Tassement, fléchissement, ralentissement... C'est ainsi que la plupart des transporteurs routiers de marchandises qualifient leur activité ces dernières semaines. Pour certains, cette évolution s'est faite sentir dès juillet, pour d'autres depuis octobre seulement. En tout cas, « la baisse de la demande concerne tous les secteurs économiques », constate Bernard Liébart, P-dg des Transports Liébart (51) et président de l'union régionale des transporteurs routiers-FNTR (Fédération nationale des transports routiers)- de Champagne-Ardennes. Conséquence : toutes les spécialités du transport semblent frappées par cette perte de vitesse. L'enquête d'opinion du Service Économique et Statistique (SES) du ministère des Transports confirme cette tendance. Le solde d'opinion (différence entre opinions favorables et défavorables) des chefs d'entreprise, interrogés durant la deuxième quinzaine de septembre, chute de 9 points pour l'activité nationale. « Après un premier semestre dynamique, nous ressentons depuis mi-août un ralentissement des trafics. Ce phénomène a été aggravé par le retard de la campagne des betteraves dû à des mouvements sociaux chez un de nos gros clients », explique David Sagnard, directeur général des Transports Carpentier (62) actifs dans le transport par bennes. « Nous sommes passés d'une croissance à deux chiffres l'année dernière à des progressions comprises entre 4 et 6 % en fonction des agences », affirme Laurent David, directeur marketing du groupe Joyau (85), spécialisé dans la messagerie. « Lors d'une réunion de FLO début octobre, il est apparu que le ralentissement déjà latent en juillet s'est accentué pour nos activités de transport de lots et par citernes », affirme Michel Alainé, P-dg des Transports Alainé (71) et président du groupement France Lots Organisation (FLO). La petite baisse d'activité a en effet été amplifiée par les événements survenus aux Etats-Unis le 11 septembre. « Les sous-traitants de l'aéronautique trinquent, souligne Guillemette De Fos, responsable de la communication à la FNTR. Ce qui risque d'entraîner un recul de l'activité notamment pour les messagers ».
Certaines spécialités sont toutefois davantage touchées par la récession, notamment « les transporteurs de bestiaux déjà pénalisés au premier semestre de l'année par les crises de la vache folle et de la fièvre aphteuse », note Ludovic Rempteaux, secrétaire général de l'Unostra Nord-Pas-de-Calais. C'est le cas également des entreprises actives à l'international. « Depuis octobre, le ralentissement économique lié à la situation internationale freine les échanges avec l'ensemble de nos partenaires, Benelux, Allemagne et Italie », ajoute Étienne Buffet, P-dg des Transports Buffet (53) qui réalisent 70 % des trafics hors des frontières de l'Hexagone (60 MF de CA, 50 véhicules, 70 conducteurs). « Les transporteurs français pâtissent de la mauvaise conjoncture qui sévit depuis le début de l'année en Allemagne », observe Guillemette De Fos. L'activité internationale, qui a déjà subi une baisse de 6,1 % au premier semestre, se dégrade à nouveau au 3e trimestre, selon l'étude du SES. Le solde d'opinion recule de 10 points pour s'établir à - 21 points. Pour le 4e trimestre, les dirigeants expriment des prévisions encore plus pessimistes. « A l'international, il devient de plus en plus dur de conserver nos marchés. Nous en avons perdu sur l'Espagne mais compensons aujourd'hui avec des trafics sur le Benelux et en national », note Michel Alainé, dont l'entreprise réalise 50 % de son activité hors des frontières françaises. Vers l'Italie, les trafics sont pénalisés depuis l'accident du Gothard le 24 octobre. Une situation qui ne devrait guère s'arranger en 2002, estime Michel Alainé, avec la revalorisation des péages du tunnel du Fréjus et l'éventuelle mise en place de la circulation alternée avec le Mont-Blanc.
« Si la baisse relative de la demande n'influe pas sur le remplissage des camions, elle a des conséquences sur la concurrence et les prix », regrette Bernard Liébart. Ce dernier a en effet observé une diminution des tarifs dans le cadre des affrètements spot. Le tassement de l'activité a également une incidence sur l'emploi. Selon l'étude du SES, les transporteurs témoignent d'une «légère dégradation de l'évolution de leurs effectifs au 3e trimestre». « Il y a moins de pression par rapport à la demande de conducteurs », constate Ludovic Rempteaux. « C'est parce que les entreprises ont moins besoin de main d'oeuvre », ajoute Gérard Perrin. En ce qui concerne l'investissement en matériel de transport, les prévisions sont en léger retrait pour le 4e trimestre tout en restant à un niveau élevé, selon le SES. « Le ralentissement des trafics ne va pas pour autant freiner notre politique d'investissement », affirme Laurent David. Malgré le fléchissement de l'activité, la situation financière des entreprises demeure en effet stable, note le SES. Le léger allongement des délais de paiement au 3e trimestre n'est guère pénalisant. Si les situations de trésorerie se détériorent quelque peu, elles restent à un niveau élevé. « Nos résultats seront meilleurs car nous évitons de faire des opérations non rentables », ajoute Bernard Liébart. « L'année 2001, moins euphorique en terme d'activité, nous a permis d'offrir un service de meilleure qualité », signale Gérard Perrin, P-dg des Transports Guyon (84). Les transporteurs ont aussi profité d'une baisse de près d'un franc en douze mois du prix moyen du litre de gazole, qui s'établit aux alentours de 3,70 F à la mi-novembre. Vient s'ajouter à cette « bouffée d'oxygène » le remboursement partiel de la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers). La situation est d'autant plus confortable pour les professionnels de la route qui ont revalorisé leurs tarifs de manière conséquente fin 2000 et début 2001. Ceux-là devraient nettement améliorer leur rentabilité cette année. Les autres - ceux qui se sont contentés d'indexer leurs tarifs sur le prix du carburant - parviendront au moins à maintenir leur marge grâce à l'allégement du poste carburant. « Mais comment va évoluer le prix du gazole dans les mois à venir ? », s'interroge Bernard Liébart. D'autant que la récupération de TIPP accordée aux transporteurs diminuera de 11 centimes en 2002 et que « la majoration de 20 % des heures de nuit entraînera une hausse des prix de revient », s'inquiète Étienne Buffet.
« Les entreprises de transport concernées devront revaloriser leurs tarifs », souligne Guillemette De Fos. Mais, « ces hausses seront plus difficiles à faire accepter aux chargeurs, qui connaissent eux-mêmes une phase de ralentissement », ajoute Laurent David. Les surcoûts liés au travail nocturne, associés à l'augmentation globale de 2,7 % des salaires au 1er janvier 2002, risquent encore de pénaliser les transporteurs français par rapport à leurs concurrents étrangers. Une situation inquiétante aux yeux des adhérents du groupement Flo qui ne croient plus à l'harmonisation des conditions sociales au niveau européen. La perte de compétitivité du pavillon français demeure pour l'année prochaine l'une des principales préoccupations des entreprises. Lesquelles redoutent également la mise en place de l'euro. Elles craignent un certain attentisme de la part des ménages français qui pourraient consommer moins. En 2002, le secteur pourrait aussi connaître une accentuation des défaillances. Les professionnels qui ne répondent pas encore aux conditions de capacité financière - en vigueur depuis septembre 2000 - vont devoir se mettre en conformité. Les délais d'un an accordés au cas par cas par l'administration aux sociétés en difficulté arrivent en effet à expiration et « les Directions régionales de l'équipement risquent de durcir l'application des règles », ajoute Ludovic Rempteaux.
Sur les dix premiers mois de l'année 2001, le marché des véhicules industriels (plus de 5 t de PTAC) n'a progressé que de 1,4 % par rapport à la même période l'année dernière selon les chiffres publiés par le Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA). Il s'établit ainsi à 49 725 immatriculations à fin novembre. Scania et Volvo enregistrent des reculs respectifs de 11 % et 5,5 %. Iveco stagne avec une légère baisse de 0,2 %. Renault VI et Mercedes affichent quant à eux de faibles croissances, respectivement + 1 % et + 1,1 %. Seul Daf tire son épingle du jeu avec une progression de 22,8 % des immatriculations.
Sur l'année 2001, le marché ne devrait donc pas battre le record atteint en 2000, à 57 918 unités. Pour 2002, la baisse globale de 15 % des commandes, que subissent l'ensemble des constructeurs, devrait se répercuter sur les immatriculations de poids lourds.