Le décret « 35 heures » aux oubliettes

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Si un décret ne suffit pas pour adapter les 35 heures au secteur des transports routiers, il faut une loi. C'est ce que demande la Fédération Nationale des Transports Routiers après l'annulation partielle, par le Conseil d'Etat, du décret Gayssot du 27 janvier 2000. Une décision qui touche la durée maximale de temps de service de 56 heures hebdomadaires pour les « grands routiers », la rémunération des heures supplémentaires et le mode de calcul des repos compensateurs.

Durée maximale du travail à 56 h pour les grands routiers ; rémunération des heures supplémentaires et calcul des repos compensateurs : le Conseil d'Etat a annulé l'essentiel du décret Gayssot (daté du 27 janvier 2000 et appliqué depuis le 1er février 2000). Sur ces points, les dispositions applicables aux transporteurs routiers réintégrent le droit commun. La décision rendue le 30 novembre « bouleverse entièrement l'équilibre que nous pensions avoir trouvé » reconnaît Christian Rose, secrétaire national de l'Unostra. « C'est un coup porté à toutes les entreprises qui, sur la base du texte censuré, se sont engagées dans une démarche de réduction du temps de travail » soulève la Fédération Nationale des Transports Routiers. L'arrêt fait suite à une procédure intentée par les syndicats de salariés FO et CFDT. Avant même sa publication au Journal Officiel du 28 janvier, les deux centrales avaient déposé un recours en annulation à l'encontre du texte adaptant la loi Aubry sur les 35 heures aux entreprises de transport routier. Raison invoquée : les dispositions adoptées sont moins favorables aux salariés que le droit commun auxquelles elles dérogent. Ainsi le régime des repos compensateurs est jugé contraire au code du travail et les normes de durée du travail non conformes à la loi cadre. Les organisations patronales soulignent aujourd'hui avoir elles-mêmes, à l'époque, attiré l'attention des pouvoirs publics sur la fragilité juridique du montage en demandant une loi. En vain. Deux ans après, le Conseil d'Etat donne partiellement raison aux détracteurs du décret.

Les limites du réglementaire.

La juridiction administrative ne touche pas à la disposition qui fixe la durée de temps de service à 39 heures pour les grands routiers et 37 heures pour les courtes distances. Cette « équivalence », contestée par les syndicats, ne choque pas le Conseil d'Etat. L'existence de périodes d'inaction dans l'activité d'un conducteur légitime à ses yeux une durée du travail hebdomadaire plus élevée que la durée légale de 35 heures. Cette possibilité étant ouverte par le Code du travail (article L. 212-2 et L. 212-4), l'auteur du décret n'a pas excédé les limites de sa compétence. De même, la faculté donnée aux employeurs de décompter les temps sur une durée supérieure à la semaine n'est pas remise en cause.

Il en va différement des règles relatives à la rémunération des heures supplémentaires au delà de 39 et 37 heures et au mode de calcul des repos compensateurs, qui sont annulées. Pour la juridiction, en effet, aucune disposition législative ou du code du travail « n'habilite le pouvoir réglementaire (le ministère des Transports en l'occurrence, NDLR) à fixer, pour des branches d'activité ou des professions, un régime de rémunération des heures supplémentaires et un mode de calcul du repos compensateur spécifiques ». Dès lors, la négociation paritaire débouchant sur une grille de majoration des heures «sup» et leur contrepartie en repos est considérée comme nulle et non avenue. Le Conseil d'Etat dénonce également les dispositions fixant à 56 heures par semaine la durée maximale de temps de service des grands routiers. Cette norme est en effet jugée dérogatoire aux 48 heures autorisées par le code du travail. Certes, le ministère se voit reconnaître le droit de rehausser le plafond pour tenir compte des temps d'inaction imposés par l'activité, mais pas dans les proportions du décret. L'ajout ne peut en effet excéder 13 heures (soit la différence entre la durée légale de 35 heures et la durée maximale de droit commun de 48 heures). Pour les grands routiers dont la durée légale est de 39 heures, le temps de service maximum ne peut donc dépasser 52 heures, calcule la juridiction.

FO et la CFDT dénonçaient en outre l'absence de consultation préalable à la prise du décret en conseil des ministres. Un terrain sur lequel le Conseil d'Etat ne les suit pas. Le ministère est parvenu à prouver qu'il avait invité les organisations d'employeurs et de salariés à présenter leurs observations avant de produire son texte.

Des négociations ou une loi ?

Les deux syndicats se félicitent du coup porté à un dispositif qui, selon eux avait été obtenu par la force et non par la négociation. Aussi demandent-ils l'ouverture de discussions pour le rebâtir « sur la base du Contrat de Progrès qui autorisait 46 heures de temps de service au maximum » soutient Joël Le Coq, secrétaire national de la CFDT Branche route. Lequel ne se dit pas opposé aux 220 heures pour la longue distance. « Néanmoins, le décret Gayssot traitait la courte distance, et notamment la messagerie, sur le même pied. Ce que nous ne pouvons accepter. Un accord de branche devra être recherché en considérant de manière différenciée les différents métiers ». Les représentants patronaux ne sont pas aussi avancés. « Il nous faut dans un premier temps analyser les conséquences, multiples, d'une telle décision, indique Christian Rose. « Elle fait retomber la profession dans le droit commun pour les heures supplémentaires et les repos compensateurs. Elle aura une incidence sur le dispositif applicable au travail de nuit et les rémunérations. Le tout devant être traduit en termes de coûts. En outre, la distinction à opérer entre les entreprises de moins et de plus de 20 salariés pour l'application de la loi Aubry se pose à nouveau ». Au sein de la commission sociale de TLF (Fédération des entreprises de transport et logistique de France), un groupe de travail est chargé d'étudier les répercussions immédiates de la décision, notamment pour les transporteurs qui ont conclu des accords d'entreprises. Il devra également identifier des pistes de négociation pour l'avenir et les présenter à l'Union des Fédérations de transport. « Nous ne sommes pas opposés à ouvrir une négociation paritaire, si c'est possible » indique Stéphane Levesque, pour TLF. Mais avec quels syndicats, si FO et la CFDT s'en tiennent à l'application pure et simple du code du travail ? Dans quel état d'esprit seront les pouvoirs publics après la censure apportée à leur texte ? Le ministère des Transports est-il encore un interlocuteur possible ou la profession devra-t-elle en trouver un autre ? Même interrogations quant au contenu des discussions. Si le pouvoir réglementaire ne peut déroger au droit commun, comment les partenaires sociaux le pourraient-ils ? C'est ce que sous-entend Christian Rose : « nous aurions pu nous entendre sur les équivalences, mais pour le reste le champ conventionnel paraît assez limité ». Côté FNTR, l'affaire est entendue: « c'est à l'Etat qui a mal fait, de réformer le défaut de fabrication de son décret ». L'organisation entend donc qu'un projet de loi soit déposé en urgence avant la fin de l'année pour « conforter la situation juridique et financière des entreprises ayant joué le jeu de la réduction du temps de travail ».

Histoire d'un décret

C'était il y a deux ans à quelques semaines près. Le 12 janvier 2000, à l'issue de 48 heures de blocage des frontières, les professionnels obtenaient l'engagement des pouvoirs publics de porter des retouches au projet de décret « 35 heures » applicable au transport routier. Premier point obtenu : inscrire les personnels courte distance dans le dispositif. Afin de limiter, pour les grands routiers, l'impact des repos compensateurs prévus par la loi Aubry, ces derniers sont assimilés aux repos récupérateurs institués par l'accord social de novembre 1994. Une disposition qui doit réduire quasiment de moitié leur incidence. Ces mesures, ajoutées à un aménagement de la fiscalité sur le gazole et à un dispositif d'aides financières à la réduction du temps de travail, « répondent pleinement » aux attentes des organisations de transporteurs, qui lèvent immédiatement les barrages. Consentant même un geste sur la rémunération des heures supplémentaires. Mais les syndicats de salariés passent à la contre-offensive en menaçant de bloquer à leur tour les routes. Négociations de part et d'autre avec le ministère. Publié au Journal officiel du 28 janvier, le décret daté de la veille ne trahit pas, sur le fond, les promesses ministérielles aux transporteurs, mais il leur adjoint des dispositions imprévues. Notamment sur le double équipage : le temps non consacré à la conduite est désormais compté comme temps de travail effectif. Le décompte des temps sur une durée supérieure au mois doit être accepté par l'inspection du travail. En outre, l'application du dispositif est anticipée au 1er février 2000 pour les entreprises de moins de 20 salariés qui ne devaient passer à la loi Aubry qu'en 2002. Le texte fixe la durée du temps de service à 37 heures hebdomadaires ou 160 heures mensuelles pour les conducteurs « courte distance » et 39 heures hebdomadaires ou 169 heures mensuelles pour les « grands routiers ». Les plafonds maximaux sont de 48 heures par semaine et 208 heures par mois pour les premiers; 56 heures par semaine, 50 heures en moyenne sur le mois, 220 heures par mois pour les seconds. Des majorations applicables aux heures supplémentaires à partir de la 36e heure sont fixées ainsi que le niveau des repos compensateurs-récupérateurs. Avant même la promulgation du texte, FO et la CFDT annoncent leur intention d'entamer une procédure en annulation devant le Conseil d'Etat.

Un décret pris par le ministre des Transports Jean-Claude Gayssot pour mettre fin aux barrages routiers de janvier 2000. VISAVU

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