« Tout concorde pour que la transition écologique s’accélère »

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Des crises qui se succèdent, l’intégration de la transition énergétique, le développement des connexions… Alors que la gouvernance de l’AUTF (association professionnelle des chargeurs) se renouvelle, Fabrice Accary, directeur général de l’association, fait le point sur les dossiers qui occuperont l’AUTF sur les prochaines années.
Combien d’adhérents l’AUTF regroupe-t-elle aujourd’hui ? Quel est son périmètre d’action ?

L’AUTF regroupe 170 adhérents, parmi eux 80 % sont des entreprises, principalement des groupes avec un périmètre international. Il y a aussi plus de 25 fédérations professionnelles, la plupart nationales, qui rassemblent plusieurs milliers d’entreprises, mais aussi des associations régionales. L’ensemble de nos adhérents nous permet d’avoir une représentativité sur toutes les filières de l’industrie, du commerce et de la distribution. L’AUTF couvre le plus largement possible toutes les problématiques de flux logistiques et de transports sur l’ensemble des modes. C’est en effet la spécialité de l’AUTF, en intégrant aussi le compte propre et sans oublier une expertise en commerce extérieur et douane, certains adhérents travaillant au niveau européen et mondial.

Le conseil d’administration a été renouvelé en début d’année. Quels seront les principaux enjeux auxquels il fera face ?

Le conseil d’administration a été renouvelé en début d’année et une nouvelle gouvernance travaille à la mise en place d’une nouvelle organisation. Il s’agit en effet de voir si nous répondons bien aux attentes de nos adhérents, à leurs problématiques et sommes en phase avec les priorités du Gouvernement, en France et en Europe. Le conseil d’administration est renouvelé tous les 3 ans. Le dernier, nommé en 2020, a été happé par la crise sanitaire, puis la guerre en Ukraine, puis la flambée des prix de l’énergie et des matières premières, puis les grèves contre la réforme des retraites… Dans ces situations complexes, la résilience des équipes et des chaînes logistiques a été essentielle pour trouver des solutions. Parmi les préoccupations de nos adhérents, nous devons faire le constant que les crises se succèdent et que le monde d’avant, qu’on pensait retrouver une fois les perturbations passées, ne sera pas tout à fait pareil. C’est l’exemple de la disponibilité de matières premières, des produits manufacturés, des énergies ou encore de l’organisation des chaînes logistiques. De grands enjeux géopolitiques ont amené les chargeurs à revoir leurs organisations. C’est un processus qui prendra quelques années. Les organisations devront aussi s’adapter au réchauffement climatique.

Les volumes tendent à baisser sur l’ensemble des filières. La situation va-t-elle se poursuivre selon vous ?

Nous notons une activité plutôt ralentie mais, globalement, nous n’avons pas d’écho d’activité durablement en berne actuellement. Nos adhérents sont des directeurs transports et directeurs des achats, responsables douane. Leur rôle est d’adapter l’organisation des flux logistiques à l’offre et à la demande des entreprises. De façon générale, on sent un dynamisme des économies française et européenne qui nous indique que, sur le moyen terme, la tendance à la baisse ne sera probablement pas durable. Sur le long terme, de nombreuses interrogations se posent. Pour certains secteurs comme la chimie et la pétrochimie, l’activité devrait rester en ligne avec l’évolution de l’activité industrielle. Pour les produits agricoles, le réchauffement climatique pourrait toucher le secteur de manière plus profonde. Ce sont toutefois des secteurs qui ont une capacité de rebond. Actuellement, le ministère des Transports effectue un travail prospectif que nous accompagnons et qui doit permettre de confirmer et d’affiner les besoins en transport et logistique à horizon 2030/2050. Sur le long terme, tous les secteurs de l’industrie devraient bénéficier d’une croissance solide. Seul le secteur du pétrole devrait connaître une baisse inéluctable mais il devrait être remplacé par d’autres énergies.

Le contexte d’inflation et d’augmentation des coûts de transport a-t-il changé la relation entre les chargeurs et les transporteurs ?

De manière générale, les adhérents chargeurs de l’AUTF misent sur une collaboration sur le long terme, et ne veulent pas perdre de prestataires de transport avec lesquels ils travaillent de manière constructive depuis longtemps. Nous avons donc accompagné les transporteurs, lors de la forte hausse des coûts de l’énergie en rappelant les règles de répercussion en pied de facture. Mais il est vrai qu’il y a eu des crispations autour des ristournes sur les carburants en faveur des transporteurs lorsque l’État a fait peser le poids financier des remises sur les chargeurs : nos adhérents rencontrent les mêmes difficultés pour s’approvisionner et ont dû en plus assumer les aides aux acteurs du transport. Au-delà de cette crispation, la vraie difficulté dans la relation chargeurs-transporteurs, c’est la relation entre grands groupes et petites entreprises, que ce soit petit chargeur-gros transporteur ou gros chargeur-PME de transport. Par exemple, dans le transport à température dirigée, il n’y a que très peu de marge de négociation pour les chargeurs, car le marché est tenu par de très gros acteurs du transport.

Des pays comme l’Espagne et le Portugal interdisent le chargement-déchargement ainsi que la gestion de palettes par les conducteurs. Quelle est la position de l’AUTF sur le sujet ?

En France, nous avons des contrats types, qui permettent de refléter différents cas et de déterminer l’implication du conducteur dans les opérations de chargement et déchargement. Toute interdiction stricte rendrait caduque les contrats types et obligerait à rédiger une très longue liste de dérogations… Par ailleurs, en France, contrairement au Portugal et à l’Espagne, les heures de temps d’attente sont rémunérées lors des opérations de chargement-déchargement. Cependant, nous voyons certains chargeurs qui facturent la prestation, que ce soit au sein ou hors du contrat de transport. Dans tous les cas, le conducteur ne peut être pris en étau, une fois qu’il est arrivé au lieu de chargement ou déchargement. Et les relations contractuelles doivent être les plus apaisées possibles, afin de maintenir une fluidité sur les circuits logistiques. Aujourd’hui, nous n’avons aucun élément pour objectiver la problématique sur le terrain et ne savons pas si le chargement-déchargement par des conducteurs est une pratique marginale ou répandue. Il est indispensable d’avoir une concertation entre les chargeurs et les transporteurs pour s’accorder. Car le sujet est aussi lié à l’attractivité et à la qualité de service.

En matière de décarbonation, sentez-vous une accélération des demandes de chargeurs à accélérer le mouvement pour le transport de leurs marchandises ?

Oui, c’est une période extraordinaire et tout concorde pour que l’engagement des entreprises s’accélère. Nous avons travaillé au bon moment pour construire Fret 21, et ce dispositif s’est intégré à la bonne période au programme EVE. Après la crise sanitaire, notre rythme de sensibilisation a augmenté, tout comme le nombre d’adhésions d’entreprises. Il n’y a pas une impulsion forte mais davantage une attention plus profonde. Il y a de plus en plus d’interactions entre transporteurs et chargeurs grâce à la plateforme d’échange de données mise en place dans le cadre du programme. Avec cette démarche, nous sommes en train de créer une communauté d’acteurs sensibilisés à la problématique, aux outils. Quelque 360 entreprises sont aujourd’hui engagées dans Fret 21. Cette labellisation, lancée en décembre 2022, devrait concerner 40 entreprises d’ici la fin d’année. Nous arrivons ainsi à nos objectifs. Tous les signaux sont rassurants et engageants bien que le volume de CO2 économisé ne soit pas encore à la hauteur de nos objectifs. Il faut dire que lors de la première période, nous nous sommes penchés sur les dossiers ayant des forts volumes d’émissions et donc de réduction.

Le renforcement des bilans CO2 et l’obligation d’information GES ont-ils incité davantage les chargeurs à y adhérer ?

Cet engouement vient autant de la communication des différents acteurs du programme EVE que des obligations. En effet de plus en plus d’entreprises viennent vers nous sans qu’on ait à les démarcher. Hors contexte réglementaire, on sent que le mouvement va plus vite aujourd’hui. Pour le chargeur, il s’agit avant tout d’un engagement sociétal. Pour attirer les jeunes dans son entreprise, il faut des engagements qu’il doit ensuite tenir. C’est également l’environnement, mais pas tant à cause de l’obligation réglementaire – il n’y a qu’une obligation d’information pour l’instant – mais l’image qui est importante pour les consommateurs et les clients. En moyenne, les chargeurs engagés sont parvenus à réduire de 10 % leurs émissions. Mais ils sont très prudents : s’ils les réduisent de 10 à 12 %, ils afficheront souvent moins afin d’être certains d’atteindre leur objectif et d’être cohérents vis-à-vis de la communication mise en place sur l’engagement.

Les chargeurs tendent-ils à pousser leurs partenaires transporteurs à investir dans des énergies alternatives ?

Oui, cela fonctionne dans les deux sens. Parfois, un chargeur incite le transporteur à étudier de nouvelles énergies et, au bout, demande dans le cahier des charges de l’appel d’offres une part de missions réalisées en véhicules décarbonées. Et parfois, c’est le transporteur qui propose un plan d’investissement, mais avec un besoin d’engagement sur le long terme, sous forme de contractualisations bien plus longues qu’habituellement. La transition écologique va modifier beaucoup de choses dans l’organisation de nos industries et elle risque de coûter cher. Mais si cette augmentation de coût est uniforme, on ne perd pas en concurrence. Il faut que la réglementation pousse à évoluer en donnant des perspectives sur le plus long terme possible pour que les entreprises puissent s’adapter.

Le report modal pour décarboner le transport de marchandises fait-il l’objet d’une demande accrue des chargeurs ?

Parmi nos adhérents, ce mode est une bonne option à la fois pour décarboner et pour faire face à la pénurie de conducteurs. C’est un travail de long terme. Le Gouvernement semble converger pour donner des moyens supplémentaires. Mais sur le plan de 100 milliards d’euros, seulement 4 milliards sont prévus pour le fret… Le travail de ces prochains mois et années consistera à faire en sorte que l’équation bascule un peu plus vers le fret. Car le système logistique est encore très loin du niveau de performance attendu pour la cinquième puissance mondiale. Nous avons démarré Remove en début d’année. Ce dispositif va venir compléter le programme EVE, avec des outils et des aides qui permettront de compenser les difficultés de mise en place de report modal. En effet, pour un chargeur, passer d’une organisation qui fonctionne bien à un flux logistique massifié, qui implique de revoir entièrement son organisation sans qu’il y ait de gains économiques bien identifiés, nécessite un engagement très fort. Le responsable transport dans l’entreprise doit convaincre sa direction…

Sur quels autres projets travaillez-vous actuellement ?

Nous avons une vraie implication sur le développement des ports et sur leurs connexions aux hinterlands. Ce travail a été réalisé sur les ports de l’axe Seine. Le canal Seine nord Europe se développe et devrait donner des perspectives intéressantes pour la connexion de Dunkerque et Lille à l’Île de France. Un travail est aussi en cours sur l’axe Méditerranée Rhône-Saône avec la création d’un comité de concertation interportuaire et logistique. Il y a un réel potentiel de développement de certaines zones. Il faudra déterminer ce qui sera le plus efficace et le moins cher…

La digitalisation est très hétérogène chez les transporteurs, en particulier chez les PME. Est-ce un frein pour les chargeurs, et incitent-ils les partenaires à s’équiper ?

Le digital doit avant tout faciliter les process et les échanges entre les deux parties. Les chargeurs souhaitent donc inciter les transporteurs à s’équiper, mais ils sont aussi conscients qu’il est difficile pour eux de s’y retrouver : il y a une grande hétérogénéité dans les outils, et il faut que cela soit compatible avec les systèmes informatiques déployés au sein de l’entreprise. Il faut les sensibiliser sur le fait que s’équiper en solutions peut leur apporter directement ou faciliter leur activité.

En matière de digital, de nouvelles plateformes ou solutions proposent de mettre directement en relation et transporteurs, sans passer par un commissionnaire. Que pensent les chargeurs de ces nouvelles offres ?

Nos adhérents s’y intéressent, mais ce n’est pas pour autant qu’ils s’équipent, ayant des craintes sur la protection des données importantes. Mais dans l’idée, c’est mieux de pouvoir s’adresser directement au transporteur, notamment pour les factures, les litiges, ou la gestion des palettes.

Quelles sont les priorités en matière de digitalisation pour les chargeurs ?

Indéniablement, il y a un gros sujet sur la traçabilité d’un conteneur lors du passage portuaire des marchandises. Ce n’est pas forcément lié au coût, mais davantage à la transparence, car le chargeur est amené à changer son stockage en fonction du transit du conteneur sur le port. Un passage portuaire optimisé peut donc constituer un levier de compétitivité pour un chargeur. Et il n’y a pas que l’AUTF qui le pense, nous avons des éditeurs de logiciels comme MGI ou Soget qui sont en phase avec nous.

Bio

2019

Directeur général de l’AUTF et directeur de projet pour Fret 21

2016

Délégué général de la Société des ingénieurs Arts & Métiers

2014

Directeur secteur transport à l’Imprimerie nationale

2013

Responsable marché transport à l’Imprimerie nationale

2007

Directeur du développement durable à la FNTR

1990

Diplôme d’Ingénieur A&MProcess à Arts et Métiers ParisTech

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