«Aucun des actifs de BM SA n'est aujourd'hui à vendre. Nous gérons nos coûts et nous assainissons notre portefeuille commercial pour améliorer notre rentabilité tout en poursuivant la réorganisation engagée par mon prédécesseur » : André-Denis Piot, P-dg de BM SA (ex Bourgey-Montreuil), et précédemment DRH de Geodis, a succédé en janvier 2001 à Patrick Gibert. Il doit aujourd'hui donner des gages à son actionnaire majoritaire, tout en assumant l'héritage. Filiale et jadis fleuron du groupe Geodis, BM SA survit en effet depuis deux ans sous perfusion financière. L'entreprise souffre des séquelles d'une restructuration engagée à la hussarde en juillet 1999. Patrick Gibert, alors nommé P-dg du groupe par Alain Poinssot, s'attaque bille en tête à fusionner les quelques quarante filiales de Bourgey-Montreuil en cinq « business units » : general cargo, chimie, automobile, presse/aérien et grande distribution. Un découpage par branches spécialisées qui a pour but de se rapprocher des clients afin de mieux les servir. Il s'agit aussi, sur le papier, de mieux gérer des moyens dispersés entre de trop nombreux sites, de supprimer de gênantes baronnies, de centraliser les prises de décision et le contrôle des activités. A l'époque, d'autres business units sont envisagées dans les métaux, l'emballage, le high-tech.
Pour Bourgey-Montreuil, c'est un véritable « choc culturel », admet aujourd'hui André-Denis Piot. Mais le tour de magie des apprentis sorciers du marketing tourne vite à la catastrophe commerciale et humaine. Démobilisés, les cadres s'enfuient. Ceux qui restent sont démotivés, comme les conducteurs. Les syndicats de salariés s'affolent. Les tarifs restent à l'abandon. Les résultats s'effondrent. Pire, en supprimant les filiales, ce sont autant de services comptabilité qui sont fermés, avec des salariés qui refusent de rejoindre le siège du groupe à Chambéry. Il faut tout reconstruire. Trop tard pour les comptes. Le dernier trimestre 2000 est apocalyptique. « Les coûts n'étaient plus suivis, nous avons raté la moitié des augmentations de tarifs qu'ont placé la plupart de nos concurrents. Quand ils ont négocié 10% sur l'année, nous n'avons réussi à passer que 5% », avoue André-Denis Piot, qui se refuse à communiquer des résultats 2000. Par discrétion, sûrement. Sans doute aussi parce que les chiffres en question ne peuvent qu'être estimés, faute de comptabilité précise. En 1999, avec environ 3,5 milliards de francs de chiffre d'affaires, Bourgey-Montreuil avait publié un bénéfice d'exploitation de 49 millions de francs, pour un déficit net de 30 millions. Pour 2000, ce dernier chiffre a été estimé à 100 millions de francs, de source syndicale. En réalité, il serait encore supérieur. Pour 2001, toutes les business units seront au moins à l'équilibre d'exploitation, promet pourtant André-Denis Piot, qui envisage aussi un chiffre d'affaires annuel consolidé de 3,7 milliards de francs. Pour parvenir à ce résultat, impossible de remettre en cause la restructuration. Un retour en arrière serait en effet fatal à l'entreprise. Des cinq business units, le general cargo (1,6 MdF de CA) et la chimie (1 MdF de CA) sont celles qui ont le plus souffert. Ce sont aussi celles qui se redressent le mieux. Elles sont pourtant structurellement handicapées par des surcoûts sociaux.
« Nous appliquons la réglementation à la lettre. Nous identifions et nous payons tous les temps de nos 2 500 conducteurs, y compris les mises à disposition. Ces dernières sont gommées par la plupart de nos concurrents, qui demandent à leurs chauffeurs de manipuler le chronotachygraphe pour n'identifier que la conduite et le repos. En échange, ils offrent des primes qui gonflent la rémunération nette des conducteurs. Dans le transport routier, c'est le prix de la paix sociale. BM ne peut pas se l'offrir. Les syndicats sont trop puissants chez nous. Nous devons donc faire avec des conducteurs qui parcourent en moyenne 9000 km par mois quand ailleurs ils en font 11 000 », explique ,le P-dg. Dans ces conditions, pour rentabiliser l'activité, le P-dg avoue augmenter le recours à l'affrètement. « Aujourd'hui, 70% du chiffre d'affaires de la branche general cargo sont sous-traités. Cette part n'était que de 50% en 2000. L'évolution se fait en douceur, sans suppressions de postes. Pour inverser la tendance et mieux absorber nos coûts sociaux, nous essayerons de nous orienter vers des prestations plus valorisantes, de type organisation de flux, voire d'augmenter nos tarifs. ». Difficile, sur un créneau aussi banalisé. Possible, en revanche, pour BM Chimie, dont les clients refusent la solution de l'affrètement. Pourtant, cette branche doit assumer les conséquences de la fusion de 15 anciennes filiales en une seule société, avec à la clé la généralisation du 13e mois de salaire pour tous les conducteurs et 4% de masse salariale en plus. La moitié d'entre eux bénéficiait auparavant de cet avantage. Pour expliquer les « pertes sidérales » de BM Chimie en 2000, André-Denis Piot avance aussi une croissance externe trop rapide : « sur ce créneau, nous sommes partis de rien en 1985 ». Par dessus tout, la chimie de Bourgey-Montreuil, c'est essentiellement du transport à la demande, quand la plupart des concurrents jouent d'abord la carte de la location de véhicules avec conducteurs. Une solution qui garantit un minimum d'activité et permet de mieux couvrir les charges fixes, en particulier l'investissement en citernes.
C'est sur ce type de prestations contractuelles que devrait se réorienter BM Chimie. D'autant que « certains chargeurs commencent à chercher des solutions d'externalisation. Ils sont encore prudents mais nous pourrions leur proposer, par exemple de gérer pour leur compte, avec notre personnel, sur leurs sites, le stockage et les opérations de chargement/déchargement des véhicules », envisage André-Denis Piot. Pour mieux convaincre ces clients, BM SA s'appuie sur le savoir-faire acquis par sa branche automobile. « Préparation de commandes, navettes inter-usines, flux tendus, échange de données informatisées : c'est ce que nous réalisons, pour le compte de Peugeot, sur une demi-douzaine de sites, et notamment à Sochaux. Nous sommes parfaitement intégrés dans la chaîne de production. Nous travaillons en partenariat étroit avec l'industriel et ses fournisseurs. Je crois que nous sommes le seul véritable concurrent de Gefco sur cette niche », avance André-Denis Piot, qui annonce un nouveau contrat obtenu pour approvisionner les chaînes françaises de Peugeot en flux tendu depuis les usines tchèques de Valeo. Pour l'aider à redresser BM Chimie, André-Denis Piot a aussi appelé à la rescousse un ancien de Bourgey-Montreuil. En juillet 2000, Charles Fontanel, alors directeur général adjoint avait quitté l'entreprise. Revenu comme consultant au printemps 2001, il a remplacé Régis Fildier à la présidence de BM Chimie en juillet dernier. Assisté par Eric Pipart, directeur général, il vient de souffler sur appel d'offres un gros marché au groupe Samat : 50 millions de francs de chiffre d'affaires annuel avec 40 ensembles semi-remorques, pour transporter les bases savon d'un industriel installé à Metz. De quoi oublier les hypothèses de cession de BM Chimie, une branche sans laquelle « BM perdrait son identité. En effet, le general cargo comme les autres activités seraient facilement intégrables dans les autres divisions du groupe Geodis », affirme Charles Fontanel. Abandonné aussi le projet de transfert de BM SA de Geodis vers SNCF Participations. Début octobre, la compagnie ferroviaire a mis un terme aux discussions. Sous la marque Geodis BM, BM SA devrait donc rester dans le giron de Geodis. D'autant que ce dernier obtiendra bientôt de ses principaux actionnaires, SNCF Participations et Salvepar, une recapitalisation, pour compenser de très mauvais résultats au premier semestre 2001.Les prévisions d'André-Denis Piot pourraient cependant être bouleversées par «l'effet Ben Laden» et les conséquences de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse. Le premier influence depuis le 11 septembre l'ensemble de l'économie et donc la branche general cargo de BM SA. « Septembre est le pire mois de l'année après août alors que d'habitude c'est un des meilleurs en activité», précise André-Denis Piot. La seconde catastrophe pèse, elle, sur BM Chimie : « depuis, tous les industriels du secteur réétudient leurs systèmes de sécurité. Soit les productions sont stoppées, soit les stocks s'accumulent. Les flux de transports se tarissent. Cela pourrait durer jusqu'à la fin de l'année ».
58,2 millions d'euros, soit environ 380 millions de francs. C'est le déficit net qu'affiche le groupe Geodis pour le premier semestre de son exercice 2001, en intégrant une perte exceptionnelle de 50,8 millions d'euros. En 2000, pour la même période, le bénéfice net était de 31,5 millions d'euros, en tenant compte d'un résultat exceptionnel de 35,9 millions d'euros. Ce brutal retournement est imputé par Pierre Blayau, P-dg du groupe depuis janvier dernier, à «la très mauvaise performance de United Carriers», entreprise britannique de messagerie acquise en 1999. Il reflète les difficultés de la branche overseas en Amérique Latine et « la situation déficitaire de quelques filiales européennes ». Il intègre aussi les problèmes financiers de la branche route, BM SA, dont le redressement est cependant acquis, selon le P-dg de Geodis. Celui-ci bénéficierait en contre-partie de ces pertes, d'excellentes performances de la branche messagerie (Calberson) et du maintien des résultats de l'activité logistique.
Avec un chiffre d'affaires semestriel de 1774,8 millions d'euros, Geodis affiche par ailleurs une croissance de 4,2 % à périmètre comparable et améliore son excédent brut d'exploitation de 15,4% avec 80,8 millions d'euros. Puisque ce sont semble-t-il les finances qui pêchent, Pierre Blayau a fait savoir à son actionnaire principal, SNCF Participations et au bloc des minoritaires financiers (parmi lesquels figure la Société générale), qu'une recapitalisation de Geodis était inévitable. Une proposition qui ne devrait pas être refusée au groupe. Celui-ci cherche aujourd'hui une nouvelle solution pour intégrer l'activité déficitaire du Sernam, abandonnée par la SNCF. Dans une interview accordée au journal Les Echos, Pierre Blayau a indiqué « que le projet initial prévoyant une prise de participation immédiate de 60% dans le Sernam est rendu difficile » par les délais d'observation que s'est accordée la commission européenne sur ce dossier. Le rapprochement commercial de Geodis avec la Poste reste à l'étude.