L’épidémie de coronavirus déclarée en janvier a totalement grippé la chaîne d’approvisionnement mondiale et jeté un froid sur la consommation chinoise. En quelques années seulement, la Chine est devenue le rouage essentiel de la chaîne de valeur puisqu’elle fabrique des produits finis ou semi-finis, des composants (électronique, automobile, aéronautique). Le cas de l’équipementier français Valeo, qui compte à lui seul 36 usines en Chine et 800 fournisseurs locaux, illustre cette dépendance à l’empire du Milieu. Free, Orange, Maisons du Monde, les jeans Kaporal, STMicroelectronics… Grands groupes, PME, start-up, toutes les entreprises sans exception sont concernées avec des premières ruptures d’approvisionnement sur les smartphones, PC, consoles de jeux. La France importe pour 50,8 milliards d’euros de produits chinois. Aujourd’hui, la route de la Soie est déserte. Les services de camionnage domestiques sont lourdement affectés par la pénurie de conducteurs vivant dans des zones épidémiques et mis en quarantaine. Certaines routes et autoroutes sont bloquées pour éviter la propagation du virus. Les commissionnaires de transport font face à la raréfaction des services de transport pour enlever les conteneurs dans les zones portuaires. Les liaisons aériennes se font rares, à tel point que Bolloré Logistics affrète des avions-cargos pour ravitailler la Chine. Les trains qui circulaient entre la Chine continentale et l’Europe se sont arrêtés. Quant au transport maritime, la situation est inédite, historique avec 50 % des escales de navires en Chine annulées.
Pour le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, le coronavirus est un « game changer », c’est-à-dire un événement qui change la donne dans l’économie de la mondialisation. S’exprimant le 25 février à Athènes, le ministre a souligné « la nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d’activités et d’être plus indépendants sur un certain nombre de chaînes de production ». « Je suis pour les circuits courts avec des stocks de proximité pour réduire l’empreinte environnementale. La relocalisation est un sujet à approfondir », commente Joseph Arakel, président de Tempo One. Prolinair, filiale de Tempo One qui traite habituellement 150 conteneurs à l’import d’Asie et 50 conteneurs par semaine à l’export, accuse une chute de 70 % de son activité. Les conteneurs reefers étant bloqués en Chine (en raison de la peste porcine qui a causé un afflux massif de conteneurs de viande de porc), le groupe se retrouve dans l’incapacité d’exporter les grands crus français.
En attendant de voir un jour apparaître des usines européennes de back-office, les importateurs français s’alarment car si l’activité ne reprend pas en mars-avril, ce sont des collections de prêt-à-porter qui pourraient être compromises ou des produits qui ne seront jamais mis en rayon. « Dans l’hypothèse où les usines ouvriraient en mars, nous pourrions espérer obtenir des réapprovisionnements en juin-juillet 2020. La saison étant déjà bien avancée, ce sera compliqué de rattraper le chiffre d’affaires perdu. Si les usines ouvrent en avril, il faudra tabler sur des approvisionnements en août, ce qui va se traduire par une chute du chiffre d’affaires de 25 % en 2020. Les autorités chinoises ont déjà annulé la Foire de Canton, qui devait se tenir en avril. Si les usines sont relancées plus tard, notre année sera fichue », prévient Jean-Yves Baeteman qui fabrique en Chine 80 % de ses luminaires Lumisky. Si la délocalisation est aujourd’hui pointée du doigt, l’organisation en flux tendu semble être remise en cause également. Est-ce que le coronavirus sonne le glas du zéro stock ? En attendant, les derniers navires chargés à plein venus des ports chinois ont débarqué leurs marchandises, et le malaise commence à se faire sentir dans les ports français qui se remettent à peine des deux mois de blocages de la CGT. « Nous avons perdu la moitié des volumes habituels durant ce conflit, dont une partie ne reviendra jamais. Les navires ayant quitté les ports chinois, moins nombreux et moins remplis, vont commencer à toucher Fos la semaine prochaine. Nous allons sentir l’impact de la baisse des volumes de conteneurs », s’inquiète Jakob Sidenius, directeur de la société de manutention Seayard, qui a déjà perdu plusieurs millions d’euros. « Les navires tournent au ralenti et ne prendront pas leurs positions dans huit à dix semaines, prévient Luc Portier, directeur des études et projets chez CMA CGM. En avril, des tensions sur les capacités sont à prévoir à destination de la Chine. » Avant l’épidémie, un navire CMA CGM faisait escale toutes les trois secondes dans un port chinois. « Sur le port de La Spezia, la chute du nombre de conteneurs importés de Chine est telle que les conducteurs routiers sont au chômage et cherchent du travail en France », témoigne Patrick Mortigliengo, gérant des Transports Mortigliengo. Si l’activité repart tout doucement dans les usines, les expéditions se heurtent soit à l’absence d’emballages et de service logistique, soit à la pénurie de conducteurs.