L'année 1996. Les entreprises Jaulin à St-Maixent (79), Destandau et Boisan à Biarritz (64) et Fournier à Marseille (13) et Pau (64) perdent, à la suite d'un appel d'offres, les transports qu'elles assuraient depuis 15 ans pour le compte de l'industriel belge Solvay (produits chimiques). Soit 60 000 tonnes de sel par an des Salines de Bayonne. Les quatre transporteurs, entreprises familiales indépendantes, couvraient près de 80 % du territoire français. « Pendant deux ans, nous avons vraiment souffert : Solvay représentait de 15 à 25 % de nos chiffres d'affaires respectifs » se souvient Philippe Fournier président d'Aqui Logis et P-dg des Transports Fournier à Marseille. « La demande de Solvay était claire : n'avoir qu'un seul interlocuteur ». Une attente à laquelle les transporteurs répondent en se regroupant en janvier 2001 au sein d'Aqui Logis. Chaque membre lui affecte quatre véhicules. Le groupement se présente à l'appel d'offres suivant et le décroche. Il réalise sur la première année d'activité un chiffre d'affaires d'un million d'euros (6,56 MF). Pour Pierre Destandau, P-dg des Transports Destandau à Biarritz (16 véhicules, 20 salariés, 2,7 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2001), cette expérience démontre qu'un groupement peut « convaincre un gros chargeur de continuer à travailler avec des pme ».
« Dans l'Aveyron, il n'y avait aucun échange entre les transporteurs du nord et du sud du département. Résultat, de nombreux marchés se sont envolés au profit d'entreprises plus structurées. En dix ans, une trentaine de bennes céréalières aveyronnaises ont disparu » déplore Alain Magnes, président de Eurovrac. Réalisant que de nombreuses autres pme couraient à la catastrophe si elles ne se réagissaient pas, Alain Magnes et trois autres transporteurs locaux ont réuni autour d'eux douze transporteurs aveyronnais. Auxquels se sont joints par la suite huit professionnels nationaux. « Il aura tout de même fallu plus de trois ans de discussions et de négociations pour aboutir à la création de notre association qui regroupe aujourd'hui 150 bennes » reconnaît le président. Pour y accéder, un droit d'entrée de 381,12 euros (2 500 F) et une cotisation annuelle de 229 euros (1 500 F) sont requis. En outre, « avant de nous engager avec un nouvel adhérent, nous travaillons avec lui pendant un an afin de tester son professionnalisme », indique Alain Magnes. « A l'occasion de l'assemblée générale du groupement, nous prenons ensemble la décision de l'intégrer ou non ».
Le groupement a constitué une centrale d'achats au sein de laquelle chacun est responsable d'une tâche spécifique (achat de la bureautique, des pneus, négociations avec l'imprimerie ou les compagnies d'assurances.... « Nous nous réunissons une fois par trimestre pour faire le point sur les besoins de chaque membre et, naturellement, sur l'évolution de l'association ». C'est aussi sur le marché de la benne, mais TP celle-là, que s'est positionné Vendée Bennes. Créée en juin 2001, le groupement regroupe onze associés-coopérateurs tous basés en Vendée et un parc de 35 matériels mis à disposition. « Il est le fruit de plus de deux ans de réflexion », indique son président Loïc Elineau. « Ici, les transporteurs répondaient à la plupart des chantiers sans pour autant pouvoir répondre aux grands appels d'offres. Avec le parrainage de la coopérative Ablo Coop à Nantes, une des pionnières du regroupement, nous entendons créer rapidement un « arc atlantique » sur l'ensemble des départements limitrophes. »
« La démarche du groupement ne se fait pas spontanément chez les transporteurs, excepté chez les jeunes générations de professionnels qui ont une réelle volonté de changement. Il s'agit pourtant d'une solution qui permet de se mettre en position de concurrence face aux grands groupes. C'est ce que sommes en train de réaliser » assure Francis Triard, président du GIE Euro Volume. Lequel compte 7 adhérents et 200 véhicules moteurs, avec le projet d'atteindre les 1500 d'ici mai 2002. Spécialisé dans le transport de marchandises volumineuses, Euro Volume regroupe Braun Transports (67), Doumen (24), Gorron Fret (53), Grimonprez (59), Lamy (39) et Transports Rapides du Maine (53), six membres fondateurs d'un autre GIE, Réseau Europe Volume (REV). Un groupement qui, né en novembre 2000, a éclaté à l'annonce du rachat de l'un de ses piliers, United Savam, par le groupe Norbert Dentressangle. D'où la création d'Euro Volume en septembre 2001 par les membres privés de structure commune. L'adhésion implique l'acquisition d'une part de capital, pour un coût de 1 500 euros. L'entreprise candidate doit dévoiler ses comptes, sa clientèle, disposer d'au moins 30 véhicules en propre, être indépendante financièrement et juridiquement. Et, naturellement, afficher une bonne notoriété. C'est le cas des Transports Cordier (71) qui, début janvier 2002, ont apporté à Euro Volume leurs 23 millions d'euros de chiffre d'affaires annuels. Francis Triard escompte d'autres adhésions en ce début d'année sans toutefois souhaiter dépasser les 15 adhérents. Le groupement met actuellement en place une bourse de fret accessible à tous les adhérents. Son objectif : maintenir les taux de rechargement. « Le chargeur contacte le siège du groupement pour proposer son offre. Si nous l'acceptons, nous la diffusons auprès de tous nos adhérents, via la bourse, pendant 20 minutes. Si aucun de nous n'est intéressé, elle est automatiquement basculée sur Lamy, société de bourse privée en accès libre » explique Jean-Claude Lelièvre, directeur d'exploitation des Transports Rapides du Maine. « Ce système nous évite de confier des frets à des inconnus et d'être certain, s'il est réalisé par l'un de nous, que les prestations seront correctement réalisées. Ce qui constitue un gage de sécurité supplémentaire pour la crédibilité du groupement. »
Le Livre Blanc de la Commission européenne sur les transports à l'horizon 2010 prône le regroupement d'entreprises. Ceci afin de favoriser le recours au mode combiné qui impose une massification des flux. Ce qui suppose que les transporteurs disposent d'un parc suffisant. Un an après la création du Groupement Aqui Logis, ses quatre membres ont acquis un terrain de 10 000 m2 sur la plateforme rail/route de Mouguerre à Bayonne. Objectif: développer des échanges avec l'Espagne. Même objectif pour Euro Volume où l'on parle déjà de rapprochements avec les pays francophones (Belgique, Luxembourg) avant de bâtir des projets avec la Hollande, l'Allemagne ou l'Espagne. Toutefois, indique le secrétaire général d'Euro Volume Benoît Clément, « il s'agit d'abord d'assurer un maillage national établi sur des bases solides avant d'engager des accords avec nos voisins ». Pour le président Francis Triard, « à moyen terme, cette perspective apparait inéluctable ».
« Ma première tentative de groupement remonte à 1986 lorsque j'ai créé mon entreprise », se souvient Gérard Marcellin, P-dg des Transports Marcellin à Mazan (84). « J'ai contacté plusieurs confrères afin de leur exposer mon plan auquel aucun n'a voulu adhérer de peur de perdre son indépendance ». Avec un effectif de 9 personnes, 7 tracteurs et 11 semi-remorques, 884 000 euros de chiffre d'affaires en 2001, la société est spécialisée dans le transport industriel et alimentaire non périssable sur l'Est et le Sud de la France, la région parisienne et le nord de l'Italie. Neuf ans plus tard, Gérard Marcellin a relancé son projet, mais toujours sans succès... Depuis, il a développé des relations commerciales et d'échanges avec des confrères. « Nous nous rendons service sans travailler vraiment ensemble. Toute la différence est là. Ce fragile palliatif ne pourra durer très longtemps ». D'où son souhait d'une structure qui permette d'organiser des relais, d'échanger des remorques, de mieux gérer la réduction du temps de travail. Et s'il ne lui est pas permis de créer son propre groupement, Gérard Marcellin envisage d'en rejoindre bientôt un, déjà existant.