en 1985, avec mon frère et ma sœur. Il y a donc deux origines : la mienne et celle, historique, de mon grand-père. Et l’objectif maintenant est de fêter les cent ans l’année prochaine !

Comment définiriez-vous la compétitivité dans votre spécialité, le transport de vrac liquide et solide ?

Nous avons deux inconvénients : nous sommes français et franciliens. En Europe, le pavillon français n’est pas très compétitif à cause de sa structure de coût principalement et, en France, les transporteurs franciliens ne sont pas non plus les plus compétitifs dans le pays pour des questions de coûts de revient. Sur les marchés nationaux, nous avons en effet une problématique de compétitivité de prix. Les implantations ou encore les rémunérations sont en général supérieures en Île-de-France, même si certaines grandes métropoles (Lyon, Lille et Marseille) s’en rapprochent. En revanche, par rapport aux transporteurs qui ont les mêmes problématiques, on se retrouve à compétitivité égale et nous pouvons tirer notre épingle du jeu. Ce qui compte, c’est la qualité de la prestation, la réactivité vis-à-vis de nos clients. Par ailleurs, le marché francilien représente quasiment 40 % du marché national…

Comment se répartit l’activité du groupe ?

Nous réalisons 50 % de notre chiffre d’affaires dans le BTP, 25 à 30 % dans les matières dangereuses, 15 % dans les produits pulvérulents. Le reste regroupe le transport de déchets, exceptionnel, un entrepôt logistique (gaz), etc. Nous sommes organisés par métiers, nous en avons un par filiale. L’une, SPM, est dédiée à la distribution de carburant sur nos six sites, au lavage et à la maintenance de tous nos véhicules et pneumatiques. Notre particularité est que nous faisons de la maintenance prédictive ; tout est informatisé. Nous avons aussi des stations de lavage sur tous nos sites pour nos véhicules, mais aussi pour le lavage interne des citernes, sur les produits en poudre, pulvérulents et de farine, où un lavage est obligatoire entre chaque transport. L’une de nos stations est ainsi certifiée ISO 22000. Tous nos sites sont gardiennés, vidéosurveillés et, dans l’entrepôt gaz, s’ajoute également une surveillance par caméras thermiques pour détecter les départs de feu, comme l’implique la réglementation.

Vous évoquez l’importance de l’informatisation dans votre stratégie. Comment se déploie-t-elle dans votre entreprise ?

Nous avons toujours développé notre stratégie sur l’innovation technique et technologique pour nous différencier. Nous misons sur l’informatisation qui permet d’être plus performant, plus réactif. Nous travaillons actuellement sur la dématérialisation des documents avec Dashdoc. Et donc nous misons sur la maintenance prédictive pour notre matériel. Par exemple, nous utilisons des analyses d’huiles pour prévoir l’espacement des vidanges et de la maintenance. Pour les pneumatiques, il y a trois ans, nous avons été l’une des premières entreprises équipées de scanners pour mesurer les profondeurs de sculpture des pneumatiques et ainsi vérifier leur bon état, prévoir leur recreusage et leur remplacement. Il est très important pour nous que nos véhicules soient toujours en parfait état de fonctionnement et en règle par rapport à la réglementation en vigueur, comme l’indique d’ailleurs notre logo « Votre sécurité, notre priorité » apposé sur nos camions.

Quelle est votre politique en matière de transition écologique ?

Aujourd’hui, 100 % de notre parc diesel est Euro 6. Nous sommes dans une démarche environnementale depuis longtemps puisque nous avons signé la charte Objectif CO2 en 2008. Puis nous avons été la première entreprise à obtenir le label en 2015. Nous venons de le renouveler cette année pour trois ans. À travers le label, nous avons une obligation de résultat, les niveaux de performance sont mesurés selon la progression que l’on s’est fixée en matière de diminution d’émission de CO2 et de transition énergétique. Par ailleurs, il y a deux ans, nous avons remporté la médaille d’or du trophée ESG (Environnement, social et gouvernance), première grille de notation dédiée au secteur du transport et de la logistique, et la médaille d’argent l’année dernière.

Concernant la transition énergétique, vous avez investi dans le gaz. Quelle part de votre parc représente cette énergie ?

Nous avons fait le choix il y a quatre ans d’investir dans des véhicules bioGNC. Aujourd’hui, 10 % de notre parc fonctionne avec cette énergie qui est classée Crit’Air 1 et permet de décarboner à hauteur de 85 %. Nous poursuivons avec l’achat de vingt véhicules cette année dont dix pour un même client.

Vous intéressez-vous aux biocarburants ?

Depuis la fin de l’année dernière, nous avons développé assez fortement le XTL-HVO, avec certains clients. Cette énergie, qui décarbone de 85 à 90 % selon les cas de figure, n’est pour l’instant pas Crit’Air 1. Même si les obligations concernant les ZFE ont été repoussées, ce n’est pas un problème. L’avantage est que tous les véhicules sont compatibles au HVO. Il est aussi miscible avec le gasoil, ce qui est plus aisé. Le seul inconvénient est qu’il est un peu plus cher. Nous avons des partenaires qui souhaitent décarboner leur activité et acceptent de payer un peu plus. Ainsi, 100 % de nos volumes sur Carrefour sont réalisés avec ce carburant. Nous l’utilisons aussi avec d’autres clients comme Bolloré, Primagaz ou encore Total Energies, pour qui une majorité est réalisée en bioGNC et le reste en HVO. Par ailleurs, nous avons commandé des véhicules B100 exclusifs que nous ferons rouler au 2e semestre pour un client. Il est Crit’Air 1 et permet de bénéficier du suramortissement, mais il y a un souci qui vient de l’Europe, le règlement des « minimis »…

Quelle est votre position sur ce règlement ?

Ce règlement implique un contrôle des subventions qui sont plafonnées à 300 000 € par transporteur sur trois ans, quelle que soit la taille de l’entreprise. Ça ne va pas dans le bon sens : on promeut des nouvelles énergies avec des dispositifs fiscaux pour aider les entreprises, mais l’Europe plafonne les suramortissements à des valeurs très faibles ! Et le plafond est le même pour une entreprise qui aurait dix camions qu’une autre qui en aurait cent… Il faudrait que ce soit au prorata de l’importance de l’entreprise. La FNTR s’est emparée du sujet pour alerter les pouvoirs publics et nous attendons les réponses. Ce type de mesure peut freiner la transition énergétique !

Vous êtes-vous penché sur les énergies électrique et hydrogène ?

Nous avons obtenu une subvention suite à un appel à projets de l’Ademe pour financer des véhicules électriques. Au second semestre, nous allons mettre en route un camion électrique, sachant que pour notre type d’activité, nous réalisons des distances de 300 à 400 kilomètres maximum par jour en 44 tonnes. L’électricité n’est donc pas vraiment encore compétitive, mais dans certains cas, nous allons néanmoins faire des essais. Une autre difficulté s’ajoute : il faut avoir l’énergie au bon endroit. Heureusement, notre client a des bornes électriques chez lui. Nous regardons ce qui se fait en hydrogène. Les constructeurs nous parlaient dans un premier temps d’hydrogène à partir de piles à combustibles, aujourd’hui ils se penchent davantage sur des motorisations thermiques à l’hydrogène. On attend donc un peu les résultats des recherches. Je pense qu’il n’y aura pas une seule énergie, mais un mix énergétique en fonction des usages.

Comment le groupe fait-il face à la conjoncture peu réjouissante depuis plusieurs mois ?

Le groupe existe depuis longtemps et on a la chance d’avoir toujours eu des résultats positifs. Nous avons toujours consolidé la structure financière de l’entreprise, c’est ce qui nous a permis de passer sans encombre la Covid en 2020, sans faire appel au prêt garanti par l’État. Néanmoins, 2023 était une année un peu moins bonne que 2022 et 2024 s’annonce plus difficile. Comme tous les transporteurs, nous avons eu une importante augmentation de nos coûts de revient liée à l’inflation, d’abord en 2022, mais qu’on avait alors réussi à répercuter dans son intégralité l’année suivante, même si cela a été difficile. En revanche, en 2024, cette augmentation qui tourne autour de 7 à 8 % aurait nécessité une hausse de nos tarifs du même ordre. Mais nous n’avons pas réussi à passer autant, seulement autour de 5 %. Toutefois, selon différentes informations économiques, après les Jeux, il pourrait y avoir un regain d’activité et une année 2025 qui serait une année de reprise économique.

Comment les Jeux olympiques affectent-ils votre activité ?

Beaucoup de chantiers ont été arrêtés ou mis en sommeil pour permettre le bon déroulement de l’événement. Et nous nous attendons à des perturbations sur la période des Jeux sans savoir vraiment lesquelles… Nous ne savons pas encore de façon précise ce que nous aurons le droit de faire ou pas. Par exemple, nous avons une filiale spécialisée dans le transport fluvial, Fluvial développement, qui ne sait pas encore quand les péniches pourront naviguer sur la Seine pour ravitailler les ports parisiens. En effet, compte tenu de la météo, le niveau et le flux de la Seine posent des problèmes pour la circulation des bateaux pour la cérémonie. Le plan B, avec le Stade de France pour l’ouverture des Jeux, n’est donc pas encore exclu.

Si plusieurs chantiers ont été mis à l’arrêt, est-ce que les Jeux olympiques ont apporté d’autres sources d’activité ?

Cela nous a créé du travail parce que nous alimentons en matériaux les chantiers des sites olympiques, qui sont quasiment tous terminés. C’était par exemple le cas pour le site olympique équestre à Versailles. Nous y avons amené plus de 80 000 tonnes de matériaux que nous devrons, après les Jeux à partir du 15 septembre, transporter ailleurs afin de remettre en l’état d’origine le site du château de Versailles.

Quelle est votre stratégie de développement ?

Nous restons concentrés sur nos métiers et sur tout ce qui est vrac liquide et solide. Nous avons des spécialités sur lesquelles nous essayons d’être très performants en écoutant nos clients, en leur apportant des solutions techniques et en répondant à leurs demandes. La difficulté de recrutement est toujours très présente dans certaines spécialités, particulièrement dans le transport de matières dangereuses. Elle nous pénalise puisqu’elle nous empêche de développer des activités chez certains de nos clients faute de ressources humaines. Je me demande si les Jeux olympiques ne nous ont pas pénalisés sur ce point, car la demande très importante en main-d’œuvre de cet événement sur de nombreux métiers, comme la sécurité ou l’organisation, a peut-être capté des salariés potentiels, même si c’est ponctuel. Malgré une conjoncture économique peu florissante et un taux de chômage qui reste élevé, à 7 %, par rapport aux autres pays européens, nous ne trouvons pas de personnel… Or nos métiers, comme les matières dangereuses, ont un niveau de qualification important. Nous ne mettons pas un chauffeur du jour au lendemain dans un camion-citerne. Cela demande du temps, avec des formations spécifiques. C’est donc une préoccupation permanente chez nous.

Quelle politique sociale avez-vous déployée pour attirer et fidéliser vos salariés ?

Nous proposons des salaires plutôt attractifs, des avantages sociaux et nous mettons du matériel de qualité à disposition, avec un niveau de maintenance haut de gamme… Les gens, une fois chez nous, tendent à rester longtemps. Le problème est d’en attirer des nouveaux. Nous avons un service recrutement de quatre personnes qui travaillent à temps plein sur le sujet. Nous avons aussi cinq formateurs ainsi que des tuteurs qui relaient les formateurs pour accompagner dans le camion les nouveaux arrivants pendant deux ou trois semaines, selon les besoins. En fin de cycle de formation, le formateur retourne une journée avec le conducteur nouvellement recruté afin de valider en le mettant seul dans un camion pour aller chez un client. Tous les conducteurs sont revus une fois par an, parfois plus, car nous avons des indicateurs sur la conduite (consommation, ralenti, freinage…) et nous gérons les anomalies et les écarts.

Dates clés

1978 : Philippe Premat se lance à son compte

1985 : Reprise de l’entreprise familiale

1990 : Le groupe déménage sur le site du Plessis-Pâté avec une trentaine de camions (500 véhicules aujourd’hui)

2006 : Trophée du Transporteur de l’année

2008 : Charte CO2

2015 : Label CO2

2022 : Label Transport et logistique responsables (ESG) – Médaille Or “Ce qui compte, c’est la qualité de la prestation, la réactivité vis-à-vis de nos clients.”

Repères

Siège social : Plessis-Pâté (91)

Chiffre d’affaires (groupe transport) : 80 M€

Effectif : 600

Parc : 500

Sites : 6 en Île-de-France

Activités : Matières dangereuses, BTP, pulvérulents, déchets, exceptionnel, stations de lavage, ateliers

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