«Thoinard a inventé le métier, Guisnel l'a développé, Girard va le transformer », promet Patrick Girard, P-dg du premier groupe européen de transport meubles neufs avec un chiffre d'affaires de 580 millions de francs en 2001. En 1998, l'entreprise basée aux Essarts (Vendée) n'était que le troisième opérateur français de ce marché avec un chiffre d'affaires de 100 MF. A l'origine de son développement express : une politique de croissance externe particulièrement « gonflée ». Celle-ci commence en novembre 1999 avec la reprise du numéro 4 français du transport de meubles, Christin (Ain), 80 MF de CA. Deux mois plus tard, Girard conclut avec le Vosgien SEBT (60 MF de CA) un accord de partenariat commercial (qui pourrait à terme déboucher sur un rapprochement capitalistique). En septembre 2000, le Vendéen fait encore plus fort : il acquiert celui qui fut le pionnier et longtemps le leader de sa spécialité, son voisin Thoinard (soit trois sociétés Thoinard, Destandau et TDLT dégageant un CA total de 160 MF). A cette belle corbeille, il vient d'ajouter en octobre 2001 le réseau de franchise TEM (Trans Europe Meubles, 80 MF de CA).
En moins de deux ans, Girard s'est ainsi attaché 5 des 6 premiers opérateurs de son secteur pour en devenir un acteur incontournable. Comment expliquer un tel appétit ?
S'il admet qu'il préfère « être leader sur une niche que 6è ou 7è sur un grand marché », Patrick Girard assure que sa démarche ne relève d'aucune ambition d'hégémonie. « J'ai seulement anticipé l'évolution du secteur ». Certes, l'industrie du meuble connaît une concentration limitée : les dix premiers producteurs ne représentent que 37 % des ventes totales (selon l'Institut de promotion et d'études de l'ameublement). Mais les fabricants ont souvent abandonné la maîtrise des transports aux distributeurs qui sont, eux, de taille importante. Ces nouveaux donneurs d'ordre génèrent déjà près de la moitié du chiffre d'affaires de Girard. Ils se font plus exigeants en terme de délais, de logistique intégrée... « On nous demande aujourd'hui de collecter les meubles chez les fournisseurs, de les entreposer et d'assurer la gestion des stocks, de préparer les commandes avant de livrer », précise Patrick Girard. Or, « notre métier avait peu évolué depuis sa naissance en 1945. Date à laquelle Paul Thoinard a amené sur la route les meubles auparavant exclusivement transportés par le rail. Comme mes principaux concurrents - Thoinard, Christin et Guisnel -, j'ai senti que notre façon de travailler arrivait en fin de cycle ». Celle-ci se résume en une phrase : chaque entreprise du secteur arrose toute seule l'ensemble du territoire français, et même l'Europe, en direct depuis sa base. « Envoyer pour une semaine un véhicule et un conducteur de Vendée pour livrer en Rhône-Alpes constitue à l'heure actuelle une aberration économique et sociale, » souligne Patrick Girard.
Son projet : régionaliser les trafics. « Il est plus pertinent de maintenir matériel et chauffeur en Bretagne où ils pourront faire plusieurs rotations pendant la semaine et de confier, via un transfert de caisse mobile, le volume Rhône-Alpes à un conducteur basé dans cette zone », explique-t-il. Chiffres à l'appui : « si chaque site arrose 450 kilomètres autour de sa base, cela permet de gagner 400 km par camion et par semaine. Avec un coût de revient de 12 F/km, l'économie réalisée est de 4 800 francs par semaine et par véhicule. 400 km en moins c'est également 6 heures de conduite, soit une demi journée de travail, en moins dans la semaine ». Une telle organisation permet aussi d'améliorer les délais. « Alors que la centralisation n'autorise pas plus d'une livraison hebdomadaire, avec le nouveau système, et une seule rupture de charge, il devient possible d'offrir deux rotations par semaine », se félicite Patrick Girard.
Le projet suppose de disposer de relais sur tout le territoire. Pour accéder à un tel réseau, « impossible d'envisager une croissance interne alors que la main d'oeuvre fait défaut ». Des rapprochements d'entreprises étaient d'autant plus inéluctables que le marché du transport de meubles était constitué de structures fort modestes - les six premiers opérateurs se partageant un volume d'affaires de 650 MF - et donc vulnérables face aux grands généralistes. « Début 1999, Norbert Dentressangle a manifesté quelque intérêt pour l'entreprise », signale Patrick Girard. « Il fallait vendre ou acheter. J'étais près à l'un ou l'autre. Je négociais simultanément la cession de Transports Girard à Guisnel et l'acquisition de Christin. Je tenais seulement à être le premier à dégainer pour avoir une chance de réaliser une bonne opération ». Pourquoi a-t-il été celui par qui la concentration est arrivée ? « Sûrement parce que mon projet a emporté l'adhésion des professionnels que sont Christin et Thoinard », répond le P-dg.
Aujourd'hui, le transporteur vendéen dispose des bases nécessaires à la mise en place de son réseau : Girard couvre le Grand Ouest, Christin le Rhône-Alpes et le Sud-Est, SETB le Nord-Est et Thoinard le Sud-Ouest et le Centre. 5 % des volumes du groupe passent par le système d'échange de caisses mobiles. D'ici 3 ou 4 ans, cette part devrait atteindre 60 %. « Il ne sera jamais possible d'aller jusqu'à 100 % puisqu'il subsistera toujours des trafics purement régionaux », précise le P-dg. Sa nouvelle organisation permet déjà à Girard d'offrir des livraisons bihebdomadaires au départ de Vendée sur l'Est et le Rhône-Alpes.
« Nous mettons doucement les procédures en place afin de ne pas trop bouleverser les clients. Inquiets après le rachat de Thoinard, ceux-ci le sont beaucoup moins. Ils ont compris que ce projet ne constituait une offensive à leur encontre », se réjouit Patrick Girard. Après avoir profité de sa nouvelle position pour négocier des « prix décents », celui-ci annonce son intention de reconduire en 2002 la plupart de ses tarifs 2001. « Nous allons faire profiter nos clients des économies que nous réalisons. Nos résultats 2000 nous le permettent », assure-t-il sans dévoiler toutefois de chiffres précis.
Les synergies groupe jouent également à l'international où Girard réalise plus du quart de son chiffre d'affaires. « Il n'était pas rare de voir deux transporteurs de meubles aller livrer le même petit coin d'Écosse », affirme Patrick Girard. Désormais, à chacun ses destinations : Transports Girard couvre les Îles britanniques, Thoinard l'Espagne et le Portugal, Christin la Suisse, l'Allemagne et l'Italie tandis que SETB est présent sur l'Allemagne et le Benelux. Chaque semaine, une vingtaine de camions du groupe gagne la péninsule ibérique, une trentaine traverse la Manche, cinq les Alpes. Certains de ces véhicules ne livrent pas dans le pays de destination. C'est le cas en Grande-Bretagne où le groupe vendéen dispose d'une filiale, Girard UK dont les 9 conducteurs assurent exclusivement la collecte et la distribution dans leur pays et opèrent des échanges de semi-remorques avec leurs collègues français. Sur l'Italie, où Girard dispose également d'une filiale, Eurotra, les flux sont extrêmement déséquilibrés. « Les Français ont beaucoup de mal à y exporter leurs meubles », explique Patrick Girard. Les 4 chauffeurs d'Eurotra se contentent donc de « ramasser » les produits chez les fabricants italiens. « Il est particulièrement difficile de recruter des conducteurs en Italie car ils exigent de percevoir une partie de leur salaire au noir. Le phénomène est encore plus répandu en Espagne », déplore Patrick Girard. Girard Spana, la troisième antenne étrangère du groupe, n'emploie d'ailleurs aucun chauffeur. Elle ne compte qu'une secrétaire qui s'occupe des clients espagnols et des conducteurs français.
Patrick Girard ne cache pas son ambition de reproduire à l'échelle internationale le projet qu'il est en train de mettre en place en France. Ce qui là encore suppose de s'appuyer sur un réseau. Depuis juin 2001, le Vendéen est membre du groupement européen de transporteurs de meubles Mach 3 000 dont une des vocation est de favoriser les échanges de trafics entre ses adhérents. Girard reçoit déjà des volumes importants de ces nouveaux partenaires. Mach 3 000 constitue aussi « un espace privilégié pour observer le marché ». Lequel est dominé par les Français (les filiales de Girard et Guisnel) seuls capables d'assurer un service de messagerie hebdomadaire en Europe. Dans les autres pays, rares sont les spécialistes du meubles. Cette activité étant souvent exercée pour compte propre, par des transporteurs généralistes ou encore par des déménageurs. De quoi aiguiser l'intérêt de Patrick Girard qui annonce : « c'est hors des frontières hexagonales que nous allons désormais axer notre développement par le biais de partenariats, de prises de participation croisées ou majoritaire. »
Le tout récent rachat du réseau de franchise TEM (Trans Europe Meuble) devrait ainsi constituer sa dernière acquisition française. Cette opération n'obéit pas aux mêmes motivations que celles qui ont présidé aux reprises de Christin et de Thoinard et au rapprochement avec SETB. « Alors que ces sociétés, comme Girard, sont axées sur le meuble haut de gamme, TEM nous ouvre les marchés de la literie, des canapés et de la grande distribution », se félicite Patrick Girard, qui, en 2000, avait pourtant fermé bruyamment la porte aux « discounters » du meuble. « Nous l'avons fait parce que notre système ne leur correspondait pas. Ni eux, ni nous n'y trouvions notre compte. C'est complètement différent avec TEM. Son réseau modulaire - qui s'appuie sur 13 plates-formes, 11 adhérents et 160 véhicules - est parfaitement adapté aux circuits de la grande distribution », explique le P-dg. Celui-ci dit avoir été également séduit par la nature de cette structure : « il est plus facile de développer rapidement une franchise. Pour y accueillir de nouvelles entreprises, il n'est pas nécessaire de les racheter ».
C'est d'ailleurs cette formule que le transporteur vendéen a choisi pour se lancer sur un autre créneau : celui de la livraison aux particuliers. Un service qu'il propose via Agediss. Cette société basée à Lyon (sur un site Christin) compte 4 salariés qui animent un réseau franchisé de 40 plates-formes sous-traitantes. Créée en octobre 2000, Agediss a connu un « développement phénoménal ». Patrick Girard pense d'ailleurs pouvoir porter son chiffre d'affaires actuel de 14 MF à 200 millions de francs d'ici 10 ans. « Agediss profite d'un double phénomène : d'un côté les messagers traditionnels abandonnent ce créneau, de l'autre les ventes de meubles, d'électroménager et d'informatique augmentent ».
Partenaire exclusif du portail internet meubles.com, l'entreprise a été créée pour offrir une réponse logistique à la vente en ligne. Mais son champ d'activité s'étend aujourd'hui bien au delà. « Nous avons emporté un contrat avec Vivendi pour distribuer des ordinateurs à tous ses employés. Ce client nous a confié 30 % de sa première vague de livraisons et 70 % de la deuxième. Des négociations sont par ailleurs très avancés avec de grands noms de la micro informatique », déclare Patrick Girard qui se glisse déjà sur un autre créneau porteur : « Agediss propose de prendre en charge l'entreposage et la logistique pour les magasins de meubles. Lesquels tendent à se séparer de leurs dépôts pour se concentrer sur la vente et préfèrent utiliser la surface disponible pour faire de véritables show rooms ».
2 milliards de francs de chiffre d'affaires et un parc de 600 véhicules, c'est ce que cumulent les 10 entreprises membres de Mach 3000, groupement européen de transporteurs de meubles. Celui-ci couvre ainsi 11 pays. Il a vocation à favoriser les échanges de trafics entre ses adhérents mais également à représenter une force commerciale pour la conquête de nouveaux marchés. Le groupe Girard est membre de Mach 3000 depuis juin 2001. Ses partenaires sont :
LBC Sweden, Suède ; LBC Finland, Finlande ; GM-ITM, Danemark ; DSV Samson UK, Grande-Bretagne ; Fröde, Allemagne et Suisse ; GTC International, Pays-Bas et Belgique ; DD Cargo, Espagne ; Castelletti (groupe Schenker) et GTS, Italie.