L'heure des comptes

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Près de 10 F supplémentaire pour chaque heure effectuée de nuit, c'est ce que devront débourser les transporteurs routiers début 2002, conformément à l'accord sur la rémunération du travail nocturne signé le 14 novembre. Pour les organisations syndicales signataires, les majorations ont un goût de trop peu. Mais elles chiffrent pour les employeurs, qui se préparent à répercuter le surcoût sur leurs clients.

Majorer les heures effectuées de nuit de 20%, octroyer un repos correspondant à 5% de ces heures ou transformer ce temps en argent, c'est le régime auquel seront soumis les transporteurs routiers de marchandises au début de l'année prochaine. Et ce, conformément à l'accord sur le travail de nuit signé le 14 novembre par l'Union des fédérations de transport et l'Unostra côté employeurs, la CFDT, la FNCR, la CGC et la CFTC pour les salariés. Il s'appliquera au 1er janvier 2002 sous réserve de son extension préalable à toutes les entreprises relevant de la convention collective. « Cette procédure prend généralement trois mois et il n'y a pas de raison pour que ce dossier soit traité en urgence. Aussi l'entrée en vigueur des dispositions s'effectuera vraisemblablement dans le courant du 1er trimestre » prévoit Christian Rose, secrétaire général de l'Unostra. Sur le plan politique, l'organisation professionnelle se dit satisfaite de l'aboutissement des travaux : « il faut savoir terminer une négociation ». Surtout lorsque celle-ci s'est étalée sur près d'une année. D'ailleurs, remarque Christian Rose, « l'accord aurait pu être signé en mai. Nous ne voyons pas ce que six mois de discussions supplémentaires ont apporté au dispositif ». Sauf à majorer sensiblement la prime horaire, assise sur le taux conventionnel à l'embauche applicable au coefficient 150 M soit 9,89 F (cf le détail de l'accord ci-contre). Un ultime compromis qui est venu renchérir un coût déjà élevé pour les entreprises. L'Unostra se dit « consciente des difficultés que pourront rencontrer les transporteurs pour répercuter le surcoût. En outre, la majoration salariale risque de creuser l'écart avec leurs concurrents étrangers. C'est la principale raison pour laquelle les employeurs ont refusé d'aller plus loin ». Les risques de détérioration du pavillon français, c'est également sur cet argument que TLF (Fédération des entreprises de transport et logistique de France) avait tiré la sonnette d'alarme dès le printemps estimant que la profession « était allée au bout de ses possibilités ».

Pas d'autre choix ».

Des surcoûts et des dangers qui expliquent sans doute la retenue des représentants professionnels quant à l'aboutissement de la négociation. Néanmoins, l'absence d'accord de branche aurait fait courir aux entreprises un risque plus grave encore, affirment-elles. « Seuls les transporteurs en mesure de signer un accord d'entreprise, c'est-à-dire ceux dotés de délégués syndicaux ou représentants du personnel, auraient pu continuer à travailler de nuit. Nous avons préféré un compromis à un vide juridique susceptible de porter un grave préjudice aux pme » explique l'Unostra. Pour sa part, la FNTR (Fédération nationale des transports routiers) estime que la profession « n'avait pas d'autre choix pour éviter l'application du droit commun et obtenir des dérogations aux durées maximales du travail nocturne ». Elle se place également sur le terrain qu'elle a désormais fait sien: la défense du transport routier auprès de l'opinion publique. Elle met en avant l'esprit civique des transporteurs qui favorisent les livraisons nocturnes « afin de ne pas déranger le citoyen tout en servant le consommateur ». Et leur volonté de conforter les relations sociales: « alors que se profilent d'autres majorations de charges, cet effort financier important tend à démonter la conscience qu'ont les employeurs du secteur d'avoir à leur disposition des personnels sérieux, stables et motivés ». Pas de triomphalisme non plus du côté des organisations syndicales signataires. La CFDT Branche route dit avoir accepté l'accord afin de « consacrer une étape sur la compensation des heures de travail de nuit ». Sous-entendu, elle n'en restera pas là.

600 000 F de surcoût annuel.

« Nous avons chiffré l'incidence financière sur trois mois et aboutissons à un surcoût de 600 000 F par an » indique Pierre Corsi, responsable d'exploitation de Corsi Fit (52). L'intégralité des 170 conducteurs sera concernée : les 140 qui effectuent de la longue distance, mais aussi les régionaux qui embauchent vers 4 heures du matin. L'activité de transport frigorifique (35 véhicules) sera la plus touchée, prévoit le responsable. Bien que l'entreprise n'ait pas l'intention de modifier sa façon de travailler - « la grande distribution demandera toujours à être livrée de nuit » - les exploitants se montreront plus attentifs dans la détermination de la coupure journalière, souligne Pierre Corsi. Lequel prévoit un impact moindre pour les prestations logistiques, le personnel posté ne travaillant en 3x8 que pendant trois mois de l'année. Michel Nicolas, pdg du groupe Nicolas (63), se prépare quant à lui à une remise à plat de ses flux : « nous regardons dès à présent si des trafics nocturnes ne pourraient pas passer en jour ». Un décalage dans le temps impossible à opérer pour la grande distribution et la livraison en magasin, mais qui pourrait s'appliquer aux activités opérées dans le cadre de relais de nuit. « L'augmentation des coûts sociaux s'accompagnera d'une perte de productivité des matériels qui n'a pas vraiment été chiffrée » observe le dirigeant. Pour le groupe qui emploie 900 conducteurs, l'accord devrait avoir une incidence financière de l'ordre de 20% à 25%, mais elle pourra atteindre 30% dans certaines agences, calcule Michel Nicolas. D'où « d'inévitables répercussions sur les clients ». Faire le forcing pour passer des hausses de tarifs conséquentes, c'est également la démarche à laquelle s'est attelée Corsi Fit. « Les chargeurs se montrent globalement réceptifs. Mais le repli du prix du gazole, ces derniers mois, pondère l'argument du surcoût social» note Pierre Corsi. « D'autant qu'ils ont déjà consentis de gros efforts l'an dernier au titre du carburant. Nous sommes partis sur une revalorisation de 4 à 6% pour 2002, mais elle devrait plutôt tourner autour de 3 à 4% ».

L'accord en bref

- Les salariés (ouvriers, employés et agents de maîtrise mais pas les cadres) travaillant durant la période nocturne (21 h-6 h) reçoivent une compensation financière de 20% du taux horaire conventionnel à l'embauche du coefficient 150 M quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent. La majoration s'applique dès la première heure travaillée de nuit sur instruction de l'employeur. La prime horaire doit être prise en compte, en cas d'heures supplémentaires, dans l'assiette de calcul des majorations.

- L'attribution d'une compensation en repos, d'une durée égale à 5 % du temps de travail accompli en période nocturne, sous condition d'un seuil mensuel de 50 heures de travail, est également prévue. Ce repos peut être transformé en argent. Cette transformation sera automatique en l'absence d'accord d'entreprise.

- Pour les conducteurs, les durées maximales de travail de nuit sont identiques à celles applicables au travail de jour soit 10 heures. Et ce, par dérogation aux dispositions de la loi du 9 mai 2001 qui plafonne cette durée à 10 heures par jour et 40 heures en moyenne par semaine.

- Les compensations ne sont pas cumulables avec tout autre indemnité, prime ou majoration du taux horaire ou repos attribués dans l'entreprise au titre du travail de nuit. L'article 24 bis de la convention collective applicable aux conducteurs courte distance est d'ailleurs abrogé.

- L'accord entrera en vigueur le 1er janvier 2002 sous réserve de la publication au Journal officiel de son arrêté d'extension.

La négociation en dates

- Janvier 2000 : le ministre des Transports impose aux partenaires sociaux de négocier des compensations au travail de nuit au plus tard pour le 30 juin 2000. A défaut d'accord de branche, il « promet » un décret. Des réunions exploratoires se tiennent.

- Fin 2000-début 2001 : sur la base du projet de loi relatif à l'égalité professionnelle hommes-femmes, qui encadre de manière stricte le recours au travail de nuit, et de la proposition de directive européenne, l'Union des fédérations de transport (UFT) soumet des premières pistes: définition du travailleur de nuit ; prime horaire à hauteur de 5% du smic la première année, 10% la deuxième, 15% la troisième ; compensation en repos de 5%. Refus des organisations syndicales

- Avril 2001: l'UFT propose de calculer la prime sur le taux minimum conventionnel et de l'appliquer en deux étapes (10 puis 15%). Les syndicats de salariés demandent l'application des compensations dès la première heure de travail nocturne et un pourcentage global de 25%.

- Mai 2001 : le texte est amendé à plusieurs reprises avant d'aboutir à une version proposée à la signature le 30 mai. Elle prévoit 20% de majoration dès la première heure de travail nocturne sous réserve de l'application à toutes les entreprises, l'accès au repos dès 50 heures de travail de nuit, le maintien des dérogations aux limites maximales pour tous les conducteurs. Reste non résolue la question du calendrier d'entrée en vigueur. Les organisations syndicales refusent le projet.

- Septembre 2001 : les négociations reprennent. Deux points de blocage subsistent: l'assiette des majorations pécuniaires (les syndicats veulent que soit pris en compte le salaire réel) et les modalités de transformation des repos en argent.

- Novembre 2001: une nouvelle version est proposée et acceptée le 9 novembre: la prime horaire de 20% est assise sur le taux horaire conventionnel à l'embauche du coefficient 150 M quels que soient le niveau hiérarchique et la catégorie professionnelle du salarié travaillant de nuit. Les modalités de passage du repos à l'argent sont définies par accord d'entreprise. Faute d'une convention en ce sens, la transformation automatique est la règle.

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