La « real politique », concept cher à l'Unostra, a parfois du bon. C'est probablement ce qu'ont dû se dire les « adhérents à taille humaine » de l'union patronale au sortir de leur 43e congrès à Versailles. Ainsi, l'organisation professionnelle a fait définitivement son deuil des perspectives d'harmonisation des réglementations européennes. En qualifiant l'Europe de « gangrène » lors d'un débat interne réservé aux seuls transporteurs, Germinal Cordoba, le bouillant président de la région Aquitaine, avait donné le ton de la journée. Et suscité une salve d'applaudissements dans l'auditoire. En séance plénière, devant Gilles Ricono, le directeur de cabinet du ministre des Transports, le président national Daniel Chevallier s'est montré nettement plus mesuré. Mais tout aussi convaincant pour les congressistes. « L'harmonisation européenne est une arlésienne à laquelle nous ne croyons plus », a-t-il lâché. En quête de palliatif, l'organisation professionnelle se prononce pour la création d'un fonds européen de compensation et de développement. Alimenté par des prélèvements effectués sur les entreprises de transport des Etats aux coûts les plus bas, ce dispositif serait censé lisser, voire gommer, les inégalités qui faussent les règles de concurrence sur le Vieux Continent. En outre, cette mesure aurait, selon l'Unostra, « l'énorme avantage de continuer à permettre aux États membres de poursuivre leur propre politique sociale et fiscale sans que cela n'affecte la compétitivité des entreprises de transport routier ». Elle figure également parmi les trois conditions sous lesquelles l'Unostra accepterait le partage de la facture intermodale, disposition phare de la Commission européenne reprise dans son dernier Livre blanc Transports. « L'augmentation des coûts de transport routier ne devra pas servir à combler les déficits structurels du mode ferroviaire. La politique communautaire devra aussi s'inscrire dans le domaine de pertinence de chaque mode », ajoute Daniel Chevallier.
A l'instar de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) quelques semaines plus tôt, l'Unostra se déclare « extrêmement favorable à la revitalisation de l'offre de transport ferroviaire et plus particulièrement celle du transport combiné rail-route ». Un discours « aligné » qui tranche cependant avec celui que tiennent ses adhérents. En coulisse, ceux-ci refusent « d'ouvrir à nouveau le portefeuille pour subvenir aux besoins des chemins de fer ». Quelques jours avant le congrès national, Louis Schlichting, le vice-président de l'Unostra Lorraine, avait pris soin d'envoyer par courrier un avertissement à toutes les unions régionales. « Le rôle de l'Unostra est-il de discuter du rail-route dans la chaîne de transport ? Pour quel intérêt travaillons-nous? » s'interrogeait-il.
Face à la perte de compétitivité du pavillon français, l'Unostra plaide également pour le passage aux 44 tonnes. Considérée comme « incontournable à terme », cette disposition « mettrait fin avec l'hypocrisie française » qui « consiste à exiger des transporteurs qu'ils respectent les 40 tonnes alors que circulent sur nos routes des véhicules étrangers à 44 tonnes ». Bref, pour l'Unostra la déception est à la hauteur des ambitions que s'était fixées la communauté économique européenne lors du Traité de Rome en 1957. « Alors que la CEE avait fait du transport un secteur pour lequel il y avait lieu d'instituer une politique commune, nous constatons aujourd'hui que la seule politique qui a présidé a été celle du " chacun fait ce qu'il lui plaît " », avance Daniel Chevallier.
Devant la chaise vide que devait occuper Jean-Claude Gayssot (retenu au Sénat), Daniel Chevallier a salué « l'approche réaliste et dosée du gouvernement sur le dossier du tunnel du Mont-Blanc ». Un ouvrage dont la réouverture s'accompagnera d'une limitation du trafic poids lourds et d'un relèvement des tarifs de péage. Seul ombre au tableau pour l'Unostra : l'adoption par les députés le 10 octobre d'un amendement sanctionnant d'une amende de 9 000 euros le non respect par un conducteur d'une distance de sécurité de 50 m dans les tunnels. « En d'autres temps, nous aurions jugé cette disposition grotesque », estime Daniel Chevallier. « Elle est aujourd'hui inacceptable : il s'agit d'un véritable procès d'intention qui est fait à nos conducteurs routiers et, au-delà, à notre profession dans son ensemble ». Parmi les dossiers franco-français, l'union patronale se dit préoccupée par la suppression de taxe parafiscale instituée en faveur du développement de la formation professionnelle. Pour remplacer les quelque 300 MF qui s'évaporeront à partir de 2004, elle exige la budgétisation d'une ressource de remplacement « dont les règles d'affectation garantiront aux entreprises la couverture de leurs besoins de formation ».
L'Unostra se félicite en revanche de la publication au Journal Officiel du contrat type « sous-traitance » qu'elle a appelé de ses voeux. Un document qui, selon elle, participe à la moralisation du secteur. Autre motif de satisfaction : l'application des dispositions relatives à la capacité financière. Prônant une approche économique et pas seulement administrative, l'Unostra estime avoir été entendue par le ministère. « Le dispositif de formation des agents de l'Etat, le dialogue et la logique de débat contradictoire avec les dirigeants des entreprises, le référentiel de ratios, sont autant d'éléments qui nous autorisent à considérer que la capacité financière fait l'objet d'une application discernée plutôt que d'être une voie d'épuration du marché », note son président. Lequel promet qu'il restera attentif au traitement réservé en 2002 aux très petites entreprises. Quant à la problématique des indices synthétiques d'évolution des coûts par métier, l'Unostra considère que « la profession est dans le meilleur des cas, en retard d'une bonne décennie, et dans le pire des cas, hors sujet. » Elle rappelle que « c'est le marché qui fixe les prix et qui permet ou pas leur évolution ». En clair, les indices synthétiques doivent rester de simples outils. « Nous refuserons toute démarche qui ferait de nos dirigeants de simples gestionnaires de chiffre d'affaires », conclut Daniel Chevallier.
Devant leurs représentants nationaux, les adhérents de l'Unostra, invités à se prononcer sur les questions d'actualité, ont fait part de leurs inquiétudes. Florilège. « A l'extérieur de nos frontières, nous sommes raillés par la concurrence. Nous sommes sûrement les premiers de la classe en Europe mais, en attendant, les confrères étrangers ne se privent pas pour déloger nos clients ». Président de l'Unostra Alsace, Georges Gallix ouvre les hostilités. La catharsis peut commencer. « Nous ne sommes pas contre le bonheur de nos salariés. C'est justement en augmentant les rémunérations que nous réussirons à les fidéliser. Mais pour faire du social, il faut de l'argent. Or, l'administration prévoit d'augmenter encore les péages d'autoroute et les passages aux tunnels routiers », peste un autre transporteur. « Faut-il brûler la convention collective ? », lance Daniel Chevallier, le président national de l'Unostra. « Le mieux serait de créer une convention collective européenne », ajoute un congressiste. « C'est une bonne suggestion, mais je crains que l'on doive en discuter pendant encore trente ans », rétorque Philippe Fournier, le président de l'Unostra Provence-Alpes-Côte d'Azur. Lequel en appelle à la mobilisation. « Il faut se battre dans les régions au plus près des préoccupations des entreprises. C'est déplorable, mais nous devons bloquer les routes pour qu'on nous entende. » « Quand Willi passe, on trépasse », entend-t-on au fond de la salle. « L'Unostra n'est même pas représentée à Bruxelles », regrette un responsable d'union régionale. « A travers notre adhésion à la CGPME, nous serons désormais présents », assure Daniel Chevallier. Un chef d'entreprise de transports légers témoigne : « à Marseille, les colis descendent de Paris pour 4 F. C'est un scandale. Dans cette profession, les tricheurs agissent en toute impunité ». « Chacun doit faire sa police. N'hésitez pas à dénoncer les pratiques douteuses de certaines sociétés », conseille Germinal Cordoba, président de l'Unostra Aquitaine. « Le ferroutage, le transport combiné, c'est de la poudre aux yeux. La SNCF veut la mort de la route avec la bénédiction du ministre des Transports », avertit un adhérent. « Attention, réplique Daniel Chevallier, il ne faut pas confondre l'entreprise publique et les possibilités que peut offrir aux transporteurs le réseau ferré. » Moue sceptique d'un dirigeant de pme : « on va encore se faire piéger ».