Jacky Chantelat, Alain Van Beek et Gérard Hubert partagent de nombreux poiknts communs. Originaires du centre de la France, ils sont à la tête de sociétés spécialisées dans le transport de produits en vrac. Autre similitude : ces trois dirigeants ont fréquenté au début des années quatre-vingt-dix le Club des Jeunes Transporteurs (CJT) de Pontlevoy, dans le Loir-et-Cher. C'est dans les locaux du CJT - prêtés par l'organisme de formation AFT-IFTIM - que ces trois chefs d'entreprise ont involontairement façonné les principes qui concourront à la naissance de France Benne. « Tous les deux mois, les transporteurs routiers se réunissaient au sein du CJT. Nous étions les seuls benniers. Inutile de dire que nous avions des choses à nous raconter. Rapidement, nous avons partagé nos expériences, échangé des idées. Puis, naturellement, nous avons travaillé ensemble tout en restant des concurrents. Reste que l'on ignorait la finalité de notre démarche », se rappelle Jacky Chantelat, P-dg de CDV Transports (18) et actuel membre du directoire de France Benne. C'est une personne extérieure au transport par bennes céréalières qui va concrétiser cette initiative purement locale en véritable projet national. Le détonateur se nomme Alain Neilz. Après un passage chez France Lots Organisation (FLO), un groupement qu'il a créé dès 1993, ce dernier s'ennuie alors durement chez Transcap, une entreprise placée en dépôt de bilan puis rachetée en partie par Dubois. « Ce groupe ne souhaitait pas reprendre l'agence de Tours dans laquelle j'opérais. Une aubaine ! J'avais la nostalgie de FLO », explique Alain Neilz, aujourd'hui gérant d'Evolutrans. « Pour le compte de FLO, poursuit-il, j'avais, lors d'une prospection, rencontré un transporteur spécialisé en benne céréalière. Celui-ci trouvait l'idée de groupement très séduisante et regrettait de ne pouvoir en faire partie. Je me suis souvenu de cette anecdote ». Alain Neilz prend alors contact avec Jacky Chantelat. Le mouvement est lancé. Approché peu avant par Astre mais également par les Transports Berthoux (depuis liquidés) en vue d'un rapprochement avec son entreprise, le dirigeant du Cher sait depuis longtemps ce que tout le monde pressent : le secteur de la benne grand volume se prépare à vivre une grande mutation.
Dans un contexte économique difficile propice aux regroupements d'entreprises, les benniers assistent en effet à la montée en puissance des groupes de transport généralistes. Norbert Dentressangle, Giraud mais aussi Transalliance affichent leurs ambitions dans le vrac. Et prennent des parts de marchés. Quant à l'entreprise spécialisée Tratel, elle poursuit un développement cohérent qui inquiète les pme régionales. Parallèlement, celles-ci supportent de plus en plus difficilement l'omnipotence des affréteurs. Regroupés dans des endroits stratégiques (généralement les ports), ces commissionnaires font alors « la pluie et le beau le temps ». « Face à ces mouvements, nos clients étaient de moins en moins à l'écoute. Ils commençaient à remettre en cause nos capacités de transport. Ils nous ont fait comprendre que nos petites tailles constitueraient rapidement un lourd handicap. Résultat : on craignait de se faire souffler des appels d'offre », souligne Alain Van Beek, P-dg des Transports Van Beek (45). Dans un métier où les contraintes techniques et sociales ne se traduisent pas forcément par une politique tarifaire ambitieuse, les benniers sont également pénalisés par la présence d'une armée d'entreprises artisanales. Possédant de 1 à 3 véhicules, ces francs-tireurs, issus le plus souvent du monde agricole, effectuent à la frontière de la légalité et à des prix attractifs, des transports de récoltes sur des courtes distantes. Pour les transporteurs frontaliers, la situation est encore plus délicate puisqu'ils doivent affronter en sus une concurrence européenne n'ayant pas les mêmes contraintes techniques réglementaires. Avec des véhicules dont le PTAC est limité à 44 t (contre 40 t en France), les entreprises étrangères peuvent sans peine emporter 15 % de charge utile supplémentaire.
Les benniers français doivent par ailleurs gérer leurs propres contraintes. « Le métier est aux antipodes du transport de lots industriels », se plaît à souligner Alain Neilz. Lequel évoque notamment un taux de rechargement plus faible que dans les autres secteurs. « En benne, le taux de kilométrage à vide est en moyenne de 20 à 30 % », constatait en 1995 le P-dg de CDV Transports. Faut-il encore rajouter des déséquilibres géographique (traditionnellement les régions de départ sont souvent celles qui produisent des céréales, les destinations sont les ports) et saisonnier avec un volume d'affaires important de juin à septembre. Enfin, les prix de transport ne sont pas à la hauteur des coûts de revient. L'entretien et le lavage des bennes (et des citernes) pèsent lourd dans un budget. Quant au matériel roulant, il est soumis à rude épreuve par des transports effectués en pleine charge. Pour recouvrer une certaine productivité et une rentabilité plus conforme aux investissements, les entreprises de bennes céréalières ont donc vite compris l'intérêt de la démarche proposée par France Benne. « Le concept général, c'était d'en faire moins mais mieux. Nous recherchions davantage l'équilibre des frets que la course aux volumes », note Frédéric Moreau, l'actuel président de France Benne. Autre intérêt de taille pour les transporteurs : adhérer à France Benne est le moyen de s'affranchir du « diktat » des affréteurs. « Nous étions piégés sur les prix », reconnaît aujourd'hui Jacky Chantelat.
Après un tour de France qui durera sept mois, Alain Neilz réunit à Paris douze chefs d'entreprises (Belloin, Boulet, Chantelat, Moreau, Ramette, Rousselot, Van Beek, Hubert, Degrugilliers, Mesples, Feron, Colin). Lesquels signent en avril 1995 l'acte de naissance du groupement France Benne. Gérard Hubert, le P-dg des Transports Hubert (28), en est le premier président. « Même si la benne grand volume a ses propres spécificités, la recette est toujours la même : rompre l'isolement des chefs d'entreprise, leur permettre d'optimiser leur moyens de production. L'esprit club est aussi primordial. Un groupement doit être animé par des dirigeants responsables qui, en toute liberté et sans arrière-pensée commerciale, peuvent s'échanger des informations », indique Alain Neilz. « Au départ, nous avons tâtonné. Notre chance a été de pouvoir compter sur des chefs d'entreprises beaucoup moins individualistes que ceux issus de la génération précédente », explique Frédéric Moreau. « Le changement le plus délicat que nous avons dû aborder a été d'ordre psychologique : se dire que nous n'étions plus des concurrents mais des partenaires », résume Alain Van Beek. La greffe prend rapidement. Fin 1995, France Benne, qui s'installe dans la banlieue niortaise, accueille déjà 23 entreprises, situées pour la plupart dans le Centre et l'Ouest de l'Hexagone, deux zones à fort potentiel de fret. Le règlement intérieur favorise de son côté l'intégration de pme financièrement solides, avec à leur tête des dirigeants prêts à s'impliquer personnellement dans la vie de la collectivité. « Nous n'avons jamais couru après les adhésions. Nous préférons recruter un transporteur de haute volée que dix médiocres dont on sait très bien qu'à moyen terme ils ne seront plus en phase avec la philosophie générale de France Benne », avertit Frédéric Moreau. Une politique de recrutement qui s'avérera payante, France Benne ayant enregistré depuis sa création quatre défections.
La première réalisation du groupement est la conception d'une charte graphique. Le logo orange et vert du réseau fait ainsi son apparition dès 1996. Cette politique de communication externe deviendra plus tard un véritable atout commercial. France Benne sera ainsi récompensé en 2000 dans la catégorie image de marque lors de la remise des Étoiles du Transport. Rapidement, France Benne s'ouvre aux entreprises dont l'activité principale est le transport de produits pulvérulents. « Ce n'était pas une volonté de diversification, explique Alain Neilz. Je me suis tout simplement aperçu que 50 % de nos adhérents disposaient de citernes pulvé ». Fin 1997, France Benne réunit 40 entreprises. C'est également l'année où une bourse de fret interne est mise en place en partenariat avec la société Lamy. Elle permet à un adhérent qui annonce un véhicule à charger dans une région de recevoir automatiquement par fax les lots mis à sa disposition par ses confrères. Dans la foulée, France Benne crée un service achats, piloté par le secrétaire général et les membres du directoire. Des accords sont aussitôt signés avec des constructeurs de poids lourds et de remorques. En 1998, le groupement sort des frontières hexagonales en intégrant la société espagnole Abycer et le Belge Mattheeuws. Mais le coup d'éclat intervient en septembre 1999 avec la création, à la demande des adhérents, du Service Transport. L'objectif est simple : décrocher pour le compte des entreprises membres des marchés d'envergure nationale. « Nous avons répondu à une attente de notre réseau. Nous avons surtout évité une certaine sclérose en redynamisant le groupement autour d'un projet fédérateur. Il y avait cependant une inconnue majeure : comment les adhérents allaient-ils réagir ? Subitement, ils devenaient des clients potentiels de France Benne », relève Frédéric Moreau. Un écueil qui sera vite évacué. En 2000, cette cellule grands comptes génère un chiffre d'affaires de 9,5 MF et s'apprête à terminer l'année 2001 sur un CA de 10 MF. « Le Service Transport est aujourd'hui la pierre angulaire de France Benne. Les perspectives de développement de groupement passent inévitablement par cette activité », soulève Pierrick Leau, P-dg des Transports Leau (79).