PHILIPPE PREMAT : On constate un repli de l’activité depuis la mi-septembre, après deux mois de remises à niveau en juillet et août. Si je devais donner un ordre de grandeur, je dirais que nous campons sur une base -7/-10 % pour notre activité. Les dernières restrictions – on entend parler de renforcement du couvre-feu et de confinement partiel [l’interview a été réalisée avant les dernières annonces du chef de l’État, Ndlr] – ne sont pas pour nous rassurer. Il va de soi que la limitation des déplacements aura une incidence forte sur le plan économique. Le secteur des produits pétroliers et des matières dangereuses va être fortement impacté [le groupe Premat est très présent sur ces marchés, Ndlr]. Pour le reste, une entreprise comme la nôtre, très impliquée dans le chantier du Grand Paris, manque à l’heure actuelle de visibilité. Mais, sur un plan plus général, qui peut aujourd’hui prévoir quel sera le scénario ?
P.P. : Bien sûr, les acteurs engagés dans la filière alimentation devraient pouvoir sortir la tête de l’eau. Mais lorsque l’on s’attarde sur des industries comme l’aéronautique ou l’automobile, il y a de quoi s’inquiéter pour les sous-traitants et les différents prestataires qui exercent sur ces marchés.
P.P. : Oui, les répercussions sont légion. Je pense aussi à tous les transporteurs concernés par le secteur de l’événementiel. Mais il y a tellement de secteurs en souffrance. Cette crise va faire évoluer le paysage économique global. Elle va accélérer la réflexion sur les métiers du futur et ceux qui sont menacés, elle va mettre en lumière les nécessaires reconversions des acteurs qui évoluent sur des marchés en phase de réduction comme celui des hydrocarbures…
P.P. : Nous sommes en plein paradoxe. Attardons-nous sur un compte d’exploitation. On a généré de la perte pendant trois mois mais, paradoxalement, en trésorerie, on serait plutôt confortables en raison des reports d’échéances de prêts et de la mise en place du chômage partiel. Cela étant, nous allons devoir rembourser cet argent… Nous pensons que nous ne perdrons pas d’argent cette année. Mais comme nous n’avons aucune visibilité sur ce à quoi ressembleront les deux derniers mois, il est difficile d’être certains de ce pronostic.
P.P. : On risque d’assister à une recrudescence des dépôts de bilan, sans doute pas avant le premier semestre 2021. Les entreprises qui étaient déjà fragiles avant le Covid-19 seront les plus exposées. Je pense également à celles qui opèrent dans des secteurs sinistrés comme l’automobile.
P.P. : Je pense que l’État a mis en place de bonnes mesures. Pour ce qui nous concerne, nous avions demandé un geste sur la fiscalité (les 2 centimes sur la ristourne gazole) mais nous n’avons pas été entendus. Nous avons, en revanche, obtenu le remboursement de la TICPE au trimestre. Cette mesure a été un bol d’air frais pour nos trésoreries. Je dirais même que nous avons été surpris par la rapidité avec laquelle les remboursements ont été effectués. On peut toujours demander plus, notamment sur la stabilité fiscale à long terme.
P.P. : Je serais tenté de dire que seuls les scientifiques et les médecins pourraient apporter des réponses à ces interrogations, mais ils ne les ont pas… Que voulez-vous faire ?
P.P. : Nous devons adopter une attitude de prudence, serrer un peu les boulons, faire avec ce que l’on a, limiter les investissements…
P.P. : On observe des pressions de la part de certains donneurs d’ordres, oui. Ce qui nous inquiète davantage c’est le recours massif des groupes industriels à des appels d’offres car nos marges de manœuvre sont limitées et nos surcoûts élevés, alors que nous n’avons pu les répercuter puisqu’ils ne figurent pas encore dans les indices. Je fais allusion aux surcoûts liés à la protection sanitaire et à la multiplication des retours à vide. Cet environnement n’est pas pour nous rassurer quant à la conjoncture économique de demain.
P.P. : Ce qui remonte avant tout c’est une forme d’inquiétude dans les esprits. Elle se nourrit, au quotidien, de la contraction sur les volumes. On sait bien que c’est le volume qui permet à une entreprise de se maintenir à l’équilibre. Sur une base prix à 100 qui ne bouge pas, mais que vous ne vendez qu’à 80, vous passez rapidement dans le rouge, d’autant que vos prix fixes sont inamovibles.
P.P. : C’est sans doute un euphémisme, mais je crois que la première des leçons à tirer est que la diversification est source de réduction de risques lorsque survient une crise. Pour notre part, nous sommes très engagés dans le BTP et la matière dangereuse. Lorsque nous nous attardons sur les indicateurs économiques de ce dernier secteur par exemple, nous observons un repli régulier qui dessine une rupture à venir dans la prochaine décennie. En conséquence, nous nous interrogeons sur la conduite à tenir. S’ouvrir à d’autres spécialités comme, par exemple, le transport de produits alimentaires ou agroalimentaires.
P.P. : Je serais tenté de dire qu’il faudra que les pouvoirs publics se montrent plus ouverts à des négociations avec notre secteur, plus qu’ils ne l’ont été après le confinement où on nous a opposé une politique de la chaise vide au moment où l’on souhaitait que soit révisée la politique fiscale du gouvernement à notre égard. Cette fois-ci, je pense que les transporteurs s’en souviendront…