« Faire émerger des solutions en hydrogène et en électrique à l’horizon 2028 »

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Ceva Logistics a récemment annoncé le lancement d’un test de tournées sur cinq ans avec un camion hydrogène, tout en participant à la création de stations multi-énergies. Le point sur la stratégie de décarbonation du groupe avec Luc Nadal.
Quelle stratégie adoptez-vous en matière de décarbonation ?

Nos clients sont demandeurs de solutions sur la décarbonation. Beaucoup ont pris des engagements en ce sens et dépendent en partie de leurs fournisseurs, tout comme nous avec nos prestataires de transport. Ceva Logistics sous-traite une part importante de ses transports et notre enjeu consiste à trouver et tester des solutions afin d’aider nos transporteurs – qui sont souvent des PME – à les adopter en faisant office de fer de lance. Le jour où des solutions industrielles émergeront, Ceva Logistics réalisera les investissements nécessaires, y compris en soutien de ses fournisseurs. On peut imaginer investir dans une flotte et la mettre à disposition de nos transporteurs par exemple. Nous voulons aussi jouer un rôle auprès des pouvoirs publics pour qu’ils prennent conscience de la nécessité de créer un réseau de recharge, sans que le coût soit excessif, car nos clients n’accepteront pas de payer un prix de transport beaucoup plus élevé que le prix actuel.

Avec quels véhicules comptez-vous transporter d’ici dix ans ?

Notre analyse est que tout ce qui relève de la moyenne distance – c’est-à-dire tous les circuits où le chauffeur revient à son point de départ en fin de journée – devrait être décarboné relativement facilement, grâce à l’utilisation de camions électriques ou à hydrogène selon les circonstances. Dans le cas d’une grosse flotte de camions, il faudra être capable d’amener sur le dépôt du transporteur un niveau de puissance considérable. Prenons le cas d’une flotte de trente camions électriques qui reviennent tous au dépôt en fin de journée et qu’il faut recharger pendant la nuit. Il faut compter entre 500 et 600 kWh pour assurer le chargement d’un seul camion électrique, la puissance nécessaire devra donc être de 18 mégawatts répartis sur six à sept heures de charge. Chez Ceva, nous avons donc une interrogation à la fois sur la capacité du réseau électrique et sur la capacité des transporteurs à faire venir sur leur site ce niveau de puissance.

Et l’hydrogène ?

Ce vecteur énergétique pourra intéresser les transporteurs situés à proximité d’un hydrolyseur. Mais la chaîne de production de l’hydrogène vert par électrolyse nécessite beaucoup d’électricité tout en générant de grosses pertes, lors de la conversion et à bord des véhicules, dans la pile à combustible. Les camions électriques paraissent donc plus intéressants que les camions à hydrogène, à moins que l’hydrogène ne soit produit à temps perdu par des centrales nucléaires la nuit, ou de l’éolien pendant les heures creuses. Reste tout de même la question de la capacité à concentrer la puissance suffisante sur quelques sites. Il faut aussi tenir compte de l’hydrogène natif, qui pourrait jouer un rôle décisif, dans la mesure où de récentes découvertes laissent entrevoir des réserves considérables dans les sous-sols maliens ou français, à condition toutefois que sa pureté soit suffisante et que le coût de traitement reste acceptable.

Qu’en est-il du secteur longue distance ?

Pour le transport longue distance, un segment sur lequel nous sommes également parfaitement concernés, notamment par notre activité de fret routier et de transport automobile, se pose la question de l’infrastructure de recharge. Nous sommes engagés dans la création de terminaux de service en connexion directe avec les autoroutes sur les grands corridors, près des échangeurs routiers. Nous évaluons à 60 le nombre de terminaux hydrogène ou électriques qu’il faudrait créer en France, avec une capacité de charge de 60 à 80 camions par heure. Sans cette infrastructure, nous avons de gros doutes sur la décarbonation du transport longue distance en France. N’oublions pas que le succès de Tesla repose aussi bien sur l’offre de voitures électriques que sur le réseau de superchargeurs associé. Ceva travaille avec Engie et la Sanef pour monter une preuve de concept (PoC) entre Lille et Avignon d’ici fin 2023 avec cinq relais dans des terminaux tests destinés à vingt camions (biogaz, électrique ou hydrogène) de manière à simuler ce mécanisme. Cela permettra d’éviter les errements initiaux qui ont prévalu lors du lancement des voitures électriques, avec, par exemple, l’installation de bornes lentes sur autoroutes qui n’ont jamais été utilisées.

Vous allez donc tester l’hydrogène et l’électrique ? Quels sont les freins à relever ?

Nous travaillons avec plusieurs constructeurs de camions hydrogène et électriques afin de faire émerger des bonnes solutions à l’horizon 2028. Pour les camions électriques, l’offre est satisfaisante pour les porteurs mais elle reste encore ténue pour les tracteurs car il manque pour l’instant des camions de 750 kWh de batterie, qui seront capables d’offrir une autonomie suffisante. Ils n’arriveront pas avant la fin 2024. Sur l’hydrogène nous sommes encore à la phase exploratoire. Nous venons d’engager un partenariat avec notre client Toyota, dont nous gérons une partie des flux d’approvisionnement des usines, et pour lequel nous avons acheté un camion hydrogène conçu par VDL qui roulera pendant cinq ans. Il commencera à rouler en fin d’année 2023. Cette technologie peut également poser quelques questions. Pour l’instant, les porteurs à hydrogène qui ont été testés peuvent présenter des difficultés en cas de côtes importantes ou lorsque le camion est lourd. L’appel de puissance nécessitera peut-être l’ajout d’une batterie additionnelle.

Quelle est votre position vis-à-vis des carburants alternatifs comme le biogaz, le HVO ou le B100 ?

Nous les considérons comme des solutions transitoires, du fait de la concurrence du secteur transport avec d’autres secteurs, comme le chauffage des particuliers pour le biogaz ou l’aviation, et l’on ne pourra continuer longtemps à utiliser des champs agricoles pour produire du carburant. Il faut absolument aller vers des solutions pérennes et nous espérons atteindre le zéro carbone avec de l’hydrogène vert et de l’électricité verte.

Combien de terminaux multi-énergies souhaitez-vous en Europe ?

Nous avons fait une simulation avec nos patrons pays, et si l’on veut vraiment décarboner le transport longue distance, il faudrait compter sur 320 terminaux environ en Europe. Ces terminaux, ouverts à tous, ont vocation à être portés par les sociétés d’autoroutes comme Sanef. Ils pourront offrir une capacité de charge à tout un chacun, mais aussi un service de convoyage de remorques inter-terminaux. Ainsi, un gros transporteur pourra les utiliser comme des stations-service, et un petit pourra très bien remettre sa remorque, qui sera ensuite acheminée par des camions électriques, hydrogène ou autre, en fonction des choix locaux. On peut très bien imaginer une traction avec un camion électrique en France, et, plus à l’est, un relais avec des camions roulant au biogaz car l’électricité n’y est pas décarbonée.

Cette organisation implique une réorganisation des schémas logistiques actuels…

Les camions électriques ou hydrogène coûtent beaucoup plus cher qu’un camion diesel et vous avez intérêt à les faire tourner quasiment en continu – autour de 220 000 km par an – si vous souhaitez offrir des prix de transport réduits. Cela donne tout son sens à des navettes inter-terminaux avec plusieurs chauffeurs qui se relaient sur 24 heures, en utilisant un superchargeur pendant la coupure lui permettant de rouler jusqu’à la coupure suivante. Ce système présente l’avantage de faire rouler constamment les camions entre les terminaux et certains transporteurs pourront trouver plus avantageux de les utiliser plutôt que d’envoyer leurs propres chauffeurs. Ils pourront se concentrer sur la relation client et amener la remorque au terminal en France, elle sera ensuite prise en charge et remise, par exemple, à Bratislava, à son agence slovaque ou à un de ses partenaires. Cette vision permet d’avoir un usage inter-terminal extrêmement productif, avec des chauffeurs qui reviendront à leur domicile, ce qui peut contribuer à résoudre les pénuries de chauffeurs longue distance auxquelles notre industrie est confrontée. Cela permet aussi de relocaliser l’emploi dans les pays : en France, l’inter-terminal sera réalisé par des chauffeurs français par exemple.

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