Jean-Pierre Sancier : Je crois que la conjoncture est très différenciée selon les secteurs. Certains s’étaient arrêtés, d’autres pas, comme l’alimentaire. Il y en a également qui ont repris très fort (les biens de consommation non durables) ou qui reprennent très lentement (les biens de consommation durables comme l’immobilier ou l’automobile). On peut estimer que la reprise a été plus rapide que ce que l’on avait prévu. Pour beaucoup d’adhérents interrogés avant les vacances, l’activité était repartie de façon assez significative – et les mois de juillet et août ont enregistré une activité plutôt soutenue. On a quasiment retrouvé les niveaux de l’an dernier, année de bonne facture.
J.-P. S. : Je n’ai pas de boule de cristal… Ce qui va être déterminant, c’est la capacité de l’économie française, mais également européenne, à soutenir le choc dans la durée suite aux tensions sur la trésorerie des entreprises et aux baisses d’activité générées par la crise sanitaire. Pour les six mois à venir, l’interrogation portera également, pour certaines entreprises, sur leur capacité à retrouver le chemin de la croissance.
J.-P. S. : Il est nécessaire de retrouver des équilibres. Pas une mince affaire dans un secteur où les marges sont très faibles, qui plus est en raison de la désorganisation des flux. Nous évoluons effectivement en plein brouillard et personne à ce jour n’est en mesure de prévoir ce qui se passera dans deux, quatre ou six mois sur le plan économique. Il devient dès lors très compliqué pour nos entreprises de planifier leurs moyens et de trouver les justes équilibres sur le plan économique.
Dans le TRM, les prix sont plutôt repartis à la baisse. Ceci constitue une difficulté spécifique à notre secteur. Cette situation ne favorise pas le redressement des comptes des entreprises touchées par la crise.
J.-P. S. : Avant l’adoption de ce plan, nous avions déjà communiqué – en lien avec les attentes gouvernementales – sur l’accélération de la décarbonation afin que l’on ne nous impose pas des choses contraires à notre volonté, nos capacités. Nous savons déjà que le TRM ne sera pas ou que très peu concerné par ce plan de relance. Chez TLF, notre préférence va à l’orientation de ce plan de relance vers l’investissement, notamment celui de nos clients afin de rendre l’activité économique durable. À mes yeux, un plan de relance n’a de sens que pour financer l’investissement pour le moyen-long terme, pas le fonctionnement. En revanche, nous attendons du gouvernement qu’il ne nous mette pas des bâtons dans les roues par rapport à notre recherche de compétitivité dans un moment critique pour notre profession. En clair, qu’il ne charge pas la barque sur le plan fiscal et que le transport routier ne soit pas sollicité pour financer une partie de ce plan de relance.
J.-P. S. : TLF ne renie rien de ses positions. L’État a fait de cette question une forme de dogme au plan écologique. Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux Transports, s’était engagé auprès des fédérations à geler l’évolution de la TICPE au moins jusqu’en 2022. Nous attendons de lui et du gouvernement que cette position soit tenue.
J.-P. S. : Cette note possède une double vocation : aller vers les politiques afin d’éviter les errements et accompagner nos adhérents par rapport à ce qui est essentiel pour la vie future de leurs entreprises. Nous nous devons d’éclairer la route pour les prochaines années, nous élever afin de proposer une vision concrète de la transition énergétique.
Cet engagement signifie-t-il pour autant que nous abandonnons l’idée du contrat énergétique que voulait nous faire signer le ministre Djebbari ? Non, bien sûr. Nous sommes prêts à en discuter et à avancer sur ce sujet, indispensable pour la filière mais insuffisant car les enjeux pour la profession demain sont bien supérieurs à la simple signature de ce contrat.
J.-P. S. : Nous attendons de l’État et de l’Europe qu’émergent des choix clairs qui permettent d’accompagner cette transition vers les années 2030-2040. Si cette transition venait à être mal appréhendée, d’une part cela coûterait extrêmement cher à notre profession, qui souffrirait d’un déficit de compétitivité avec les parcs d’Europe du Nord et, d’autre part, les moyens relatifs à l’approvisionnement en subiraient les conséquences. Je pense, en l’occurrence, à la mise en place de circuit de distribution du biogaz ou, demain, de l’hydrogène.
Notre note vise donc à éclairer la voie, à travailler avec les énergéticiens, avec nos fournisseurs en poids lourds.
J.-P. S. : Ne soyons pas dogmatiques : il n’y a de réponses que selon les usages et les segments d’activité. En clair, on ne versera pas dans le tout électrique, le tout gaz ou le tout hydrogène. Contrairement à la situation actuelle qui consacre la prédominance du gazole pour 98 % du parc. On se dirigera probablement vers des solutions adaptées aux besoins spécifiques de la distribution urbaine, de la longue distance ou de la très longue distance.
Par ailleurs, quand on aborde ces sujets de transition énergétique, on ne se projette pas uniquement sur la fourniture d’énergie mais également sur le recours à des modes alternatifs comme le ferroviaire pour les très longues distances. Cela passe par l’existence d’infrastructures spécifiques qui permettent à des camions de monter sur des trains. Je parle ainsi de schémas de long terme pour lesquels nous souhaitons travailler avec l’État. Il existe donc bien deux niveaux dans notre démarche : un premier qui porte sur la mise en œuvre du contrat énergétique de Jean-Baptiste Djebbari, avec l’instauration de la carte carburant que la profession a réclamée et pour laquelle nous n’avons toujours pas de réponse ; un second qui concerne la stabilité fiscale sur le plan énergétique pour les deux trois ans à venir afin de permettre aux entreprises de s’engager économiquement vers la transition. Il n’est d’investissement possible pour les entreprises sans l’assurance de résultats.
J.-P. S. : Il ne peut y avoir de transition énergétique imposée par le gouvernement si le contexte économique n’est pas favorable, c’est-à-dire si les entreprises ne sont pas en bonne santé et rentables. Nous serions favorables, par exemple, à la mise en place de systèmes de suramortissement qui viendraient atténuer la charge car dans toute période de transition se pose un problème conjoint de financement et de reprise des matériels. Il sera en effet compliqué de revendre des véhicules diesel au prix qui est le leur aujourd’hui, ce qui rendra plus lourd pour le transporteur l’investissement net sur la durée d’utilisation.
J.-P. S. : Il faut bien comprendre qu’en matière de transition énergétique dans la logistique urbaine, il existe deux éléments : les modèles et les moyens. Les premiers sont spécifiques sur le plan local : on ne peut avoir recours au même modèle selon que l’on assure des prestations de distribution à Nice, Cannes ou Antibes et dans des villes comme Bordeaux ou Lyon. Chez TLF, nous pensons qu’un organisme comme France Logistique – qui rassemble des prestataires, des industriels, des grossistes, des acteurs de l’immobilier logistique – peut intervenir comme conseil auprès des collectivités locales afin d’apporter un éclairage professionnel objectif qui permette à chacune d’entre elles de prendre les bonnes décisions d’adaptation en termes d’infrastructures. Ces décisions garantiront une logistique urbaine efficace. Quant aux moyens, ils dépendent de la disponibilité technologique des matériels. Il est essentiel à ce titre que les collectivités locales soient claires sur leur demande vis-à-vis des prestataires et des acteurs du compte propre.