Comment allez-vous ? La question toute bête, simple formule de politesse par beau temps, prendrait presque des allures tragiques en période de crise. Pourtant, face au brouillard automnal, à cette incertitude que provoque à nouveau la pandémie de Covid-19 sur les plans sanitaire et économique, cette interrogation de l’Officiel des transporteurs se révèle capitale pour les chefs d’entreprise, souvent sur le pont, non-stop, depuis la mi-mars. « Toute l’équipe a mis les bouchées doubles pour redresser la barre en mai, confirme Manuel Gomes, PDG des transports Montbrisonnais (35 véhicules, 3,8 M€ de CA en 2019), dont l’activité, très liée au BTP et à l’industrie, avait plongé en mars. On a fait deux très bons mois cet été, la rentrée a été plus mitigée, entre une embellie puis, fin septembre, une sorte d’attentisme et de marasme général. On travaille beaucoup, mais on navigue au jour le jour. »
Également dans la Loire, à Savigneux (42), Jérémy Grandouiller, patron de TDS Transports (19 véhicules, 2 M€ de CA en 2019), qui avait maintenu pendant le confinement 60 à 70 % d’activités diversifiées, reconnaît « avoir pris un coup moralement. J’ai été hyper présent, pour trouver des solutions à tout, me remettre au besoin à l’exploitation et protéger tout le monde, anticiper. Mais, pour un patron, voir une partie de ses camions rester dans la cour, c’est un crève-cœur ». Comme de constater aujourd’hui « une rentrée plus atone, où certains clients repoussent le règlement d’une facture ».
Est-ce l’approche de novembre ? Ou, plus sûrement, la circulation plus active du virus. Le climat d’inquiétude gagnerait même les plus positifs. Ainsi, à Toulouse, Valérie Jimenez des transports éponymes (60 M€ de CA de mars 2019 à mars 2020, 400 PL, 200 VL) va bien, étant, dit-elle, « de tempérament optimiste ». Cet automne, il lui semble cependant plus difficile de prévoir les commandes. « Nous vivons à la semaine, voire à la journée », reconnaît-elle. Et les difficultés de l’aéronautique ou de l’aérospatiale, créent « de la morosité là où, avec Airbus, par exemple, nous avions au contraire de la confiance et de la certitude. »
Certes, relève Anaïs Raulet Malvaux, P-dg des Transports Malvaux, à Tagnon, dans les Ardennes (35 tracteurs, 8 M€ de CA en 2019), « j’ai vécu le confinement comme un tsunami, avec une mise en place de mesures de protection très chronophage… Et, pour la fin d’année, on ne sait pas vers quoi on s’oriente ». Mais elle s’estime aussi « chanceuse d’avoir maintenu un climat d’affaires grâce à un portefeuille d’activités diversifiées » et « reste positive avec les salariés et les clients. L’économie passe par la confiance… » Même sentiment pour Angélique Vogler, des transports éponymes à Strasbourg (8 ensembles, 830 000 euros de CA en 2019). « D’autant, précise-t-elle, qu’avec nos bureaux à la campagne, nous n’avons pas le même ressenti d’inquiétude qu’en ville. Beaucoup des acteurs du port où nous sommes présents constatent que la France affiche un climat très anxiogène comparé à l’Allemagne ou aux pays scandinaves. »
Pour certains, le sentiment d’espoir se conjugue avec la progression de l’activité. Les Transports Guyamier et Lacassagne (250 véhicules, 27 M€ de CA en 2019), à Bordeaux, ont ainsi enregistré « un premier semestre en hausse de 4 % par rapport à l’an dernier, en particulier grâce à l’alimentaire et les industries liées », selon Nicolas Guyamier. Le gérant reconnaît aussi que la rentrée présente « une activité en dents de scie ».
La croissance peut tourner à l’accélération, avec un moral au beau fixe, pour les opérateurs d’e-commerce comme le groupe VIR, à Nogent-sur-Marne (250 véhicules, 78 M€ de CA en 2019). Tout juste Jeremy Cohen Boulakia, le président, reconnaît-il qu’il a vécu « une période éprouvante, où il a fallu gérer l’urgence des mesures sanitaires, tout en digérant un plan de croissance de trois ans en trois mois ». « C’était éprouvant mais très enthousiasmant », convient-il, puisque « le groupe espère clôturer 2020 avec un CA entre 95 et 100 M€ ».
Pour répondre au boom de l’activité, l’entreprise aura embauché quelque 250 salariés en 2020 (pour 650 fin 2019), investi dans 25 000 m2 de plateforme, dans des équipements informatiques et une trentaine de PL, dont, relève Jeremy Cohen Boulakia, « une dizaine de véhicules électriques positionnés sur Paris intra-muros ». Au-delà de la croissance, l’investissement s’inscrit souvent dans une stratégie à plus long cours, qui peut s’avérer dynamisante dans la tempête et se conjuguer avec un processus de diversification. Ainsi, Voglertrans a mené cette année la transition de sa flotte en Oleo100 et, ajoute Angélique Vogler, « notre choix se voit conforté par la vague verte sur Strasbourg qui devrait créer de nouveaux besoins ». Pareillement, Anaïs Raulet Malvaux a maintenu les dépenses courantes et « réalise pour la fin de l’année une extension de la chambre froide positive » (le site est déjà aménagé sous trois températures)… Avec l’idée de développer, en complément des activités, une solution de douane pour laquelle elle a pris le temps de se former cette année. Mais le principal levier d’action par mauvais temps, que tous les chefs d’entreprise citent, louent et détaillent, c’est le « facteur humain », les relations avec les équipes, les clients et les fournisseurs. Anaïs Raulet Malvaux « prend le pouls au quotidien » auprès de ses clients, comme Jérémy Grandouiller, qui dit se faire un devoir d’« arriver de bonne humeur le matin et de protéger le moral de ses salariés ».
Aux transports Montbrisonnais, dans une démarche de RSE au long cours, Manuel Gomes prend soin de « maintenir un contact régulier avec ses clients » et cultive également des relations privilégiées avec ses salariés. Pour Valérie Jimenez, « la crise incite à miser toujours plus sur le facteur humain, avec les équipes, les clients et les fournisseurs ». Un cercle vertueux dit celle qui, pendant le confinement, a « récupéré certains marchés grâce à des conducteurs qui repéraient des besoins : nous avons multiplié par quatre nos activités dans la santé et l’alimentaire, qui atteignent 20 % de notre revenu aujourd’hui ». La confiance dans l’humain fait aussi loi aux Transports Guyamier, dont le jeune gérant prône « un management qui associe les outils numériques, un peu plus de télétravail qu’avant et le respect mutuel… comme au rugby ». Ce qui n’empêche pas Nicolas Guyamier de raisonner aussi en termes commerciaux. Pour « renforcer la présence de l’entreprise auprès de ses clients » et « capter de nouveaux flux », il a créé à la rentrée une société d’affrètement (dont il a confié les rênes à son meilleur ami).
Comment mieux conjurer la crise qu’en se projetant dans l’avenir ? Dès 2021, le dirigeant bordelais prévoit la mise en place d’une plateforme de numérisation, avec de nouvelles fonctionnalités pour les clients, sans écarter « la possibilité d’une croissance externe ».
Facteur de résilience dans la tempête, la diversification est une orientation majeure pour de nombreux entrepreneurs. À Strasbourg, très investi dans le container, avec quelques spécificités pointues comme les déposes verticale et horizontale, Voglertrans ambitionne d’élargir ses services en mettant par exemple à disposition d’un client un ensemble bâché ou en « peaufinant l’activité de grutage ».
Valérie Jimenez, qui espère une augmentation d’activité de 5 à 10 % jusqu’en décembre, mise, elle, sur « de nouveaux trafics en e-commerce tout en maintenant de la mise à disposition d’un véhicule ». Aux transports Malvaux, la présidente directrice générale s’appuie sur un plan stratégique en cinq ans, qui vise un chiffre d’affaires de 10 M€ en 2024, pour prévoir une diversification dans la marchandise générale, la logistique et les douanes. À la tête du groupe VIR, Jeremy Cohen Boulakia espère, lui, « se positionner sur la reverse logistique, qui représente 5 à 10 % de l’activité ». Il table sur un maintien de la croissance à + 15-20 % en 2021 et, pour soutenir ce développement, voudrait consolider le maillage géographique de l’entreprise. Il compte déployer « un vaste plan qualité pour améliorer la précision de livraison ». Grâce à un bon début d’année, Jérémy Grandouiller veut, lui, « maintenir l’activité et les emplois », mais se dit « dubitatif sur le devenir du transport plus globalement. Cette pandémie met en danger une partie de nos clients et change aussi la perception du travail par nos salariés ».