Grandir autant et aussi vite que nous l'avons fait paraît périlleux, voire suicidaire, à certains. Je les rassure tout de suite, cette croissance est parfaitement maîtrisée », déclare Patrick Girard. La preuve : « nous ne sommes pas endettés », affirme-t- il en se félicitant d'avoir eu « très peu recours à l'emprunt bancaire » pour financer le développement de son entreprise. D'où vient l'argent ? « Pour l'essentiel de familles vendéennes et bretonnes qui nous ont fait confiance ». Les cadres des entreprises participent aussi au capital. « Une manière de les impliquer davantage et de m'assurer qu'ils se battent autant que moi. Je crois que c'est une des clés du succès », explique Patrick Girard. Celui-ci ne possède à titre personnel qu'environ 30 % de chaque société. C'est par le biais de pactes d'actionnaires qu'il s'est assuré la majorité des votes et du même coup le contrôle des filiales. Seule Girard SA, créée par Michel Girard père de Patrick, est détenue par la famille (à raison de 28 % pour chacun des 3 fils qui travaillent dans l'entreprise et de 8 % pour les 2 filles). Les parts ont été rachetées par les enfants moyennant le versement de dividendes aux parents. Ce qui a réglé la succession. Financièrement, toutes les autres filiales du groupe relèvent de différents cercles d'actionnaires et d'autant de holdings. Juridiquement, elles sont complètement indépendantes les unes des autres.
Si Patrick Girard n'écarte pas l'idée de structurer un jour l'ensemble autour d'une société de tête, une telle réorganisation n'est absolument pas d'actualité. L'éclatement du groupe protège les entreprises les unes des autres. « Si l'une d'entre elles était en difficultés - et ce n'est absolument pas le cas aujourd'hui -, les autres ne seraient pas menacées », résume le P-dg. Mais la principale motivation de ce choix est ailleurs : « La mise en oeuvre de mon projet n'exige que des liens opérationnels. Les entreprises rachetées vont bien. Ce qui prouve qu'elles sont parfaitement capables de vivre seules. Toucher aux structures et aux hommes qui font leur succès est inutile, voire dangereux ». Les organigrammes fonctionnels ont donc été laissés intacts. Sur celui de Christin figurent même les anciens propriétaires de l'entreprise, au titre de conseillers. En dehors de certains grands comptes gérés par Patrick Girard, le commercial reste l'affaire de chaque « patron de site ». « Je mesure l'importance de la culture d'entreprise et même le poids des particularismes régionaux. On ne gère pas de la même manière des Vosgiens et des Rhônalpins, ni même des Vendéens de la plaine (Thoinard) et des Vendéens du bocage (Girard) », souligne le P-dg qui a également préféré que chaque société conserve son identité : « Les salariés, comme les clients, y sont très attachés». Si les véhicules neufs du groupe adoptent aujourd'hui le rouge et gris du logo Girard, ils portent toujours le nom de la société pour laquelle ils roulent. « Nous ne repeignons évidemment pas les anciens matériels. Il faudra des années avant d'harmoniser la flotte du groupe », précise Patrick Girard. Quelques soient leurs couleurs, tous les véhicules appartiennent à une filiale, l'Européenne de Location, qui les reloue aux différentes sociétés de transport.
Celles-ci partagent également une très légère « structure appui groupe » où figurent le P-dg, un directeur informatique , une secrétaire générale en charge de l'administratif ainsi qu'un directeur des ressources humaines et un directeur général. Ce dernier a pour mission de piloter la régionalisation et de coordonner la gestion technique et financière des différentes entités. Michel Tapon, directeur général de Thoinard depuis 8 ans, a été nommé à ce poste il y a quelques mois. « Après avoir fait dans un premier temps appel à quelqu'un d'extérieur au monde du transport, j'ai compris que seul un homme du sérail et connaissant bien notre métier pouvait faire l'affaire », raconte Patrick Girard. C'est aussi un « initié » qu'il a recruté début septembre pour diriger les ressources humaines du groupe. Luc Delaunay est un ancien permanent de l'organisation professionnelle TLF Ouest. Dans un premier temps, il a été chargé d'harmoniser les fiches de paie pour les 6 sites du groupe au moins dans la forme. « Nous nous occuperons plus tard du contenu, » ajoute Patrick Girard. Le nouveau DRH finalisera également la mise en place de la réduction des temps de travail. « Celle-ci sera plus facile dans un contexte de ralentissement économique. Nous espérons que fin 2002 toutes les sociétés seront dans les clous. Nous ne mettons pas la pression sur ce point pour le moment car nous attendons de voir si le gouvernement sort de nouvelles mesures de dernières minutes. Les négociations sont avancées chez Thoinard mais elles bloquent sur une question de pause de 12 minutes. Elles sont engagées chez Girard. Christin est le plus en retard car il a particulièrement souffert de la pénurie de personnel. Ce sont plus ces difficultés à recruter que le coût des 35 heures (208 h mensuelles) qui nous ont ralentis », explique le P-dg.
Le problème est d'autant plus sensible dans le transport de meubles qu'il faut « un an pour former les conducteurs comme les personnels de quai ». Ceux-ci manipulent en effet des produits qui sont pour la plupart haut de gamme. Or, une avarie suivi d'un retour à l'usine représente un retard de livraison de 3 semaines pour le client. Aux Essarts, où est basée Transports Girard, les « bobos » sont soignés sur place par un ébéniste employé à plein temps. Dans chaque entreprise, un responsable qualité est chargé de passer les réclamations au peigne fin et de dresser un diagnostic. Mais « c'est en amont que tout se joue. Impossible d'apporter une prestation de qualité sans des hommes compétents et motivés », insiste Patrick Girard