Fnac Darty, Conforama, But, Intermarché, Coca Cola Europacific Partners, Bonduelle… 250 chargeurs étaient au rendez-vous de Top Transport Europe au cœur de la cité phocéenne. Une fourmilière à contrats de transport avec 3 300 rendez-vous B to B programmés sur les deux journées de l’événement de DG Consultants. « Nous avons dû pousser les murs », affirme Jérôme Letu-Montois, directeur du Salon, les yeux rivés sur la Méditerranée. C’est sur toutes les mers du monde qu’Éric Loizeau a bâti ses plus beaux succès. Le « Captain », détenteur du record de l’Atlantique en solitaire et champion du monde des multicoques, devenu alpiniste sur le tard, a offert une bouffée d’oxygène matinale à l’audience en racontant comment il a vaincu ses peurs, ses angoisses lors de son ascension de l’Everest en 2003. « Il faut savoir changer de cap quand les conditions deviennent défavorables, faire confiance aux expertises extérieures sans hésiter à opter pour des solutions originales », assure Éric Loizeau, le visage buriné et creusé par les millions de milles nautiques parcourus.
Le retournement de conjoncture économique entamé fin 2022, affirmé en 2023, marqué par l’envolée des prix de l’énergie et des matières premières, et une inflation insolente a eu pour effet une baisse de la consommation et des volumes transportés. Le prix des conteneurs de 40 pieds multiplié par dix entre 2020 et 2021 a dévissé. « Les taux de fret ont été divisés par 15 en trois ans et le prix du transport revient à l’équilibre », souligne Alexis Giret, directeur du Comité National Routier. L’activité des transporteurs s’est contractée en 2023. Au terme d’un sondage réalisé par Bp2r, auprès d’une centaine de transporteurs, les perspectives pour 2023 et 2024 s’assombrissent. « Les transporteurs n’étaient pas aussi pessimistes en 2022. La réalité est plus sombre. La demande s’est contracté. En 2023, 49 % pensent que nous sommes entrés en récession, 16 % prédisent une stagnation et 35 % tablent sur une croissance. Pour 2024, 44 % pensent être en récession, 36 % prédisent une activité stable, seulement 40 % annoncent une croissance », annonce Xavier Villetard, directeur associé de Bp2r. Dans une filière caractérisée par des marges très faibles (1 %), les prix du transport routier resteront élevés pour intégrer les hausses des différents postes (salaires, charges, péages, pneumatiques). « Les transporteurs vont taper dans les réserves », promet Xavier Villetard.
Une versatilité des marchés qui bouleverse les circuits logistiques et qui impose aux chargeurs et transporteurs de s’adapter. Optimisation des plans de transport chez Breger, le recours au pooling inversé a permis d’éviter le rejet de 690 tonnes de CO2. Le groupe s’est par ailleurs équipé de 30 remorques P400 pour accélérer sur le rail-route. Les recours à l’intelligence artificielle (DC Brain) et à la logistique 5PL (Sealogis) sont autant de voies possibles pour améliorer le transport et la chaîne d’approvisionnement.
Choisir le carburant et le matériel roulant devient un pari fou sur l’avenir. « Le prix du GNV a quintuplé en deux ans, cela devient ingérable pour les transporteurs et les chargeurs », ajoute l’expert du CNR. Dans les travées sur Salon, les chargeurs avouent chercher à réduire leurs coûts, le risque étant de voir le sujet du développement durable rétropédaler. Une situation alarmante sachant que le TRM est responsable de 31 % des émissions de GES, devant l’agriculture et ne parvient pas à réduire ses émissions en dépit de la Charte Objectif CO2 et Fret 21 côté chargeurs. « Depuis 1990, les GES du transport ont augmenté de 9 % quand les autres secteurs sont en baisse de 28 % sur la même période. Le TRM est en état d’alerte, il est le mauvais élève de l’économie », dénonce Elsa Le Van, économiste des transports au sein du cabinet ELV Mobilités qui conseille les collectivités. Dans un contexte où le périmètre d’application des ZFE a été réduit à cinq villes françaises seulement, la question se pose. « Les métropoles avancent à reculons », commente Jérôme Libeskind, expert en logistique urbain au sein du cabinet Logicités. Certains continuent d’y croire à l’image du groupe d’électroménager Boulanger qui soutient financièrement l’arrivée sur le marché de poids lourds à hydrogène. Ce gaz zéro émission devient une réalité opérationnelle avec l’ouverture des deux premières stations poids lourds hydrogène vert Hyliko en juin 2024 à Villabé et Tremblay-en-France. Innover et optimiser les tournées est l’une des nombreuses solutions pour réduire les coûts, optimiser les chargements et réduire le nombre de voyages.
« Compte tenu de l’explosion des coûts, les choix technologiques deviennent complexes et la partie s’annonce serrée avec les chargeurs », observe Xavier Villetard. Certains chargeurs et transporteurs choisissent d’explorer la voie le ferroviaire avec tous les aléas en termes de délais et de fiabilité. Comment le fret ferroviaire réussira-t-il le défi de doubler sa part en sept ans ? « Nous avons six pistes pour réduire les GES : travailler sur les transferts modaux, augmenter la performance énergétique des véhicules, travailler sur les énergies bas carbone, améliorer les infrastructures et la gestion du foncier logistique. Il faut aussi revoir les stratégies des localisations des commerces et des industries », suggère Elsa Le Van. L’hydrogène pour les poids lourds va pénétrer le marché sous 12 à 24 mois avec l’arrivée des véhicules Hyundai de 19 et 26 tonnes au deuxième semestre 2024 pour des transports régionaux. Les châssis Iveco, en attente d’homologation, devraient arriver sur le marché en 2025. Le camion à hydrogène de Quantron est annoncé pour le deuxième semestre 2025. « Le coût du transport est le double des coûts d’un poids lourd au gasoil et c’est la même chose pour la partie énergie », souligne Alexandre Filoni d’Hyliko (groupe Kouros). « Les biocarburants tels que le HVO sont une source intéressante et le full électrique pour les camions de 12 à 44 tonnes », souligne Yan Colin directeur des mobilités vertes chez Bert &You qui annonce cinq camions à hydrogène l’an prochain dans sa flotte.
Cette édition de Top Transport Europe a également rappelé les enjeux de la main-d’œuvre routière. Dans un contexte de pénurie de 50 000 conducteurs en France et de vieillissement de cette population, dont l’âge moyen est de 47 ans, les inquiétudes soulevées portent sur le trou d’air prévu en 2024 où 30 % des salariés de plus de 55 ans vont partir à la retraite. Cette tension capacitaire en France et en Europe conduit certaines entreprises de transport à se tourner vers des pays tiers. Transport Nou, présent pour la première fois sur le Salon d’affaires, compte désormais 30 % de Philippins et Péruviens sur les 380 conducteurs.