Le camion électrique et hydrogène « maison » soulève des questions

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Nikola Motor s’est donné l’image d’un constructeur de camions détenteur de technologies exclusives, de rupture. Ce qu’il n’est pas. À l’inverse, Iveco est un constructeur traditionnel avec de vraies usines et un véritable réseau. Le débarquement détonnant de Nikola et ses accords avec Iveco ont pour conséquence le développement par Iveco de camions électriques et hydrogène qui seront produits et vendus par Iveco, mais sous la marque Nikola. C’est à ce prix qu’Iveco est en train de se doter à marche forcée de camions électriques qui pourraient être parmi les meilleurs du marché. Contraint par le règlement européen 2019/1242 qui impose une réduction drastique des émissions de CO2 entre le réservoir et le pot d’échappement, Iveco n’a eu d’autre choix que de se lancer dans le développement de camions électriques comme le font ses concurrents. Or Iveco avait concentré ses efforts sur les motorisations gaz (méthane), non sans succès. Pour rattraper son retard dans le domaine du véhicule électrique, Iveco a saisi la première baguette magique passée à sa portée. Elle s’appelle Nikola.

Quand il y a magie, il y a un truc. Le décalage est flagrant entre la culture d’un industriel respectable comme Iveco et celle d’une start-up qui s’autorise tous les coups de bluff, à moins qu’il s’agisse de « faits alternatifs » de l’ère Trump. Parce que Nikola, qu’est-ce que c’est ? Ce sont des camions prototypes qui se comptent sur les doigts d’une main et dont tous ne roulent pas par leurs propres moyens. Ce sont aussi de magnifiques diapos Powerpoint chargées de donner un peu de consistance au projet. Oui, mais concrètement ? Nikola s’est montré très opaque à propos de ses technologies. Normal, elles sont achetées à des tiers. Nikola a, pour ses prototypes, agi comme un assembleur selon un principe de fonctionnement généralisé dans l’industrie automobile. Le plus de Nikola, c’est la « com ».

Le vernis craque

Au cours de l’été 2019, Iveco (CNH Industrial) et Nikola Motor ont annoncé leur partenariat. À première vue, Iveco apporte les usines et le réseau de commercialisation tandis que Nikola fournit l’ingénierie. En fait, Nikola ne livre guère plus qu’une intention. En décembre 2019, Iveco levait le voile sur le Nikola Tre. Cette fois, ce n’est pas un Powerpoint qui est chargé de convaincre. C’est un vrai camion qui nous est montré. Du moins, on est prié de le croire. Il est vrai que l’on peut monter dedans et s’extasier devant ses écrans sur lesquels défile une « démo » correspondant au prétendu fonctionnement d’un véhicule hydrogène. Hélas, quand on écarte un peu les bardages ou que l’on se glisse sous la bête – ce que l’auteur de ces lignes a pu faire – on constate que ce véhicule est dépourvu de toute chaîne cinématique. Il s’agissait donc d’une maquette, mais pas d’un camion. Pendant leurs conférences turinoises de décembre, les intervenants de Nikola ont évidemment dégainé des Powerpoint qui claquent. Oui, mais il s’agissait clairement d’un travail effectué dans l’urgence puisque toutes les caractéristiques des véhicules correspondaient à la réglementation américaine, sans intérêt pour les transporteurs européens. Alors que Nikola annonçait l’autonomie de ses véhicules, il était incapable de préciser clairement la technologie de leurs batteries et celle de leur pile à combustible. Pas crédible. Enfin, Nikola défend un projet de production locale d’hydrogène vert par éolienne avec stockage et compression réalisés localement. À notre remarque leur faisant remarquer que ce dispositif fait du site qui l’héberge une zone Seveso, notre interlocuteur a répondu : « Nous ferons évoluer la réglementation européenne… »

Un sacré coup de poker

On pourrait imaginer que Nikola fournit une technologie d’avant-garde, clivante, apportant un avantage concurrentiel décisif. Cela n’est pas le cas. Au moment où nous écrivons ces lignes, le développement du Nikola Tre est assuré par les équipes d’Iveco.

Ce véhicule intégrera des technologies acquises auprès d’autres industriels, notamment pour ses batteries et pour sa pile à combustible. Alors, quel est l’apport de Nikola ? Le tour de force réussi par Nikola consiste à avoir installé une marque de camions sans en produire ! Sa démarche vise le profit rapide. Indirectement, elle a opéré comme un aiguillon vis-à-vis des constructeurs traditionnels. Elle a révélé à Iveco sa capacité à développer des véhicules électriques et hydrogène en un temps record. Le bureau d’études Iveco a pris le projet à bras-le-corps et travaille d’arrache-pied à la fois sur les versions batteries et hydrogène du Nikola Tre avec des délais de développement qui sont parmi les plus courts vus chez Iveco.

Une source proche du dossier nous confie : « Quoi que Trevor Milton [ex-patron de Nikola Motor, Ndlr] ait pu vendre ou survendre, nous, chez Iveco, nous faisons notre boulot. Nous le faisons sérieusement et avec tous les moyens et toute l’énergie qu’on peut mettre dans ce projet. Le Nikola Tre deviendra assez rapidement une réalité. Iveco en poursuit le développement et la production de camions électriques Nikola commencera probablement en Europe avant de commencer aux États-Unis. »

Et pour la pile, suédoise ou américaine ?

À défaut de développer une pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène, Nikola Motor a misé sur la technologie prometteuse de l’entreprise suédoise Powercell dont la R& D a été soutenue par les financements européens. En 2019, Bosch a conclu un accord avec Powercell afin de fabriquer ses stacks sous licence, le stack étant l’élément central d’une pile à combustible. A priori, Iveco travaille actuellement avec Bosch (technologie Powercell), mais « l’alliance entre Nikola et General Motors, annoncée le 8 septembre, vient semer le trouble puisque GM dispose de sa propre technologie de pile à combustible », selon notre source.

Comme leur pile à combustible, les batteries lithium et l’électronique de puissance des camions Nikola sont acquises auprès de tiers. Chez Iveco, on a conscience de la nécessité d’une communication clarifiée à propos de la fabrication du Nikola Tre. « Il y a une intention de communiquer prochainement à propos de chacun des partenaires industriels engagés dans ce projet », nous confie notre interlocuteur.

Le prix est l’engagement le moins crédible

La promesse faite par Nikola d’un véhicule hydrogène ne coûtant pas plus cher qu’un diesel est la moins crédible. Iveco sait ne pas pouvoir la tenir car tout est cher avec la technologie hydrogène. « Système de stockage, station, pile ou hydrolyseur, tout est hors de prix. Quand on connaît les coûts de la technologie hydrogène, il apparaît évident que les ventes de camions l’utilisant seront très faibles. Elles concerneront néanmoins des véhicules “d’image”, figures de proue de leurs flottes », ajoute cette source. Perrenot, premier client européen du Nikola Tre, ne connaîtrait pas le prix des véhicules qu’il a commandés…

Le véhicule électrique ne peut pas être moins cher que le diesel si l’on intègre tous les coûts induits. « Aligner le TCO d’un véhicule électrique sur celui d’un diesel n’est envisageable que dans certaines conditions très favorables et en conservant le véhicule pendant huit ans », dixit ce proche du dossier. Pour obtenir le même résultat avec l’hydrogène, il faudrait un hydrogène à 3 €/kg. Les prix actuels sont plutôt aux alentours de 12 €/kg. Ils pourraient être baissés à 8 €/kg en 2025 pour les très gros consommateurs uniquement. « Quand on voit le temps qui a été nécessaire pour que le méthane atteigne 2-3 % de parts de marché, les contraintes imposées par l’hydrogène laissent imaginer que le délai de conversion sera plus long… »

Rendez-vous en 2022

Chez Iveco, le travail sur les camions électriques et hydrogène se poursuit et « actuellement, des prototypes des camions Nikola Tre sont en cours d’assemblage chez Iveco ». En 2022, son usine d’Ulm produira le Nikola Tre en version batteries. Il s’agira d’un tracteur pesant 11 t et embarquant des batteries lithium totalisant 720 kWh afin d’avoir une autonomie de 400 km, voire davantage en conditions favorables. La masse à vide de ce tracteur limite fortement le report de charge possible sur sa sellette. En 2024, la version hydrogène suivra. Elle se singularise par une masse à vide de 9 t et une autonomie de 800 km, grâce à des réservoirs sous 700 bars de pression. Selon notre source, « la version “batteries” du Nikola Tre devrait représenter l’essentiel des ventes en raison du coût de la version hydrogène ». Le feuilleton Nikola ferait presque oublier l’extrême réactivité de l’hydrogène qui explose à la moindre fuite, comme l’a rappelé la station de Bærum (Norvège) en juin 2019. Il occulte également l’impact environnemental calamiteux de la production d’hydrogène qui sera massivement émettrice de CO2 tant qu’il s’agira principalement d’hydrogène « gris ». Quant au scandale naissant autour de Nikola, il incitera peut-être les investisseurs à comparer davantage la promesse et la réalité industrielle.

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