La grande tentation

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Préoccupées par leur perte de compétitivité dans les trafics franco-espagnols, nombre de sociétés de transport françaises envisagent de s'implanter de l'autre côté des Pyrénées. Mais, pour l'heure, les projets restent bien souvent dans les cartons.

S'il devient de jour en jour plus difficile de travailler sur l'Espagne à partir de la France, certains y parviennent néanmoins. C'est notamment le cas de TDF, société hendayaise spécialiste de la messagerie et de l'express. Pour son directeur, Pierre Lopez, la frontière n'existe plus depuis des années. « Je ne raisonne plus en terme de pays mais en terme de kilomètres » assure-t-il. Même approche pour Gefco, filiale transports du constructeur PSA. « Notre agence de Saint-Jean de Luz est, depuis 1995, une agence européenne. Son territoire englobe le pays basque français, mais aussi le Guipúzcoa, l'une des trois provinces constitutives du pays basque espagnol » explique Dominique Mazière, directeur régional Aquitaine Midi Pyrénées. « Nous avons considéré que cette province était plus proche de Saint-Jean de Luz que de n'importe quelle autre agence espagnole » précise Thierry Nardin, chef d'agence. L'établissement de la cité basque assure, ainsi, des trafics domestiques tant espagnols que français et des trafics croisés dans les deux sens entre les deux pays. Le messager Mory croit lui aussi dans les perspectives du marché espagnol abordé à partir de la France. Il vient, à cet effet, d'ouvrir une agence à Hendaye. A partir de cette dernière, il espère capter une partie d'un marché qui lui échappait en étant basé à Pau. Mais pour lui, comme pour ses confrères, se pose le problème de la compétitivité. Gefco admet ne pas pratiquer les mêmes tarifs des deux côtés de la frontière, sans toutefois révéler jusqu'où peut l'amener ses efforts commerciaux. Selon elle, l'écart entre les deux pays tend néanmoins à se resserrer avec la construction européenne. De son côté, TDF admet perdre parfois des marchés pour des raisons tarifaires. Mais, indique Pierre Lopez, « notre activité à l'international fait que nous sommes moins confrontés à ce phénomène que si nous intervenions sur le marché domestique espagnol ». Quant à la société Mory, elle a trouvé une solution en affrétant auprès de partenaires espagnols la part de son activité à destination de l'Espagne.

Ouvrir une filiale ?

Toujours est-il que nombreuses sont les entreprises qui envisagent de délocaliser leur activité en Espagne. « Ce serait sans doute la meilleure réponse des entreprises aux mauvais traitements qu'on leur inflige en France» souligne Jacques-Henri Garban, délégué général de l'Aftri (Association française des transporteurs internationaux). La FNTR ( Fédération nationale des transports routiers) est sensiblement du même avis. « Si le marché n'obtient pas rapidement les réponses qu'il attend sur le plan réglementaire, la délocalisation reste la meilleure solution pour nos entreprises » indique Francis Babé. « Quitte à quitter le territoire français, mieux vaudrait pour elles s'installer au Portugal plutôt qu'en Espagne » précise Jacques-Henri Garban. De fait, beaucoup d'entreprises frontalières ont déjà pensé à délocaliser leur activité sans jamais l'envisager sérieusement. « Tout le monde y réfléchit. Mais j'espère que nous ne serons pas acculés à de telles extrémités », confie Jean-Baptiste Sallabery, pdg des transports Sallabery. Pour sa part, le dirigeant des Transports Lapègue n'envisage pas de transférer sa société en Espagne, mais d'ouvrir une filiale de l'autre côté de la frontière « afin d'aborder dans de meilleures conditions » son principal marché. « Rien n'est pour l'instant décidé, mais l'idée me tente clairement. Je vais observer ce qui se passera cette année en terme d'harmonisation européenne. En fonction des résultats, je prendrai ma décision » indique Philippe Lapègue. D'autres envisagent de s'implanter de l'autre côté de la frontière pour faciliter le contact commercial. Nul besoin dans ces conditions de créer une filiale, une simple délégation suffit. C'est notamment le cas pour TDF qui pourrait se doter l'an prochain d'une agence à Irun « pour des raisons liées à la numérotation téléphonique. A côté de la frontière, personne ne voit d'inconvénients à composer des préfixes internationaux. Mais il en va différemment dès que l'on s'éloigne un petit peu. A Bilbao par exemple, les clients ont quelque réticence à composer le 00 33 nécessaire pour obtenir la France » explique Pierre Lopez. De son côté Alain Bréthès, dirigeant des Transports Bréthes (40) essaye - après une première tentative peu concluante - de créer un bureau de représentation à Irun dans l'espoir de mieux négocier ses retours vers l'Espagne. La société Olano a franchi le pas depuis longtemps puisque sa première filiale espagnole est née en 1989. D'autres ont suivi. Désormais le groupe réalise plus du quart de son chiffre d'affaires sur l'Espagne à travers six sociétés. Plus le temps passe et plus Nicolas Olano se félicite de son choix: « compte tenu de la difficulté à entrer sur le marché espagnol et des tarifs pratiqués, il n'y a pas d'autre alternative que de s'installer sur place si l'on veut y travailler ».

Rachat ou création.

La reprise d'entreprises espagnoles est peu pratiquée par les sociétés françaises. Hormis quelques exemples parmi lesquels figure Geodis avec Teisa. Le pdg du groupe Olano préfère, lui, créer ses structures de toutes pièces. C'est d'abord un choix en tant qu'entrepreneur. Des raisons plus pragmatiques sont aussi évoquées : il ne reste plus guère d'établissements à acquérir du côté espagnol, la plupart étant déjà passés aux mains de grands groupes étrangers. Et si des pme telles que Olloquiegui, Catalan Lopez ou San Jose sont en mesure de séduire des Français, elles sont fortement valorisées au point de décourager leurs éventuels prétendants. Quant au gros du marché, il présente peu d'intérêt de par sa structure. Finalement, il apparaît plus simple de créer sa filiale à partir de rien et d'exporter son savoir faire. Tel a été le cas du groupe Gefco. Essentiellement pour des raisons liées à son statut de filiale du groupe PSA. Au départ, il y a une vingtaine d'années, il lui fallait simplement servir de support au groupe automobile. Après l'ouverture des frontières, Gefco a développé ses autres métiers et tissé un réseau intégré sur l'ensemble du territoire espagnol.

Pas de transfert.

De tous les transporteurs français qui ont créé des filiales en Espagne ou s'apprêtent à le faire, aucun ne se dit disposé à travailler sur la France à partir de leurs implantations espagnoles. Gefco précise que chaque filiale et agence doit respecter des règles strictes de territorialité qui lui interdisent de concurrencer le voisin. « Ce qui ne signifie nullement, précise Dominique Mazière, que les clients n'essaient pas d'être servis au mieux de leurs intérêts». Même état d'esprit chez Olano. « Nous respectons nos règles internes de territorialité qu'elles soient géographiques ou par métier. Et il est nullement question de les transgresser » affirme Nicolas Olano. Et il exclut, quoi qu'il arrive, de délocaliser l'activité exercée sur le marché Français. Quant à Philippe Lapègue, s'il se décide un jour à ouvrir une filiale en Espagne, pas question d'y transférer son siège.

Peu de filiales en France

Certaines sociétés espagnoles ont ouvert des filiales en France à l'époque où la réglementation ibérique imposait aux entreprises un cadre très strict. Elles pouvaient ainsi travailler en Espagne sous le régime du cabotage, en évitant de se plier à ces obligations. Aujourd'hui, avec des règles communautaires plus souples, les entreprises espagnoles ne ressentent manifestement plus le besoin de posséder des sites sur le territoire hexagonal. Si elles ne les ont pas purement et simplement fermées, elles leur ont le plus souvent laissé une activité réduite, observent les services de l'Equipement français. « Nous avons le sentiment, à travers les contrôles que nous menons dans ces entreprises, qu'elles ne sont plus opérationnelles » indique Michel Blanchard, inspecteur régional des transports de la région Aquitaine. Pour autant, les Espagnols ne se désintéressent pas du marché français, ne serait-ce que pour trouver des trafics de retour. Ainsi certaines sociétés espagnoles parmi les plus importantes - telles Catalan, San Jose ou Lopez - entretiennent-elles des délégations dont la vocation est à la fois de servir de relais à leurs camions, mais aussi de les remplir dans le sens du retour. Certaines se disent même prêtes, si l'occasion se présentait, à racheter des sociétés françaises. Javier Elorriaga Azpilicueta, dirigeant de San José, confie avoir récemment raté une acquisition. Désormais, ses choix stratégiques portent l'entreprise vers la création d'une filiale près d'Orléans. « C'est une solution finalement aussi efficace, plus simple et moins coûteuse ».

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