Le bon cariste est denrée rare

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En France, seuls 20 % des conducteurs de chariots élévateurs seraient titulaires d'un diplôme d'état homologué. Alors que le CCP cariste est valable jusqu'à la fin de l'année 2004, les transporteurs-logisticiens se mettent progressivement au Caces, un nouveau certificat de conduite plus exigeant. A la fois polyvalents et expérimentés, les "bons caristes" sont difficiles à dénicher. D'où le recours au travail intérimaire qui souffre depuis deux ans d'une pénurie de main-d'oeuvre.

Depuis le mois de janvier 2001, les conducteurs de chariots élévateurs ne passent plus le Certificat de capacité professionnelle (CCP) cariste. Le Comité technique national des industries du transport et de la manutention, émanant de la CNAM (caisse nationale d'assurance maladie), a en effet révisé les modalités du contrôle des connaissances d'un opérateur, à travers la recommandation R389. L'importance du nombre d'accidents dans les entrepôts dus à des chariots de manutention - 8 290 en 1998, dont 10 décès - a conduit l'organisation à transformer l'ancien CCP en un Certificat d'aptitude à la conduite en sécurité, ou Caces. Plus spécifique que le CCP, le Caces se décline en six catégories d'engins de production (voir encadré). Un opérateur polyvalent, maniant régulièrement plusieurs types de matériels, devra avoir en poche autant de certificats.

Autre évolution majeure : toute entreprise doit désormais être en mesure de prouver que ses salariés ont été formés. Dans le cas contraire, et en cas d'accident grave d'un cariste, la responsabilité pénale de son employeur est engagée. D'où le recours de plus en plus courant à des organismes de formation extérieurs, agréés par le Cofrac (Comité français d'accréditation), tels que l'AFT-Iftim (Association pour le développement de la formation professionnelle dans les transports).

C'est à cette dernière que l'entreprise de transport Darfeuille, filiale du groupe Christian Salvesen, confiera, au cours d'un stage Caces prévu en décembre 2001, neuf de ses conducteurs de chariots opérant sur son site de Nancy. « C'est un test, explique Claude Rouffet, responsable emploi-formation de la branche industrielle de Darfeuille. Si nous constatons que l'obtention du Caces réduit les accidents de travail ainsi que les litiges sur les marchandises transportées, nous élargirons la formation à l'ensemble de nos caristes ». Pour sa part, le prestataire logistique Stockalliance a pris les devant en permettant à tous ses caristes d'effectuer le Caces en 2001. « Ceux qui n'en sont pas encore titulaires le seront avant la fin de l'année, assure Grégory Blin, responsable régional des ressources humaines sur trois sites du Loiret. Nous préférons anticiper une mesure qui sera bientôt obligatoire, puisque le CCP de cariste ne sera plus valable après le 31 décembre 2004 ».

Les enseignements 1, 3 et 5 du Caces, adaptés aux matériels les plus usités, sont facturés environ 4 900 francs. C'est le prix d'un stage de cinq jours. « Ce tarif est dégressif pour les entreprises effectuant plusieurs formations », rassure Lionel Bazin, directeur adjoint de l'AFT-Iftim. Selon l'organisme, les nouveaux stages reviennent 10 à 15 % plus cher que l'ancien CCP de cariste. Ce qui n'a pas empêché l'association d'enregistrer 16 000 candidats entre janvier et septembre 2001. L'année précédente, elle avait connu une progression du nombre de ses formations de 26 %, pour atteindre 23 000 participants. « Seuls 20 % de la population de caristes est titulaire d'un diplôme d'état homologué : Certificat d'aptitude professionnelle (CAP), CCP ou Caces, observe Lionel Bazin. 80 % n'ont reçu aucune formation, ou uniquement des modules ponctuels ».

Un certificat socialisant

« L'avantage d'un certificat attribué par un organisme agréé, c'est qu'il est valable quel que soit le lieu de travail, remarque Mickaël Talmo, Directeur des ressources humaines (DRH) dans le groupe Geodis. Dans les années 1990-1991, Geodis a été amené à licencier 3 000 personnes, dont des caristes. Parce qu'elles avaient à leur acquis une simple autorisation de conduite valable uniquement dans l'entrepôt où elles travaillaient, ces personnes ont eu beaucoup de mal à retrouver un poste dans une autre entreprise. Nous avons alors reconsidéré la gestion à long terme des conducteurs de chariots ». Aujourd'hui tous les caristes travaillant pour Geodis détiennent un certificat de conduite : CCP ou Caces, que l'entreprise octroie progressivement à l'ensemble de ses employés. Chaque DRH régionale gère la formation de sa main-d'oeuvre. En Ile-de-France par exemple, qui rassemble une quinzaine d'entrepôts et 238 caristes, quatre conducteurs de chariots détiennent aujourd'hui un Caces. En revanche, toutes les structures logistiques ne font pas l'effort de munir leurs employés d'un certificat de conduite. Selon l'AFT-Iftim, seuls 20 % des caristes détiennent aujourd'hui un titre homologué. La plupart n'ont reçu aucune formation agréée. De plus, la profession serait marquée par un turn-over important, ce qui peut expliquer la faible volonté des entreprises à investir dans des stages coûteux.

« C'est bien dommage, car le certificat de conduite est souvent l'unique diplôme que détiennent les caristes, précise Mickaël Talmo. Ceux-ci sont généralement en situation d'échec scolaire, et ne savent parfois ni lire ni écrire le français. Chez Geodis, la remise par le directeur d'agence des attestations à un groupe de stagiaires donne lieu à une cérémonie accompagnée d'un "pot" entre collègues, auquel sont aussi conviées les épouses. C'est véritablement un événement socialisant ».

Au sein de Darfeuille, les caristes n'ayant aucun diplôme à leur actif - c'est notamment le cas de jeunes embauchés en contrat de qualification - bénéficient d'une formation en interne. Un stage adapté à l'activité du de l'entreprise, spécialisée dans le groupage et la distribution de marchandises palettisées, qui nécessite uniquement le maniement de chariots frontaux et de transpalettes. En outre, les futurs conducteurs sont formés au fret de matières classées dangereuses - comme l'encre et la peinture - qui comporte des risques particuliers en cas de fuite. « L'avantage de la formation interne, c'est qu'il n'y pas de malentendu quant aux connaissances acquises, déclare Claude Rouffet. Nous reprenons bien sûr les recommandations de la CNAM, et délivrons une attestation de fin de formation. Suite à quoi le directeur dispense une autorisation de conduite ».

Le Smic au départ

Avec ou sans Caces en poche, le cariste voit peu évoluer son salaire. Selon le spécialiste du travail temporaire Manpower, un débutant touchera, en fonction de l'entreprise ou il travaille, quarante cinq à cinquante francs bruts de l'heure, soit environ le SMIC. Un chiffre confirmé par Geodis et Darfeuille. Le messager Danzas attribue à ses conducteurs de chariots une rémunération 20 à 25 % supérieure au minimum légal. « Après dix ans d'ancienneté, une personne percevra environ 9 000 francs brut », affirme Jean-Luc Guay, responsable de l'établissement d'Emerainville (45) de Danzas.

Si son salaire n'augmente que de 10 % en dix ans, un bon cariste peut en revanche espérer évoluer vers un poste d'encadrement : contrôleur de commande ou encore chef de quai. « La plupart de ces derniers ont commencé sur un chariot », affirme Claude Rouffet. En Saône-et-Loire, le directeur du site Darfeuille de Cuisery a par exemple débuté sa carrière comme conducteur de chariot. Une exception bien sûr, mais néanmoins porteuse d'espoir. Au sein de Geodis, la conduite d'un engin de manutention est souvent la première étape vers la fonction de conducteur routier. Une motivation certaine, à laquelle s'ajoute, pour le cariste, la satisfaction de voir ses conditions de travail s'améliorer progressivement. « Les matériels, plus confortables que par le passé, réduisent l'affection chronique de l'opérateur : le mal de dos, provoqué par des secousses continuelles, observe Mickaël Talmo. La sécurité est améliorée, par exemple, grâce à l'activation automatique d'un signal sonore lorsqu'un chariot fait marche arrière. De plus, nos entrepôts sont mieux éclairés. En extérieur, le travail est également facilité par des cabines de protection ».

Côté recrutement, Geodis favorise la mobilité interne. « Nous embauchons ainsi 80 % de nos caristes, déclare Mickaël Talmo. Beaucoup sont devenus conducteurs de chariots élévateurs après avoir effectué trois à cinq ans de bons et loyaux services en tant que préparateurs de commandes ». Chez Geodis, les caristes recrutés en externe sont le plus souvent engagés par le biais du travail intérimaire. Après une période d'essai de durée variable, ils signent directement un CDI (contrat à durée indéterminée). Quant aux contrats à durée déterminée, ils rencontrent peu les faveurs des recruteurs. Car ils sont, à coût équivalent, plus difficiles à gérer que des accords de travail temporaire. « Quand nous souhaitons mettre fin à un CDD avant son terme, nous devons nous acquitter de la totalité de la mission », explique Mickaël Talmo. En revanche, l'intérim permet d'employer une personne pendant de courtes périodes renouvelables - une ou deux semaines - dans la limite maximale de 18 mois régissant ce type de contrats.

La pénurie

Un système qui permet à chaque directeur de site de gérer localement le flux de main-d'oeuvre en fonction des pics d'activité de son entrepôt. A l'image de Danzas, dont l'établissement d'Emerainville (77), sous la responsabilité de Jean-Luc Guay, compte vingt-cinq conducteurs de chariots évoluant sur une surface de 24 000 m2. A cet effectif permanent s'ajoutent cinq à sept personnes intérimaires. « Nous exigeons de nos fournisseurs Manpower, Adeco et Adia des travailleurs expérimentés, capables de s'adapter en quelques heures », affirme Jean-Luc Guay. En Seine-et-Marne, Manpower ne compte pas moins de quatre bureaux spécialisés en logistique. Parmi lesquels l'établissement de Combs-La-Ville s'est par exemple spécialisé dans l'approvisionnement de conducteurs de chariots latéraux opérant sur de grandes hauteurs.

« Les caristes expérimentés sont une denrée rare », observe Corinne Boulanger, responsable d'un autre établissement Manpower du département, situé à Bussy-Saint-Georges. Le marché est saturé depuis déjà deux ans. Nous pouvons répondre, d'une semaine sur l'autre, à une proportion variant de 50 à 75 % des demandes de nos clients. En été, période de forte activité des entreprises logistiques, il est presque impossible de trouver un bon cariste ».

Les limites de l'intérim

Corinne Boulanger distingue quatre types de conducteurs, selon qu'ils dirigent des chariots frontaux, rétractables, tri-directionnels ou latéraux. Ces derniers seraient les plus recherchés. Le « bon cariste » est un opérateur expérimenté, mais aussi polyvalent. Il peut être amené à descendre de son chariot pour prêter main forte à ses collègues préparateurs de commandes. Beaucoup ressentent ce retour à la manutention comme une régression, et ne sont pas prêts à l'accepter. « Un cariste qui a passé vingt ans dans la même entreprise est sans doute très professionnel, mais il s'adaptera parfois difficilement au travail intérimaire », constate Corinne Boulanger.

Un autre souci se pose au travailleur temporaire quant il s'agit d'intégrer un environnement complexe. C'est le cas des entrepôts du réseau de transport Darfeuille. Celui-ci emploie cent cinquante caristes opérant sur vingt sites. 135 d'entre eux ont été embauchés en CDI. Les autres sont en CDD pour des périodes de un à trois mois Le responsable emploi-formation Claude Rouffet ne fait quasiment pas appel à l'intérim. « Dans notre métier, un quai s'emplit et se vide en une après-midi. Tout doit aller très vite. Un nouvel arrivant doit apprendre à s'orienter sur le site et à manier différents types de palettes, des supports classiques de 50 kg comme des grands récipients vrac (GRV) de 1 500 kg. C'est un travail de précision. Trois mois sont nécessaires pour être opérationnel ». Chez Darfeuille, le cariste est amené à pénétrer dans un véhicule avec sa machine afin de charger des palettes. La semi-remorque étant dételée de son tracteur, elle risque de basculer sous le poids du chariot. Il s'agit de vérifier qu'elle est bien calée par une chandelle positionnée à son avant. Un réflexe crucial sur lequel la société compte communiquer à travers une campagne de sécurité. Cela pendant trois mois, à partir du mois de décembre 2001.

Certificat de conduite
Plus de catégories

Le Certificat d'aptitude à la sécurité (Caces) remplace, depuis le 1er janvier 2001, le Certificat de capacité professionnel cariste (CCPC). Celui-ci distinguait uniquement deux sortes de chariots : les thermiques et les électriques. Le Caces se décline en cinq catégories d'engins: les transpalettes à conducteur porté, les chariots tracteurs et à plateau, les chariots élévateurs en porte-à-faux de capacité inférieure ou égale à 6 000 kg, les chariots élévateurs en porte-à-faux de capacité supérieure à 6 000 kg et les chariots élévateurs à mats rétractables. Une sixième catégorie correspond au mouvement de véhicules sans activité de production.

En ce qui concerne les chariots embarqués, le conducteur est tenu de posséder les catégories 3 et 4 avec un complément de formation. Pour les bi et tri-directionnel, à prise latérale et les chariots à poste de conduite élevable, il devra posséder le certificat 5 ajouté à un test supplémentaire.

La validité du Caces est de cinq ans. Une équivalence est reconnue pour les diplômes d'Etat.

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