«Nous sommes contre la course à la croissance et préférons privilégier la rentabilité », c'est le maître mot de la famille Chevrier, à la tête d'une entreprise de transport de 82 salariés, basée à Bonneville (74). Un principe qui semble porter ses fruits. Les Transports Chevrier ont enregistré en 2001 un résultat d'exploitation de 1,37 M€, en progression de 52,2 %. Ce bénéfice représente 10,3 % de leur chiffre d'affaires qui atteint 13,23 M€, en hausse de 15,8 %. A 6,49 M€ en 1996, le volume d'affaires a quasiment doublé en six ans. La croissance de la société Chevrier s'appuie principalement sur le transport de lots et demi-lots à l'international. Cette activité compte pour 67 % du CA Transport, qui s'établit à 11,74 M€. Avec 56 conducteurs, Chevrier dessert la Grande-Bretagne, le Benelux et la Suisse mais est surtout spécialisé sur l'Italie et la Grèce. « En tant que frontalier, nous avons très tôt mis en place des liaisons vers la péninsule », explique André Chevrier, P-dg de l'entreprise. Si celle-ci a voulu développer ses trafics internationaux, c'est aussi parce qu'elle ne disposait pas - à l'époque de la TRO (Tarification Routière Obligatoire) - de suffisamment de licences zone longue pour accroître son activité à l'intérieur des frontières françaises. Or, aucune n'était nécessaire à l'international. En 1999, Evian, un des principaux clients de Chevrier vers l'Italie, a stoppé la production de sirops et produits sucrés et changé de fournisseur, entraînant la suppression de nombreux trafics pour le transporteur. Depuis l'ouverture des frontières européennes (1993), ce dernier avait commencé à relier la Grèce (adhésion à la CEE en 1992). Avec les difficultés sur l'Italie, il a choisi de développer davantage ses trafics vers cette destination.
« Le lancement de cette activité n'a pas été évident. Il a fallu se faire connaître auprès des sociétés maritimes pour pouvoir plus facilement réserver les bateaux. Au début, les conducteurs étaient obligés de payer directement et attendaient très longtemps pour embarquer. Aujourd'hui, les délais sont limités et nous disposons de comptes dans toutes les compagnies », commente le chef d'entreprise. Chaque semaine, dix à quinze véhicules Chevrier relient la Grèce, pour une multitude de petits clients. Le transporteur se heurte à une farouche concurrence de la part des entreprises grecques, qui proposent des prix plus bas. « En France, nous ne sommes en compétition qu'avec deux sociétés, les Transports Riand (74) et Collomb Muret Automobiles (74). Active sur la Grèce et la Turquie, cette dernière dispose de filiales dans ces deux pays », ajoute Yvon Chevrier, directeur général (frère d'André). La création d'une structure en Grèce n'est pas à l'ordre du jour. « Nous craignons de rencontrer des problèmes pour maîtriser et gérer l'activité, qui auraient un impact sur la qualité de service. Pour nous démarquer des concurrents, nous voulons poursuivre notre stratégie selon laquelle le même véhicule effectue le trajet de A à Z. D'autant que 99 % de nos livraisons se font en direct », poursuit Sébastien Chevrier, directeur commercial (fils d'André).
A l'international, l'entreprise de transport doit faire face à de multiples péripéties. En décembre 2001, trois de ses véhicules ont été bloqués pendant trois jours au Nord d'Athènes où 60 cm de neige étaient tombés. En janvier 2002, un poids lourd embarqué dans un ferry entre la Grèce et l'Italie a totalement brûlé. « Des clandestins cachés dans la soute ont sans doute voulu faire chauffer quelque chose à manger et le camion a pris feu », raconte Yvon Chevrier. Sur la même période, un autre véhicule stationné le long d'une nationale en Italie (pendant que le conducteur dormait) a été percuté par un poids lourd étranger. Malgré tout, les Transports Chevrier comptent bien poursuivre leur développement en particulier sur la Grèce, un marché en pleine expansion. Pour ce faire, ils sont amenés à accentuer les trafics nationaux. « Nous allons chercher du fret partout en France, sur Paris ou Bordeaux par exemple », explique André Chevrier. La part du national dans le chiffre d'affaires transport est passée de 25,9 % en 1996 à 33 % en 2001. Chevrier effectue également du régional, avec des porteurs de 15 tonnes disposant de hayons élévateurs. Toutes activités confondues, il travaille pour 62 % de clients directs (Evian, Nestlé notamment) et 38 % d'affréteurs (Danzas, Mory). La société de Haute-Savoie fait elle-même appel à l'affrètement. « Nous pouvons à certaines périodes sous-traités jusqu'à 20 % de nos trafics. Depuis juillet 2001, cette proportion a sensiblement baissé », affirme André Chevrier. Un retournement de tendance qui ne facilite guère les négociations tarifaires. « Nous ne sommes pas parvenus à répercuter le surcoût lié aux heures de nuit », précise Sébastien Chevrier. La majoration de 20 % du travail nocturne représente une dépense supplémentaire de l'ordre de 46 000 euros par an. Elle s'applique sur 10 à 20 heures par mois par conducteur pour certains départs effectués le samedi, le dimanche ou le lundi soir. Lesquels avaient lieu dans la matinée, avant la fermeture du Mont-Blanc (en mars 1999).
Les Transports Chevrier, situés à une cinquantaine de kilomètres du tunnel savoyard, ont en effet dû s'adapter à la suppression de ce point de passage à travers les Alpes. « Auparavant installés à La Tour (74) dans l'autre vallée, nous avions prévu en nous implantant en novembre 1998 à Bonneville de réaliser des économies d'échelle de l'ordre de 99 000 euros par an. Mais 4 mois après, la fermeture du Mont Blanc nous a coûté 150 000 euros », déplore Yvon Chevrier. Par exemple, les frais de rapatriement des véhicules en panne ou accidentés ont fortement augmenté. La mise en place de nouveaux itinéraires implique également un surcoût important que l'entreprise n'a pas répercuter en totalité dans ses tarifs. « Nos poids lourds passent soit par la Suisse soit par le tunnel du Fréjus. Dans ce dernier cas, nous mettons entre 4 h et 4 h 30 pour aller de Bonneville en Italie du Nord, contre 45 minutes auparavant. Les conducteurs doivent faire un détour de 350 km. Pour gagner du temps et limiter le surcoût, ils peuvent laisser chaque week-end leur camion chez des confrères à Chambéry, et utiliser les voitures « navettes » que nous avons mises en place », explique André Chevrier. Le transporteur a pu maintenir ses activités. Mais la croissance de ses trafics s'est ralentie. Après avoir progressé de 11 % en 1998, le chiffre d'affaires transport de Chevrier n'a augmenté que de 3 % en 1999.
Pour compenser, l'entreprise s'est notamment appuyée sur son activité de garage poids lourds. « Déjà sur notre ancien site de La Tour, isolé dans la montagne, il nous fallait être autonome au niveau de l'entretien des véhicules », affirme André Chevrier. L'atelier intégré a donc toujours fait partie de la stratégie du transporteur. « Pour notre déménagement à Bonneville, nous souhaitions mettre en place les meilleurs équipements. Nous avions demandé à Daf de nous aider en nous intégrant dans son réseau de points de services. Mais le constructeur a refusé », indique Yvon Chevrier, directeur des achats et du garage poids lourds. Celui-ci n'a pas renoncé pour autant. Il a demandé une subvention à la CRAM (Caisse régionale des arts et métiers), qui lui a accordé 61 000 euros. « Pour rentabiliser l'investissement, nous avons décidé d'ouvrir à des clients extérieurs », ajoute André Chevrier. D'une surface de 2 000 m2, le garage dispose de trois fosses, d'un banc de freinage, d'une cabine de peinture et d'une aire de lavage chauffée. Chaque samedi, la flotte de l'entreprise bénéficie d'un entretien complet, qui permet de réduire les pannes et les temps d'immobilisation des véhicules. Le garage compte entre 30 à 40 clients extérieurs (compagnies pétrolières, transporteurs ou autres), disposant d'un parc allant de un à quinze camions. Il réalise un CA de 648 489 euros en réparations, mécanique et carrosserie. Il permet également à l'entreprise savoyarde de revendre ses poids lourds sur le marché de l'occasion. « Nous cédons nos véhicules lorsqu'ils atteignent 400 000 km, soit à peine à demi usure », signale Yvon Chevrier. La négoce de matériels d'occasion a rapporté en 2001 quelque 697 713 euros de chiffre d'affaires. Début 1999, le garage de Chevrier a rejoint le réseau Daf Agent Point de service. Les ventes de véhicules neufs sont elles directement facturées par le constructeur. Avec 14 personnes, le département poids lourds représente un chiffre d'affaires total de 1,34 millions d'euros. En parallèle, les Transports Chevrier ont démarré une activité de location longue durée de véhicule pour un artisan transporteur. « Nous espérons avoir bientôt des clients supplémentaires. Nous sommes même prêts à proposer de la courte durée, mais la demande est pour l'instant inexistante », affirme Yvon Chevrier.
L'entreprise s'est aussi diversifiée dans la logistique. Elle a tout d'abord exploiter un bâtiment de 1 500 m2, disposant de six mises à quai intérieures. Ce qui permet de charger et décharger à l'abri du froid et d'améliorer les conditions de travail et l'efficacité des conducteurs et du personnel de quai. L'entrepôt sert pour le groupage ou comme zone de transit. Par exemple, les eaux d'Evian y sont stockées en attendant que les véhicules de Chevrier ou de transporteurs italiens viennent les charger à destination de la péninsule. De 1999 à 2001, le chiffre d'affaires logistique est passé de 66 500 euros à 137 200 euros, soit une hausse de 106,4 %. « Notre premier bâtiment a rapidement été saturé. Nous avons donc décidé d'en construire un second », souligne André Chevrier. Une étude de marché a montré que le département de la Haute-Savoie disposait d'une faible surface de stockage. « La demande d'entreposage est forte, notamment de la part de notre principal client Evian. Or, nous sommes installés sur un site de 5 ha », précise le chef d'entreprise. Les Transports Chevrier bénéficient depuis fin janvier 2002 d'une nouvelle plate-forme de 3 500 m2, comportant cinq portes à quai (investissement d'1 million d'euros). « Notre principal objectif est à présent de remplir le nouveau dépôt et de le rentabiliser. Nous espérons aussi effectuer davantage d'entreposage pur », souligne André Chevrier. Pour ce faire, le transporteur a lancé une campagne de publicité dans la presse régionale et réalisé un mailing auprès des gros industriels de Savoie et Haute-Savoie. Si tout fonctionne bien, il pourrait construire dans les deux ans un nouveau bâtiment de 3 000 m2. « La croissance de la logistique peut doper l'activité transport », note le P-dg. Lequel compte poursuivre le développement des trafics vers la Grèce et l'Italie. « Nous espérons retrouver des conditions normales de travail avec la réouverture prochaine du Mont-Blanc », souligne André Chevrier. D'autant que le transporteur bénéficiera bientôt d'une nouvelle entrée (en cours de construction) sur l'autoroute A 40, à proximité immédiate du site, et d'un second axe dans la vallée (en doublement de la route nationale N 205). De nouvelles infrastructures qui lui profiteront à condition que la mise en place d'une circulation alternée sous le tunnel du Mont-Blanc ne pénalise pas davantage les trafics. « Ce système risque de créer d'importants temps d'attente à l'entrée du tunnel. Mais c'est une solution minimum. Je suis pour une alternance courte, pour ne pas léser les entreprises de la vallée », poursuit André Chevrier. En tant qu'administrateur au sein de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) de Haute-Savoie, celui-ci a demandé la mise en place de conditions spéciales pour les transporteurs régionaux. Pour l'instant, aucune réponse ne lui a été fournie.
La flotte des Transports Chevrier totalise, à fin janvier 2002, 115 cartes grises. Elle est constituée de 54 véhicules moteurs - tous des Daf 95 XF de 400 ch - soit 25 tracteurs grand routier, 4 porteurs avec hayon élévateur (trafics régionaux) et 25 attelages grand volume. Bénéficiant d'un PTAC de 40 t (et non pas 26 t), ces derniers peuvent aussi bien transporter des marchandises volumineuses que de l'industriel lourd. La société Chevrier dispose de 61 matériels non moteurs (36 semi-remorques et 25 remorques). « Le parc non moteur est toujours supérieur au nombre de moteurs, pour permettre davantage de souplesse, commente Yvon Chevrier, directeur général et responsable du parc. Nous renouvelons les tracteurs tous les 3 ans, les camions-remorques tous les 4 ans et les semi-remorques tous les 5 ans ». L'exploitation des véhicules ne nécessite ainsi qu'un entretien simple et les immobilisations sont rares. « Revendre un tracteur au bout de 3 ans constitue la solution la plus rentable : la valeur de reprise est élevée et la garantie touche à sa fin », précise Yvon Chevrier.
L'achat de matériels plus modernes permet aussi au transporteur de réduire la consommation moyenne de carburant. De 1999 à 2001, celle-ci est passée de 35,64 l/100 km à 34,13 l/100 km, alors que la distance annuelle parcourue a progressé de 12, 4 % (pour atteindre 7,14 millions de km l'an dernier).
« L'adhésion au réseau France Lots Organisation nous permet de disposer d'une structure dans chaque département français et dans certains pays étrangers, sans la supporter financièrement », affirme André Chevrier, qui occupe le poste de trésorier du groupement. Si le transporteur reçoit une demande de transport pour l'Espagne par exemple, il peut s'appuyer sur les membres de Flo. Et inversement, ceux-ci ont la possibilité de faire appel à Chevrier pour desservir la Grèce. « En cas de besoin, nous sommes aussi amenés à recharger les véhicules de confrères dans notre région », indique le P-dg. L'entreprise savoyarde fait parfois appel à la bourse de fret interne du groupement. Flo procure également un réel avantage au niveau des commissions d'achats. Mais c'est aussi « un lieu d'échanges d'idées où nous avons pu trouver des conseils pour moderniser l'entreprise et mettre en place la tarification logistique », poursuit André Chevrier. C'est en 1997 que les Transports Chevrier ont adhéré au réseau. « Il devenait difficile de rester seuls. Astre nous avait contacté mais sa démarche, trop commerciale, nous a paru plus contraignante. Avec Flo, nous n'avons rien perdu de notre indépendance », souligne le chef d'entreprise.