« La logistique est un angle mort dans l’ensemble des politiques publiques, soutient Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique. Elle est très mal connue, entraînant beaucoup de malentendus et de raccourcis. » La présidente de France Logistique introduisait ainsi un webinaire organisé le 23 septembre par le cluster Cara (cluster de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et pôle de compétitivité) pour donner la parole aux professionnels de toute la filière du TRM et aux décideurs de collectivités territoriales sur le bilan et les enseignements de la crise sanitaire pour le secteur. Anne-Marie Idrac déplore le paradoxe entre « les objectifs politiques de réindus-trialisation et de développement territorial » annoncés dans la période post-confinement et « l’oubli, voire la stigmatisation, de la logistique, notamment du transport, dont on a absolument besoin en amont ou en aval pour mener ces politiques publiques ». Tout le monde s’est rendu compte que la logistique était indispensable pour approvisionner en produits sanitaires et alimentataires la population et pour permettre aux entreprises qui ont continué de fonctionner d’accéder au marché. « Mais à peine les entreprises commencent-elles à sortir de la crise que l’on voit ressurgir les vieux démons, avec des camions privés d’accès et des entrepôts qu’il faudrait interdire. » Même constat pour la FNTR qui lançait, le 28 septembre, la Semaine nationale du transport routier de marchandises, qui vise à sensibiliser les décideurs politiques locaux et nationaux à la réalité de ce secteur.
Autre objectif pour la présidente de France Logistique, faire apparaître la « vision en chaîne » à l’opinion publique et aux représentants politiques : un produit arrivé entre les mains du consommateur vient souvent de très loin, pas seulement de la livraison du dernier kilomètre et ce cheminement a nécessité des étapes de groupage, dégroupage, massification, démassification… Alors que des enjeux politiques se dessinent, comme la convention citoyenne pour le climat, « ce qui est important c’est de prendre les choses à la bonne échelle de l’aménagement du territoire, de l’aménagement urbain mais aussi à l’échelle du temps. J’espère qu’on va pouvoir sortir de cet angle mort et avoir une vision réaliste à l’échelle géographique mais aussi à l’échelle de temps car, en matière de décarbonation, les véhicules PL ne sont pas aussi avancés que les véhicules électriques qui ont mis du temps à être déployés ».
Outre une activité réduite pendant le confinement, voire l’arrêt total pour certaines entreprises selon leurs marchés, la désorganisation des flux a freiné le bon fonctionnement des sociétés de transport : des retours à vide, des délais d’attente très longs et pénibles pour les conducteurs ou encore une forte tension sur les prix alors que les coûts de transport ont augmenté. Et à ces difficultés s’est ajoutée l’absence d’un plan de continuité pour le secteur du transport, demandé par la FNTR dès le mois de février, alors que les cas de contagion commençaient à s’étendre en Chine : « On demande aux entreprises d’avoir un plan de continuité mais on ne prévoit rien pour le secteur du transport, souligne Florence Berthelot, déléguée générale de la FNTR, déplorant le manque d’information au jour le jour concernant la route. Du jour au lendemain, l’arrêt des livraisons de marchandises non essentielles a été prononcée. De la même manière, le gouvernement a annoncé la fermeture des points de restauration sans penser aux conducteurs routiers. S’est aussi posée la problématique de l’attestation personnelle qui devait accompagner celle de l’employeur. Ce genre de choses est inadmissible et ne devrait pas se produire ! Le TRM est une activité majeure et doit bénéficier d’un traitement particulier en temps de crise et non d’une gestion au jour le jour. » Une position soutenue par Pascal Mégevand, qui souligne que les mesures gouvernementales pendant le confinement n’ont pas facilité l’activité des transporteurs : « Il y a eu énormément de cafouillage, particulièrement au début de la crise sanitaire, avec des ordres et contre-ordres sur les arrêts des camions. À l’avenir, il faudrait prévoir qu’en toute situation de crise les camions puissent rouler. » La transition énergétique reste l’un des enjeux majeurs qui attendent le TRM dans cette période post-confinement et les participants au webinaire se sont penchés sur les répercussions de la crise sanitaire sur l’environnement, notamment pendant le confinement.
Il ressort que la pollution constatée pendant cette période n’a pas énormément diminué, voire a légèrement augmenté, à +2 % dans la Région Auvergne-Rhône-Alpes, en matière de particules fines, selon l’organisme spécialisé dans le contrôle de la qualité de l’air Atmo. En cause, des types de polluants plus variés, notamment issus des matériels de chauffage des individus confinés mais aussi d’une météo défavorable au début de la période. Même constat pour Pascal Mégevand, qui a engagé et copiloté à partir de 2014 le projet Équilibre, visant à améliorer la compétitivité et la rentabilité du TRM, en respectant les principes du développement durable, à partir d’études sur le GNV. « Actuellement, on enregistre -60 % d’oxyde d’azote et même -90 % dans la vallée de L’Arve, fréquemment concernée par les pics de pollution, alors que le trafic de poids lourds est réduit de 40 % par rapport au trafic habituel. Soit les poids lourds qui y passent s’avèrent tous très propres en termes d’énergie, soit la cause première de cette pollution est, comme nous le pointons depuis longtemps, issue des véhicules légers. » Le projet Equilibre entend avoir les bonnes données pour réussir la transition énergétique. « Ma plus grande crainte est que nous nous trompions de solution », remarque Pascal Mégevand. Pour Noël Comte, P-dg de l’entreprise Sotradel, la profession se met en situation d’attente sur cette problématique face à un système kafkaïen, où le transporteur se trouve face à plusieurs solutions énergétiques mais aussi de tailles de véhicules selon les trajets effectués. « Il faut une politique globale, soutient-il, des conditions homogènes et durables car le transporteur a besoin de visibilité. Il ne peut pas changer sa flotte de véhicules sans aucune certitude pérenne. »
Le confinement a entraîné une accélération du déploiement de la dématérialisation, notamment des documents électroniques, et de l’automatisation des tâches. L’ensemble des intervenants du webinaire s’accordent sur la nécessité de la présence physique. « Le travail est basé sur de l’humain, la dématérialisation totale serait problématique », estime David Billandon, responsable qualité, santé, sûreté, sécurité, environnement (QSSSE) et chargé du projet Equilibre chez Sotradel. « La chaîne logistique a tenu pendant le confinement parce qu’il y avait de l’humain, acquiesce Pascal Mégevand. L’automatisation peut réduire la pénibilité mais je ne crois pas à l’automatisation de toute la chaîne. Elle ne doit pas isoler le salarié, voire lui rendre certaines tâches plus compliquées lorsqu’il se retrouve seul, et elle ne doit pas couper le lien entre l’entreprise et le salarié. »
Le mode de consommation de la population pendant la période de confinement et la réorganisation très rapide des entreprises de transport et logistique, « malheureusement invisible pour les consommateurs », souligne Pascal Mégevand, ont également été abordés. Les Français se sont montrés friands des points relais, le transport BtoC a progressé, moins fortement à Paris que dans d’autres grandes métropoles du monde, et les supermarchés urbains ont vu leur rôle croître.
Sur ces enseignements de la crise sanitaire, le TRM doit-il se réorganiser dans les années à venir ? Pour Florence Berthelot, « le TRM change et s’adapte tout le temps. Il s’est adapté à la crise. Il rencontre des défis, comme la transition énergétique ou la transition numérique ». Un autre enjeu apparaît également, pointe-t-elle : la livraison urbaine. « La population doit accepter que les véhicules entrent dans la ville, en allant vers un transport plus propre. Il ne faut pas oublier que nous sommes tous les premiers acheteurs du transport. »